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Épicène – Au-delà de la violence conjugale, des victimes se dévoilent. Interview photo 3/3 par Idhir Baha

Épicène - Au-delà de la violence conjugale, des victimes se dévoilent.

Article mis à jour le 17 juin 2024 à 11:54

En 2019, en France, elles étaient 151 tuées sous les coups d’un conjoint. Les violences conjugales, partout en France et dans le Monde, sont malheureusement encore un fait de société. L’année 2020 souligne d’autant plus la vulnérabilité des victimes avec le confinement. La presse et les médias s’efforcent d’en parler à juste titre. Mais en parlons nous suffisamment ? Donnons-nous suffisamment la parole et de place pour les victimes ? Ce ne le sera probablement jamais assez, pour pouvoir réaliser les drames en cours, entre les murs de certains foyers.

Une chose est sûre : l’extériorisation reste un moyen thérapeutique parmi d’autres. Troisième d’une série de trois interviews photo par Idhir Baha.

♦ Ces femmes sont d’abord une personne avec une histoire personnelle et une identité

C’est pourquoi, accompagnées de l’association Apex 66, des victimes se dévoilent ici. Car derrière les gros titres d’articles, et avant d’être catégorisées comme telles, elles sont d’abord une personne, avec une histoire personnelle et une identité qui ne sont pas uniquement reliées à ce traumatisme. Alors pourquoi ne pas apprendre à les connaître via une forme d’interview photo ? Via leur propre texte ? Pourquoi ne pas les laisser se présenter tout en transmettant un message aux lecteurs et lectrices ?

Cette aventure s’est construite de la sorte avec Marie, Clara* et Épicène*. Elles sont toutes les trois en transition pour une vie meilleure ; en bonne voie pour se détacher définitivement de l’emprise violente d’un conjoint. Toutes les trois savaient ce qu’elles voulaient. Mais le résultat s’est figé après beaucoup d’hésitations, de tâtonnements, de peur, d’inconnu, de soulagement ; mais surtout, beaucoup de spontanéité.

Chacune de leur photo raconte respectivement qui elles sont ; leur enfant intérieur, leur traumatisme, leur ressource, et enfin, un avenir différent.

Le médium est la photographie. Le visuel est imaginé. L’expression est la leur. Quelle est leur identité personnelle ? Leur histoire ? Leur choc ? Leurs blessures? Leur désespoir ? Leur espoir ? Leurs motivations ? Leur soulagement ?

♦ Épicène *

« Je suis née un jour que je ne connais pas encore tout à fait. »

Pour ce qui est de la date et de l’heure, c’est très précis. Ce sont des coordonnées temporelles bien spéciales puisque ce sont les miennes ! Mais chaque jour se renouvelle et me renouvelle : alors, comme une sorte de  rêve permanent, je donne un sens à cette date, la faire vivre tout au long de l’année. Car c’est bien cette date précisément qui me rapproche régulièrement de la fin de ma vie. Je ne vais  donc pas me contenter d’exister mais de vivre.

La vie est un brouillon que l’on ne peut remettre au propre. Mais pour m’accompagner et faire de moi une femme libre selon mes critères, j’ai l’immense privilège d’être issue d’un milieu social philosophique, culturel, artistique et religieux, dans lequel j’ai pu grandir en liberté. Trop, au goût de beaucoup, à une époque où l’éducation bienveillante et non violente semblait appartenir à une bande de hippies cinglés. J’ai bénéficié de ce style d’éducation : davantage nourrie de lectures que de petits plats mijotés par la ménagère des années cinquante. Je suis libre de savoir, de comprendre, de choisir et d’agir ; selon mon libre arbitre. Je suis un être de culture et de choix.

Je n’ai jamais demandé la permission d’être libre.

On me l’a offerte bébé. On m’a laissée l’imaginer petite, et on m’a largement encouragée par la suite à l’école, dans mes études et  dans le cadre professionnel. Contre vents et marées. Parce que je lis, parce qu’on m’a inondée de lecture étant un bébé, afin de développer mon sens critique, mon Moi unique, qui me  donne l’éclairage d’une femme libre et déterminée à le rester. Si on ne pense pas par soi-même on ne pense pas du tout.

Je n’ai donc jamais accepté d’intrusion dictatoriale dans ma vie privée, et encore moins accepté qu’un conjoint me dicte ma conduite, et cherche à me formater. Jamais, je n’ai laissé de place à la violence, quelle qu’elle soit. Mais je ne contrôle pas la peur de l’autre, ses excès, et son manque de maîtrise ainsi que ses influences. Aucune n’est à l’abri de la malveillance, et du manque de confiance en soi d’un conjoint, qui peut se croire au-dessus des valeurs morales et des lois. Aucune !

Alors, les violences verbales, physiques et financières sont aussi venues un jour me frapper, avec tous leurs misérables arguments qui ne sont que des prétextes. Un jour, pas deux. Parfois, certains traumatismes sont successibles d’anéantir une femme et ses enfants. Toutefois, quoiqu’il trouve, la vie continue. Est-ce pour autant qu’une agression, une tentative de meurtre même, doivent me faire entrer en trau-mutisme ?!

Je peux choisir un jour de cesser mon ascension si la réalité devient moins belle que mes  rêves.

Eh oui : je ne suis, et ne serai jamais ce pauvre Sysiphe. Encore moins la victime d’une victime. Ce n’était, et n’est pas encore, l’heure de quitter ma vie, celles de mes proches et de mes amis. D’Épicure à Rabelais, en passant par l’ironie de Bernard, et le dandysme des  Wilde, Huismans et Byron. Ils sont tous là, présents, solidaires, attentifs. Tous, autour d’un tonneau pour faire, défaire et refaire le monde, à grands éclats de rire : « La vie est un  mauvais quart d’heure fait de moments exquis ».

Et je garde constamment en tête le poème de Rudyard Kippling « If » (1895), que me lisait père, et qu’il finissait en adaptant par « Tu seras une femme ma fille ». »

« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave ; et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils ».

♦  Le photojournaliste Ιdhir ΒΑΗΑ

Idhir Baha est un photographe et journaliste rédacteur franco-algérien, basé à Perpignan, et avec un pied sur les deux rives de la Méditerranée.

Après un parcours scolaire fait à Alger puis à Perpignan il part en classe préparatoire scientifique. Rapidement sa volonté d’observer le monde et sa passion pour le documentaire le rattrapent. Il s’inscrit en licence d’Histoire à Toulouse, et profite de ces trois années de cursus pour entreprendre une vie de voyages. C’est à ce moment qu’il se consacre d’abord à la photo de rue, puis lui vient naturellement le photojournalisme.

En 2018 et 2019, il assiste le photographe Ferhat Bouda dans sa résidence au Centre International du Photojournalisme de Perpignan et voit son travail être distribué par l’agence de presse Hans Lucas.

Depuis février 2019, il couvre la Révolution du sourire en Algérie et documente les jeunes dans la société de ce pays. Idhir crée la même année le Collectif Imal avec le photojournaliste Samir Maouche et est finaliste du grand prix Paris Match du photoreportage étudiant.

Idhir Baha se concentre avant tout sur l’humain, avec une attirance pour les problématiques liées à la jeunesse, et à la relation avec le territoire. Dans ce sens il a travaillé – et a collaboré avec plusieurs médias internationaux – dans le sud de la France, à Alger et en Kabylie.

*Prénoms d’emprunt

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Idhir Baha