Article mis à jour le 6 juin 2023 à 08:56
Si 2020 a apporté son lot de surprises au niveau sanitaire, le Père Fouettard a déjà dans sa hotte pour 2021 un nombre croissant de plans sociaux, la hausse du chômage et son corolaire d’accroissement des allocataires des minima sociaux.
Nous avons évoqué ces sujets avec Jérôme Capdevielle ; Secrétaire départemental de Force Ouvrière et Président de la Caisse d’Allocation Familiale des Pyrénées-Orientales.
♦ Même les entreprises non rentables avant-crise sont dans une bulle de protection
« Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où le monde du travail est sous une bulle de protection. Même les entreprises qui n’étaient pas rentables avant la crise sanitaire – ou vouées à l’échec – sont maintenues par cette espèce de cocon. Ce sont autant de personnes en moins au chômage suite à la liquidation de leur employeur. Ces salariés sont maintenus dans le marché de l’emploi grâce au dispositif du chômage partiel. La protection sociale et l’ensemble des amortisseurs sociaux ont été déployés par le gouvernement.
Nous sommes dans un pays où la Sécu fête ses 75 ans ; et même si parfois on parle d’elle comme d’une vieille dame, elle est loin d’être has been. Au contraire, elle est d’une profonde modernité et a su s’adapter sur bon nombre de volets.
La sécu, ce sont des outils mis à disposition des partenaires sociaux ; mais aussi des gouvernements. Et il a actionné ces leviers – parfois pas assez à mon goût – mais il faut avouer qu’il y a une réelle mise sous protection des salariés, des outils travail, et des entreprises elles-mêmes. À tel point que cette situation gelée pérennise de manière artificielle les entreprises malgré l’absence d’activité.
♦ Cette bulle est protectrice, mais à un moment donné, elle éclatera
Même si on espère tous une reprise d’activité dans un monde sécurisé. Mais nous devons tous être vigilants sur la préparation de l’éclatement de cette bulle. Plus vite nous arriverons à rebondir, mieux nous préserverons l’emploi ; même si, pour certains secteurs, ce sera plus difficile que pour d’autres.
Je pense notamment aux restaurateurs, à l’hôtellerie. Cafés, restaurants ne vont pas se mentir. C’est, pour moi, un point vigilance important. Parce qu’il va y avoir de la casse chez nous dans ce secteur-là.
♦ Aujourd’hui, il y a déjà de la casse sociale
Car certes, il n’y a pas encore de vague de licenciements ; mais il n’y a plus non plus d’embauche en intérim, de contrat à temps partiel ou de contrat étudiant. Aujourd’hui, des étudiants sont à la rue ! Les jeunes sont les plus impactés par la crise ; un glissement s’est fait. Ils ont perdu énormément de subsides pour arriver à joindre les deux bouts. On les croise de plus en plus au niveau des banques alimentaires. C’est vraiment tragique ! Y compris dans le département.
Beaucoup d’allocataires se retrouvent dans des situations d’interdépendance par rapport aux banques alimentaires. On ne le mesure pas aujourd’hui au niveau des chiffres du chômage ; mais pour les chiffres du RSA, nous sommes quand même sur une augmentation de 10 points.
Certaines personnes glissent inexorablement : elles sont en fin de droits, n’ont pu ni travailler cet été, ni recharger leurs droits au chômage. Et le RSA est leur seul filet de protection et c’est le dernier, c’est la dernière option.
Au niveau national et macroéconomique, il va falloir trouver des solutions autres que l’austérité, le serrage de vis permanent et l’exil vers le moins cher.
Quand on regarde le secteur de la santé, on voit bien qu’on est à l’os ; et à force de gratter l’os, on finit par toucher la moelle. Nous nous sommes retrouvés avec un système de santé qui périclite, incapable de rebondir face à une situation d’extrême urgence. Il faut donc s’interroger sur les investissements qui, certes coûtent aujourd’hui, mais sont nécessaires pour demain.
♦ Porter le dossier d’une unité hospitalière sécurisée dans les Pyrénées-Orientales
Nous souhaitons aussi être force de proposition. Outre la construction d’une deuxième prison, je souhaiterais porter le dossier de création d’une unité hospitalière sécurisée*. Ce projet représente environ une centaine d’emplois directs ; mais aussi des emplois indirects liés à l’activité.
