Article mis à jour le 18 juillet 2024 à 09:29
Immersion dans la plateforme d’alerte SAMU-SDIS 66, centre d’appels et de régulation du 15 et des pompiers dans les Pyrénées-Orientales. Alors que la saison estivale bat son plein, le SAMU tire la sonnette d’alarme.
« Vous avez mal depuis combien de temps ? », « Une ambulance va arriver »… Dans l’open-space de la plateforme d’alerte SAMU-SDIS 66, nul brancard ni bistouri, pourtant le monde médical est bien là et la détresse se devine au bout du fil. Derrière leurs ordinateurs respectifs, sept assistants de régulation médicale (ARM) sont chargés d’autant de lignes téléphoniques. À cette équipe s’ajoutent un à deux médecins urgentistes chargés des cas les plus délicats et un à deux médecins généralistes qui répondent aux patients dont l’appel ne s’avère pas relever de l’urgence. En cette fin de matinée, le rythme permet encore la discussion, mais pas pour longtemps. Selon Olivier Rouquet, médecin urgentiste, dans l’après-midi, il devrait rapidement s’intensifier jusqu’à devenir à peine soutenable.
« Le 15 c’est un peu allô pizza »
« Le 15 c’est un peu allô pizza » s’indigne Laurent. Sa voisine de bureau, Virginie, ARM depuis 15 ans, va dans le même sens. Durant ses années de service, principalement à Nantes, elle a vu les équipes d’ARM varier du simple au quintuple. « On fait beaucoup plus d’assistanat, des gens appellent le SAMU pour savoir s’ils peuvent prendre un doliprane… L’autre fois, j’ai eu une dame qui appelait pour son mari, elle voulait lui faire une infusion, mais elle n’avait que du gingembre en poudre. Ils ne se rendent pas compte que c’est la même ligne d’urgence que celui qui appelle pour son enfant qui s’est noyé dans la piscine ». À la louche, l’ARM évalue : « on peut décrocher entre 60 et 110 appels journée », « 80 % de nos appels, c’est de la bobologie » ajoute-t-elle. Son collègue appuie : « il faut responsabiliser les gens, quand tu as de la fièvre tu n’appelles pas le 15 ».
Au-delà des appels les plus excentriques, flotte tout de même dans l’air comme un air de quiproquo. Il y a quelques jours, le préfet de Pyrénées-Orientales Rodrigue Furcy, relais des décisions de l’exécutif, précisait à propos du recours au service d’urgences à l’hôpital : « On doit se demander si le cas relève d’une urgence vitale. Si oui, il n’y a pas de questions à se poser. Si non, il faut se diriger vers une structure d’exercice coordonnée ou contacter le 15, sans se déplacer aux urgences pour éviter leur engorgement« . Pour Laurent, la stratégie du gouvernement est une impasse, « il ne faut pas encombrer les urgences on est d’accord ; mais pour ne pas encombrer les urgences on encombre les lignes téléphoniques ».
« Les gens sont en errance », un cri d’alerte face à la pénurie de médecins sur le terrain
Pour autant, chacun ici se rend bien compte que cet accroissement de la demande est dû à des changements structurels profonds. « On a beaucoup moins de médecins et ils sont de moins en moins joignables, alors la seule solution c’est d’appeler le 15… » constate Virginie. Une femme, au téléphone pour sa fille qui a mal au ventre depuis plusieurs heures, fait figure de cas d’école. Son médecin traitant en congé, elle s’est tournée vers le 15 après qu’SOS médecin, n’a pas donné suite à son appel. De plus, dans les Pyrénées-Orientales, c’est 7 % de la population de plus de 16 ans qui n’a pas de médecin traitant aujourd’hui. « Les gens sont en errance » témoigne Bruno Zanchi, médecin. Un manque de suivi dont les accompagnateurs téléphoniques subissent les conséquences : « Les patients sont de plus en plus exigeants, pressés, agressifs, ils reportent sur nous les carences du système de santé » nous révèle le praticien.
Le docteur Rouquet aux urgences de l’hôpital de Perpignan en juillet 2022.
Pour le docteur Rouquet, la pénurie de médecins « n’est pas tombée du ciel », elle a été « voulue et organisée ». « Le nombre de médecins créé dépend d’un numerus clausus, donc on savait il y a 30 ans combien il y aurait de médecins aujourd’hui… » explicite-t-il. Il nuance ensuite : « Alors peut-être qu’il y a certaines choses qui n’ont pas été envisagées comme la féminisation de la profession et le changement de mentalité des médecins… Le médecin qui fait 70h par semaine, ça n’existe plus. ». Son collègue B. Zanchi constate également ce qu’il voit comme la fin de la médecine libérale : « Les jeunes médecins ne veulent plus passer 12h au cabinet, travailler la nuit, être de garde… Alors il faut s’attendre à ce que les horaires de bureau de 8h par jour ne puissent pas soigner autant que 12h de consultation libérale ; déjà qu’on a moins de médecins, la carence ne va faire qu’augmenter ».
Quelles perspectives pour le milieu urgentiste en France ?
Dans la continuité d’un 15 qui paraît de plus en plus amené à traiter les maladies du quotidien, c’est tout le milieu urgentiste qui semble appelé à changer pour répondre à une demande toujours croissante. « La France est le seul pays où on rentre dans les urgences comme dans un moulin » constate O. Rouquet. Pour lui, les restrictions aux services d’urgence devraient bientôt être en vigueur dans tout l’Hexagone « c’est-à-dire que si vous allez aux urgences sans avoir appelé le 15 vous trouverez une porte close ».
En attendant, à Perpignan, c’est d’abord la logistique qui devrait évoluer. En effet, face à l’afflux d’appels, les lignes téléphoniques basiques sont devenues obsolètes. Le département attend des lignes de téléphonie « avancées » permettant de mettre les appels sur différentes files d’attente en fonction des besoins de l’appelant. Une innovation qui devrait nécessiter a minima 18 mois avant d’être opérationnelle.
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