Article mis à jour le 16 novembre 2023 à 16:42
Tous les présidents, sans exception, ont promis la fin des Sans Domiciles Fixes avant la fin de leur mandat. En Juillet 2017, Emmanuel Macron avait dit à propos des migrants : « Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des hommes et des femmes dans les rues, dans les bois. Je veux partout des hébergements d’urgence ».
Migrants, sans-abris, SDF, qui sont ces personnes qu’on finit par ne plus remarquer. Ceux dont parfois la présence dérange. Ceux pour qui on a modifié les mobiliers urbains. Pour ne plus permettre à des personnes de s’allonger, de se reposer. Car la pauvreté dérange, d’autant plus quand elle s’affiche dans le coeur des villes.
Un sujet bien trop complexe pour être évoqué en quelques lignes. Quelques éléments de réflexion que nous avons complétés par un second article sur l’action publique en regard de cette situation.
♦ L’implication associative
Notre reportage a débuté à la faveur d’une rencontre avec l’association Atome de Bienfaisance. Une association qui se donne pour mission d’apporter en toute simplicité des repas chauds à ceux et celles qu’elle croise dans la rue. Sans poser de questions, Atome de Bienfaisance prépare et apporte entre 20 et 30 repas, trois fois par semaine. Qu’il pleuve ou qu’il vente, les 40 bénévoles et volontaires se sont donnés pour objectif d’aider ceux qui en ont besoin.
Association créée en 2017, Atome de Bienfaisance ne sollicite pas de subventions. Elle fonctionne grâce à des tirelires déposées chez les commerçants qui soutiennent leur action, mais aussi grâce à des dons. Très présente sur les réseaux sociaux, l’association utilise ces outils en ligne pour communiquer entre bénévoles et récolter des fonds. Un moyen aussi de jouer la transparence et de partager son action avec leurs soutiens.
Le leitmotiv d’Atome de Bienfaisance ? « On ne peut pas aider tout le monde, mais tout le monde peut aider quelqu’un » … comme nous le rappelle l’une des bénévoles. Avec le sentiment profond que « ce n’est pas nous qui les aidons, ce sont aussi eux qui nous aident. On relativise plus notre quotidien et on se prend moins la tête ».
♦ Immersion en maraude avec les bénévoles
Préparer une tournée de distribution requiert de la préparation et par conséquent du temps. Celui nécessaire à l’achat des denrées, à la préparation des repas, à l’emballage et la confection des sacs individuels qui seront ensuite distribués. Un sacerdoce qui peut nécessiter 4 ou 5 heures dans une journée. Juste à temps pour aller rechercher les enfants à l’école ou retourner au travail. Avec la difficulté pour ces bénévoles qui partent en maraude de ne pas parvenir à s’habituer à cette pauvreté. « Certaines situations donnent lieu à des froids quand on remonte dans la voiture ». Un véhicule qui se transforme alors en lieu propice aux échanges.
Car un bénévole, tout expérimenté qu’il soit, n’est pas un professionnel du médico-social. Pas d’années d’études pour mettre en perspective, maîtriser la fameuse « distance professionnelle ». Mais une certitude. Celle que « tout le monde peut en réalité basculer dans la pauvreté du jour au lendemain suite à un divorce, un décès, une faillite. D’où la difficulté d’aborder une personne sans domicile fixe dans la rue. Avec la peur de se tromper, de vexer la personne ».
Alors comment faire le premier pas ? Comment appréhender le monde de la rue ? De la manière la plus simple. Un mot, un geste bienveillant pour finalement découvrir l’envers du décor. La grande solidarité entre SDF, mais aussi celle envers leurs animaux. Et même si, parfois, la fatigue et le découragement prennent le dessus. Avec un sentiment « d’avoir les mains liées et d’être en incapacité de faire plus. Face à ce qui semble être une injustice, on aurait envie de les ramener à la maison pour prendre soin d’eux ».
♦ Témoignages de dureté la rue à Perpignan
Quant aux idées reçues sur l’alcool ou la drogue ? Une des « maraudeuse » constate : « Ce n’est pas l’alcool et la drogue qui mènent à la rue. Mais, c’est parfois plutôt la dureté de la rue qui pousse vers une échappatoire ».
Coco prend l’exemple de « G. », une trentaine d’année, qui ne fumait même pas une cigarette. Sans nouvelle depuis un moment, elle le croise un mois plus tard lors d’une distribution. Avec l’apparence physique d’un homme qui avait perdu 10 Kg. Il lui a avoué avoir plongé dans la cocaïne pour supporter le fait d’être dehors…
Également croisé durant cette tournée avec l’association, Francis 54 ans qui a réussi à sortir de la rue. Bien qu’il dispose aujourd’hui d’un logement, toute sa vie est dans un sac à dos qui le suit toujours partout, « au cas où » … Une habitude profondément ancrée, comme celle de toujours côtoyer ses camarades de galère. Avec une conviction forte confiée à une bénévole, celle de « préférer mourir que de retrouver à son âge le pavé« .
♦ Définir une réalité chiffrée ?