Par ailleurs, il faudrait attirer un ou deux fleurons pour favoriser un socle d’emplois pérennes à forte valeur ajoutée ; ce qui contribuerait à une ossature économique forte sur le département.
Nous devons également tirer parti du plan de relance sur le département ; même s’il est largement insuffisant. Nous avons des problématiques et des atouts bien spécifiques.
Et nous avons aussi un Premier ministre qui connaît bien les Pyrénées-Orientales. Il va falloir qu’il mouille un peu le maillot !
Je peux comprendre qu’aujourd’hui son attention soit prioritairement portée sur la gestion de la crise sanitaire. Mais une fois que nous y verrons plus clair, il faudra trouver des solutions pour le département dont il est issu. Parce que l’attente est forte et c’est une opportunité qu’il faut saisir.
♦ Nous devons arriver à faire des bons coups sur les implantations d’entreprises…
…. Et ainsi nous permettre de respirer un peu mieux ; cela fait trop longtemps que c’est atone, trop longtemps que l’on joue les premiers rôles au niveau du taux de chômage et de la précarité. Il faut un électrochoc, obtenir un certain nombre d’engagements, des signaux forts. Et je souhaite que nous jouions un rôle moteur sur l’emploi.
On appelle cela comme on veut – les assises de l’emploi ou autre – mais il va vraiment falloir nous nous mettions tous au chevet de ce département pour trouver des solutions.
La morosité ambiante est bel et bien présente ici ; et depuis bien longtemps. Il va absolument falloir que nous sortions de cette ornière, cette ornière de la solidarité, et que nous retrouvions foi en la valeur travail. Parce que certes, nous sommes solidaires, mais je ne peux pas me satisfaire de cela. J’aimerais que nous inversions les indicateurs au niveau du RSA et que ce chiffre cesse d’augmenter.
♦ Les Pyrénées-Orientales sont en décrochage tectonique par rapport à l’Hexagone
J’ai rencontré un certain nombre de politiques pour en discuter, commencer à élaborer un certain nombre de schémas directeurs, et tenter de trouver des terrains sur lesquels nous pouvons agir et rebondir.
Les politiques me disent qu’il y a une volonté d’implantation d’entreprises, mais cela ne suffit plus ; il faut un tableau de bord sur le volet transport. Aussi bien sur la Ligne à Grande Vitesse – qui doit être jugée d’utilité nationale – que sur la ligne aérienne. Car la fragilité de l’aéroport de Perpignan est aussi un élément négatif qui n’encourage guère le business. Il va falloir donner de la visibilité, de la pérennité sur la jonction aérienne Perpignan-Paris par avion.
Personnellement, j’attends un engagement concret de la part de l’État. Qu’il y ait une prise en main au niveau de Matignon du volet transport à Perpignan. Je me souviens lors du déplacement de Mesdames Pénicaud et Ndiaye**, je leur avais dit « Bienvenue en Outre-Mer ». Parce oui, en termes de transport, nous sommes carrément en décrochage tectonique par rapport à l’Hexagone.
♦ Un coup de pouce sur le SMIC et le dégel du point d’indice
Le SMIC est un des indicateurs ascensionnels sur le volet salarial, c’est une évidence. Quand on bouge le SMIC, on voit bien qu’il y a un effet ressort sur les salaires. À un moment donné, ces signaux-là aussi vont devoir être donnés.
Sortons du tabou, on gèle tout et le pouvoir d’achat n’augmente pas. Non !
Nous avons besoin que les ménages puissent consommer ; qu’ils ne soient pas dans un réflexe d’économiser. Ils économisent parce que les lendemains risquent d’être durs. On est aujourd’hui dans une espèce de crispation où tout le monde se recroqueville sur soi en espérant que la foudre ne tombe pas trop et surtout pas sur lui. Non ! Il va falloir qu’on arrive à retrouver espoir dans le lendemain.
J’ai été profondément déçu que le gel du point d’indice soit maintenu. Vraiment, je trouve que ce n’est pas normal ; alors que, durant le confinement, la fonction publique a été exemplaire dans bon nombre d’endroits. Elle a fait du lien social, a répondu à la problématique, et a souvent été en première ligne.
