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Pauline Pouvreau, le Capcir et l’élevage en héritage

Rencontre avec Pauline Pouvreau, jeune éleveuse de vaches à viande dans le Capcir. L'occasion d'évoquer tant son parcours et son quotidien que les dynamiques de la région ou de la profession.

Article mis à jour le 27 septembre 2023 à 14:21

Rencontre avec Pauline Pouvreau, jeune éleveuse de vaches à viande dans le Capcir. L’occasion d’évoquer tant son parcours et son quotidien que les dynamiques de la région ou de la profession.

« J’avais envie de faire vivre ce patrimoine »

Depuis cinq ans qu’elle est installée sur la commune de Puyvalador en tant qu’éleveuse de bovins, Pauline Pouvreau, 30 ans, apparaît comme l’une des figures dynamiques de la région. C’est au volant de son pick-up, sur les sentiers étroits des estives capcinoises, que la jeune éleveuse aborde avec nous son parcours et ses motivations. L’occasion de revenir sur son enfance dans la commune de Puigbalador, où ses grands-parents étaient déjà éleveurs. Très tôt, elle fait de l’élevage un objectif de vie futur. « C’était ma passion de pouvoir un jour élever des vaches, j’ai grandi là-dedans » admet-elle bien volontiers.

Ainsi, bien que poussée par sa mère vers une filière générale au lycée de Font-Romeu, la bachelière s’oriente d’office vers le milieu agricole une fois le diplôme en poche. De petit contrat en petit contrat, Pauline se livre à « une vie de nomade » et traverse la France à bord d’un camion aménagé. « Ça allait un temps » s’amuse-t-elle. Au bout de ce parcours initiatique, la jeune femme décide de revenir sur la terre qui l’a vu grandir. Un cheminement qui peut sembler limpide, mais qui n’était pas exempt d’incertitudes, notamment après plusieurs années passées loin de chez elle.

Avant de s’installer définitivement, elle se laisse une période pour se jauger. « Je m’étais dit, si j’arrive à retravailler une année complète ici… Parce que c’est le Capcir en fait, j’aime, mais y a quand même beaucoup d’inconvénients aussi ». Inconvénients au premier rang desquels les températures. La région, connue pour son climat hivernal austère n’a pas usurpé son surnom de « Petite Sibérie ». « Puis c’est quand même un milieu où tout le monde se connaît, c’est un peu clos, c’est particulier quand même… » ajoute-t-elle.

Mais ne vous y trompez pas, le Capcir, Pauline l’a dans le cœur et dans le sang. Une terre « pleine d’atouts », « magnifique, brute et sauvage ». Alors, après une formation d’un an et suite au succès de sa période probatoire chez des éleveurs de Fontrabiouse, elle décide de reprendre la ferme et les terrains laissés vacants depuis la retraite de ses grands-parents et de se lancer à son compte. « J’avais envie de faire vivre ce patrimoine » confie-t-elle.

De l’élevage « à taille humaine »

Arrivés en haut de l’estive, nous apercevons le troupeau en train de brouter dans un coin. Bâton en main, l’éleveuse descend donc du véhicule pour procéder à un contrôle de routine. Une tâche dont elle pourrait s’abstenir étant donné qu’une vachère, mise à disposition par le groupement pastoral, veille déjà quotidiennement sur les troupeaux de l’estive. « La vachère elle sait y faire, c’est son métier, mais moi j’ai besoin de les voir aussi » nous glisse-t-elle sur le ton de la confidence.

Son troupeau de limousines est composé de 45 mères et d’une quinzaine de veaux. Un petit cheptel selon les dires de l’éleveuse, qui a investi dans une quinzaine de mères supplémentaires depuis que son compagnon a tout quitté pour rejoindre l’aventure il y a quelques mois. À titre de comparaison certaines exploitations locales peuvent atteindre les 100 mères. Mais le couple n’aspire pas à tant et aimerait se stabiliser autour d’une soixantaine.

« C’est compliqué parce que c’est un cercle vicieux, normalement il faudrait grandir en permanence… Mais nous on aimerait plutôt se stabiliser et garder un troupeau à taille humaine parce qu’on essaie de faire de la qualité. Quand on a trop de bêtes on ne peut pas faire la même surveillance, le même travail que sur des petits troupeaux ».

Un parti pris qui « n’est pas forcément celui qui paye le plus », mais qui leur permet d’aller de l’avant « on est contents d’aller travailler et fiers de ce que l’on fait ». C’est aussi une démarche dont elle récolte les fruits auprès de sa clientèle, en grande partie composée de particuliers locaux contactés par bouche-à-oreille. L’éleveuse vend également une partie de sa production à une coopérative et devrait bientôt reprendre son partenariat avec le boucher de Formiguères.

L’impasse du bio

Dans sa quête d’une agriculture respectueuse et qualitative, la jeune Catalane a désiré s’inscrire dans une démarche biologique dès le départ « par conviction ». Mais confrontée à l’explosion des coûts induits par la labellisation, l’éleveuse s’est retrouvée dans une impasse. Un crève-cœur pour l’agricultrice : « On nous a beaucoup poussés à nous installer en bio, mais derrière la commercialisation ne suit pas. Dans les coopératives, ils ne payent pas mieux le bio. Et les bouchers d’ici ne sont pas intéressés parce qu’ils ont déjà du très bon local ; et finalement les débouchés en bio sont compliqués… ».