Pour ne pas bercer dans l’empathie ou le politique correct, nous avons donc cherché à aller au-delà de ce geste désintéressé pour comprendre la problématique, des besoins, de l’évolution et des causes pour lesquelles ces personnes sont dans la rue. Nous avons donc pris contact avec le référent au niveau local de la cohésion sociale. Jean-Michel Fedon, directeur départemental de la cohésion sociale. C’est à la suite de cet entretien que l’écart entre les discours et la situation sur le terrain nous a semblé incommensurable.
En effet, au-delà d’une réelle volonté politique, un regard sur les détails de la situation montre que les choses sont bien plus complexes qu’il n’y parait. Et surtout que le fameux « Yakafokon » voudrait bien le laisser penser.
Car qui sont les SDF ? Les migrants ? Les sans-abris ? Combien sont-ils ? Comment parvenir à accompagner ces publics aussi divers que variés dans leur problématique. Des jeunes désocialisés à celui que l’on affuble parfois du surnom de « Punk à chien ». Comment les pouvoirs publics peuvent-ils agir ? Il semble évident que pour avoir une stratégie de lutte contre la pauvreté, il est nécessaire de connaître les besoins afin de mettre en cohérence les moyens nécessaires. Or, il faut d’abord se mettre d’accord sur les chiffres, comment les compiler, qui s’en charge et enfin que regroupent-ils.
♦ L’impossible décompte
Selon l’institut de statistique (INSEE) « une personne est qualifiée de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune) ». S’il est sans domicile fixe, cela implique qu’il bouge d’endroit à endroit – squat, hôtel, hébergement d’urgence, rue… – sans obligatoirement dormir dehors. Le sans-abri est celui qui n’a pas de toit, qui n’est pas protégé du monde extérieur : c’est une personne qui dort dans la rue. Pour Carenews, le média du monde associatif, un sans-abri est donc un SDF mais un SDF n’est pas forcément sans-abri.
Après nous être accordés sur les termes, voilà que nous tentons une réponse à la question du chiffre des sans-abris. Un décompte impossible à trouver, aucun organisme n’étant à ce jour en charge de cet élément. À tel point que certaines villes ont fait le choix de mettre en place leur propre décompte. Paris a renouvelé la démarche après une première en 2018, suivie par Grenoble et Rennes.
À Paris, en février dernier, plus de 2000 personnes, travailleurs sociaux et bénévoles, ont parcouru la ville à la recherche de personnes dormant dehors. Répartis en 360 équipes, ils ont arpenté les rues, lors de ce qui est désormais baptisé « la nuit des solidarités ». En 2019, le décompte à Paris est de 3.600 personnes contre 2.000 en 2018. À notre connaissance, à Perpignan ce genre d’initiative n’est pas envisagé à l’heure actuelle.
♦ Le méandre des chiffres
Après avoir interrogé plus en détail Jean-Michel Fedon, nous en sommes arrivés à la conclusion que l’un des seuls éléments chiffrés qui était fiable était celui du recours au 115. Ce numéro d’appel d’urgence est réservé à ceux qui ont besoin d’un hébergement. Aussi appelé « samu social », il est départementalisé et a été créé en 1993 à Paris par le docteur Xavier Emmanuelli.
Là encore, jusqu’en 2017, ces chiffres étaient recueillis par la fédération des acteurs de la solidarité dans le baromètre du 115. Désormais, ils ne le sont plus aujourd’hui. Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas eu d’explication à cet arrêt, si ce n’est que la mise en place d’un nouveau logiciel par le gouvernement. Mais depuis 2017, pas de retours chiffrés.
Au niveau départemental idem. Alors que jusqu’en 2017, c’était l’ACAL* qui était en charge de cette compilation, c’est désormais la Croix Rouge qui fait remonter les chiffres.
Une rapide comparaison entre les semaines 15 de 2018 et 2019 font apparaître une baisse significative (-38%) du nombre d’appels au 115. En 2018, il y a eu 308 personnes qui ont appelé 546 fois. En 2019, 219 personnes ont appelé 343 fois durant la même semaine du 8 au 14 avril.
♦ Le 115 dans les P-O – Périodes hivernales 2017/18 et 2018/19
- La plateforme téléphonique d’urgence sociale «115» a reçu :
- 27.612 appels entrants en 2017/18, tous appels confondus**
- 25.225 appels entrants en 2018/19, avec un taux de décrochage de 91%
- 67% des demandes d’hébergement ont pu être satisfaites durant cette période hivernale, contre 75 % pour l’entièreté de l’année 2018. Les pics d’activité sont repérés au mois de novembre et janvier période où les conditions climatiques étaient plus dégradées
- Augmentation du nombre de personnes différentes sollicitant le service 115 : 1.385 en 17/18 contre 1.619 en 18/19
- Diminution du nombre de demandes d’hébergement pour des femmes, 30% en 17/18, contre 25% en 18/19
- Augmentation du nombre de personnes isolées, 53% en 17/18, 66% en 18/19
- Diminution des demandes concernant des ménages avec enfant (30% en 17/18 contre 15% en 18/19)
*L’ACAL – L’Association Catalane d’Aide aux Libertés
** Les appels au 115 peuvent concerner les demandes de renseignement, d’hébergement, de prestation au samu social
// Au cœur du sujet :
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