La prime Covid a été un véritable flop et a opposé les uns aux autres ; alors que si on avait augmenté de 2% le point d’indice, cela aurait été beaucoup plus efficace. Un dégel du point d’indice représente une revalorisation du pouvoir d’achat de 20% ; de l’argent réinvesti dans l’économie par la consommation.
♦ Quid des négociations sur le télétravail ?
Le télétravail a fait un énorme bond en avant. Diverses études parlent d’un bond de 5 ans. Ce qui aurait dû être mis en place en 5 ans, l’a été en trois jours et dans la précipitation. En l’espace de quelques jours lors du premier confinement, les salariés, les managers et les employeurs ont dû revoir de fond en comble l’organisation de travail.
Ce nouveau phénomène a suscité beaucoup d’interrogations de part et d’autre ; de la part des employeurs mais aussi de la part des salariés. C’est pour cela qu’il était important d’ouvrir des négociations d’un accord national interprofessionnel.
♦ Les sujets qui fâchent dans le télétravail ?
- Quel matériel ? L’ergonomie des postes de travail ? Il faut que les employeurs mettent la main à la poche sur ce point.
- La production : il faut réfléchir à l’encadrement des pratiques, au volet managérial. Donner une consigne ou un ordre verbalement, ce n’est pas pareil que lorsque cela passe par l’écrit.
- Est-on plus productif cantonné à la maison ? Ou cantonné sur son poste de travail dans l’entreprise ?
- Les dégâts sociaux, mais aussi relationnels ?
- L’isolement professionnel ?
- La souffrance au travail ?
♦ Il y a beaucoup de sujets connexes au télétravail
C’est un sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît. La négociation portait sur deux axes : Le premier concernait le télétravail en période normale ; et le second sur des périodes exceptionnelles comme celle que nous vivons.
Alors que le gouvernement affirme que le télétravail doit être la règle, nous demandons d’éviter le dépassement de deux, voire trois jours en télétravail. Cela permet de faire des rotations dans les équipes et de garder le lien avec l’entreprise, les collègues, de conserver l’esprit d’équipe. L’objectif est d’éviter l’isolement et la souffrance qui en découlent.
Les études montrent qu’au-delà de deux jours, on a des risques de décrochage. Les situations de démission ou les procédures de licenciement concernent également plus les télétravailleurs que les salariés en présentiel.
♦ Aujourd’hui le télétravail, c’est le flou !
Le télétravail d’aujourd’hui est basé sur une réglementation « has been« . Le télétravail était une option négociée au sein de chaque entreprise ; et aujourd’hui, on bricole avec cette réglementation. Les solutions sont mises en place à la carte en fonction des entreprises.
Prenons exemple sur la Caisse d’Allocations Familiales des Pyrénées-Orientales. Aujourd’hui, la CAF fonctionne en présentiel pour l’accueil physique et un peu de la production des dossiers ; mais tout le reste est en télétravail. Mais surtout, c’est sur la base du volontariat. Et il faut aussi voir l’investissement colossal en dotation de matériel informatique ! Un gros travail avait été fait depuis 4 ans sur le sujet ce qui a permis d’être très rapide et efficace lors du premier confinement.
Notre volonté dans cette négociation est d’éviter le télétravail permanent ; c’est-à-dire 100% des jours de travail en distanciel. L’un de nos premiers axes de réflexion est de procéder sur le mode du volontariat du salarié. L’employeur ne pourrait donc pas imposer le télétravail. Ce dernier n’a pas de contrainte hormis dans le cas d’un salarié dit à risque.
Actuellement, il n’y a pas vraiment de contrainte, ni d’un côté, ni de l’autre. Aujourd’hui, on est dans une espèce de flou.
* Une unité hospitalière sécurisée interrégionale est une unité prenant en charge les hospitalisations programmées de plus de 48 heures des personnes détenues au sein d’un établissement public de santé français.
** Muriel Pénicaud et Sibeth Ndiaye étaient venues dans le département en janvier 2020. A l’époque elles étaient respectivement, ministre du travail et porte-parole du gouvernement.
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