C’est donc à contrecœur qu’elle a récemment renoncé à l’onéreuse labellisation. L’agricultrice garde cependant la conviction d’être dans une démarche écologique « C’est presque comme si on faisait déjà du bio, si on ne bombarde pas nos animaux avec des antibiotiques, on ne peut pas faire plus bio que ce qu’il y a ici, tout ce qu’il y a autour de nous est naturel ».

Plongée dans le quotidien d’une éleveuse : une passion qui a un coût

Alors qu’elle a procédé au décompte des bovins paissant çà et là, un veau semble manquant. De quoi inquiéter la fermière qui déambule entre ses bêtes pendant de longues minutes. « Soit je ne l’ai pas vu, soit c’est très inquiétant… » nous indique-t-elle le visage fermé. Finalement, l’animal, malade, est retrouvé à l’écart du troupeau. Son cas nécessitera toute une logistique de soins. « Quand on travaille avec le vivant, on est confronté à beaucoup d’imprévus » relativise-t-elle. Cette année, le sort semble tout de même s’acharner. Une de ses génisses est morte des suites d’une piqûre de vipère, tandis que deux autres risquent de devoir être abattues après que l’eau communale ait été contaminée au gasoil.

Pas le temps de respirer donc pour Pauline et son compagnon, d’autant qu’ils sont depuis peu devenus parents. Une parentalité aux airs de challenge pour celle qui n’a pas pris un week-end depuis 4 ans. « Quand on a des enfants ici, on leur offre un cadre de vie qui pour moi est privilégié… Mais c’est sûr que quand on a ce métier-là on n’est pas hyper disponible ». Les contraintes du métier obligent souvent les parents à adopter une formule de garde alternée qui nuit forcément aux moments de famille. Mais l’éleveuse ne désespère pas de trouver un modèle qui leur permettrait de profiter davantage de leur enfant « le but c’est quand même d’arriver à prendre des vacances une ou deux fois par an ».

En plus de nécessiter une présence de tous les instants, le métier d’éleveur est laborieux et exigeant, « tout est très technique » note Pauline. « C’est une passion, sinon on ne peut pas faire ! » prévient l’agricultrice. « C’est tellement contraignant et difficile que si ce n’est pas une passion, on peut ne résiste pas » ajoute-t-elle dans un rire.

L’abattage des bêtes fait également l’objet d’un apprentissage difficile, « ça me coûte encore aujourd’hui » nous révèle la Capcinoise la voix serrée. « Les premiers temps, la journée où j’allais à l’abattoir, fallait pas me parler », renchérit-elle. « Après on s’insensibilise un petit peu parce que si on doit être malade en permanence, c’est pas la peine… ».

Une jeune femme éleveuse en Capcir : un profil triplement singulier ?

Période de l’année oblige, l’heure est venue pour notre interlocutrice d’enfourcher son tracteur afin d’aller faucher dans les champs mitoyens de la commune. Le chemin du retour est pour nous l’occasion d’aborder plus en profondeur les dynamiques de la région et de la profession.

« Engager la féminisation de la profession ». C’est par ces mots que Carole Delga a récemment annoncé la mise en place d’une subvention à hauteur de 2000 euros pour les agricultrices qui souhaiteraient s’installer dans la région. Le profil de Pauline peut donc sembler détonnant dans une branche qu’elle décrit elle-même comme « un milieu d’hommes ». L’agricultrice n’a cependant pas eu à faire face au sexisme souvent décrié dans le milieu, si ce n’est le traditionnel « Est-ce que je peux voir le patron ?» de certains intervenants. En connaisseuse du milieu, elle note d’ailleurs que son cas ne fait pas figure d’exception. « Je remarque qu’il y a de plus en plus de femmes qui font ce métier », « et qui font tout », s’empresse-t-elle d’ajouter. Une précision nécessaire alors qu’auparavant les femmes étaient souvent cantonnées à certains domaines comme le soin des bêtes.

De même, alors que selon les chiffres de l’INSEE 50 % des exploitants agricoles partiront à la retraite dans les dix années à venir, le Capcir est relativement épargné par cette crise des vocations. Évidemment, le modèle n’est pas le même que dans le temps lorsque chaque famille était agricultrice, notamment du fait du fort exode rural qui a frappé la région dans l’après-guerre. Les exploitations sont aujourd’hui moins nombreuses mais avec de plus grosses surfaces. « Dans toutes les autres exploitations il y a des jeunes de la famille ou des jeunes hors du cadre familial qui s’installent, c’est quand même dynamique je trouve ». Un état de fait qu’elle explique notamment par les aides à l’installation en vigueur dans la région. Des aides de la PAC ou de la région « justifiées par les contraintes du territoire » qui jouent leur rôle incitateur. Une aubaine pour Pauline qui semble partie pour rester.

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