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Je m’appelle Samir, ou Samos sur Snap : mon sourire est devenu ma signature

France, Perpignan, 2021-09-20. Samir aka Samos, influencer on social networks SnapChat, TikTok of the Saint Jacques district. Photograph by Arnaud Le Vu / Hans Lucas.
France, Perpignan, 2021-09-20. Samir aka Samos, influenceur sur les reseaux sociaux SnapChat, TikTok du quartier Saint Jacques. Photographie de Arnaud Le Vu / Hans Lucas.

Article mis à jour le 6 juin 2023 à 09:33

J’ai 24 ans, je suis né dans le quartier du Bas-Vernet. Quand j’avais 4 ans, je suis tombé et je me suis cassé les dents de devant. À l’école, en grandissant, c’est devenu une source de moqueries. On me disait que j’avais une sale gueule, et on me traitait aussi de sale arabe.

À l’école, j’ai pété un plomb

Par la suite, le collège ce n’était pas trop mon délire ; j’avais un problème aux doigts et je n’arrivais pas bien à écrire. J’étais en 3ème SEGPA, et j’avais besoin d’une demi-heure de plus pour suivre. J’ai fini par péter les plombs.

J’ai quand même intégré un cursus en mécanique. J’étais content, je faisais plus de stages que d’école. Mais je n’ai pas trouvé d’emploi dans la branche, ni ailleurs non plus. J’ai essayé dans la vente, à la plonge… J’avais 17 ans, et quand je déposais mon CV, on me disait, on vous rappelle ; mais ils ne le faisaient jamais… Et puis, une fois, on m’a dit : « Regarde ta tête, ça va pas passer ici. Je ne veux pas d’un jeune des quartiers chez moi ! ».  Au départ, je ne comprenais pas pourquoi personne ne voulait de moi. Même pour les stages, les profs devaient m’accompagner. En grandissant, j’ai fini par comprendre que ce qui les dérangeait, c’était mes origines, mon quartier, ma dégaine, mon sourire édenté.

Une fois, je suis allé à un truc via Pôle Emploi. On était 5, ils ont pris les 4 autres, mais pas moi. Clairement, c’est mon aspect physique qui a fait la différence. Je suis aussi allé à la Mission Locale, mais on ne me proposait que des formations ; et moi ce que je voulais c’était travailler pour avoir une paye.

Je me suis dit qu’à Perpignan c’était mort, que je n’avais plus aucune chance

Avec un collègue, on s’est dit qu’on allait partir d’ici. D’abord, on a pensé à Paris ; mais à Paris, il y a déjà trop de monde qui cherche ou en galère. Alors, on a décidé d’aller ensemble à Lyon. On a pensé qu’à deux, ce serait plus facile de chercher du travail. Mais au final, à Lyon aussi c’était la galère. Certes, il y a plus de places disponibles au 115 ; mais il faut se dépêcher pour ne pas être obligé de dormir dehors. Après beaucoup de démarches, mon collègue a fini par trouver un boulot ; mais toujours rien pour moi.

Sur Snap, des gens que je ne connaissais pas ont commencé à bien m’aimer

Je suis revenu à Perpignan. Un soir, on traînait au Bas-Vernet, et avec un pote du quartier on a commencé à parler sur Snap. Farid c’était comme un grand frère ; c’est lui qui m’a empêché de faire trop de conneries. Sur Snap, des gens que je ne connaissais pas ont commencé à bien m’aimer. Après, il y avait BillyBZ, Nasser, moi je suis arrivé sur la fin. Et maintenant on fait des vidéos avec la Nasdas Team, et on fait des millions de vues. On nous paye pour qu’on parle d’une marque, ou qu’on se filme devant une boutique. Aujourd’hui, j’ai un manager, je suis sous contrat et je gagne ma vie avec ça. On nous appelle de partout pour qu’on fasse des snaps avec eux.

Les vidéos, la team, et le fait de devenir père, ça m’a un peu posé

Du côté personnel, j’ai deux enfants, un garçon et une fille de 2 et 3 ans ; et même si je suis séparé de leur mère, je les vois très souvent. Le fait d’avoir des enfants, ça m’a un peu calmé. Avant, j’ai fait quelques bêtises, conduite sans permis entre autres. Je suis d’ailleurs en ce moment suivi par le Spip*, en contrôle judiciaire, j’ai dû prouver que j’avais un travail. Et comme influenceurs, ça ne leur allait pas, j’ai trouvé un travail ; je fais des nettoyages le matin.

Aujourd’hui, je veux le bonheur pour mes enfants. Ils sont encore tous petits, mais ils vont déjà à l’école. C’est important l’école. Pour eux, je vais faire en sorte qu’ils ne vivent pas les traumatismes que j’ai moi-même vécus enfant. Parce que c’est pas cool de se faire traiter de sale arabe dans la cour d’école. De se faire discriminer parce qu’on a une sale gueule. Je voudrais que mes enfants ne grandissent pas dans un quartier comme moi. Je voudrais qu’ils aillent dans une école de village.

Nous, aussi dans les quartiers, on a le droit d’avoir notre chance

Parce que maintenant, je crois que c’est encore pire qu’avant ; et je crois que ça ne va pas aller en s’arrangeant. Beaucoup sont racistes. Ça se voit à leur tête directement, ils passent, ils te regardent mal, comme si tu étais différent. Mais on est comme tout le monde. Nous, aussi dans les quartiers, on a le droit d’avoir notre chance. Mes enfants, j’aimerais qu’ils aient un métier plus fiable qu’influenceur quand même, avocat, par exemple.

Je ne sais pas si le truc sur Snap va durer toute la vie, mais à côté on se bouge, on a fait des t-shirts, on va peut-être monter des commerces. Aujourd’hui, je n’attends plus d’être embauché quelque part ; je veux créer mon propre emploi. Et j’ai envie de donner une chance aux jeunes du quartier.

J’ai encore un peu la haine envers ceux qui m’ont mal regardé, et qui maintenant veulent que je les cite sur Snap. Aujourd’hui, les mêmes qui me regardaient mal me sourient, et c’est une sacrée satisfaction. La roue tourne pour tout le monde.

Aujourd’hui, j’ai envie de témoigner de cette solidarité qu’il y a entre nous, Nasdas, 4BDV, Tounsi et BillyDZ. Mais aussi pour que ceux qui seraient dans la même situation que moi à 17 ans ne fassent pas les mêmes conneries que moi j’ai faites. Je n’ai même pas envie de refaire mes dents, c’est devenu ma signature. Maintenant, on me regarde avec le sourire, comme quelqu’un qui a réussi.

“Colonnes d’expression”, un projet de Made In Perpignan

Pour accompagner les jeunes dans leurs envies de se raconter et de témoigner des discriminations racistes, antisémites mais aussi anti-LGBT. Jeunes ruraux, urbains, étudiants, lycéens, travailleurs, chômeurs, riches, pauvres, engagés ou non… Ils ont tous quelque chose à raconter !

Régulièrement en 2021, nous publierons leurs témoignages (textes, images, stories) qui seront réalisés en atelier avec l’aide de nos journalistes. De quoi offrir un panorama original et vivant du quotidien de la jeunesse en France confrontée à ces discriminations. Ce projet a reçu le soutien de la DILCRAH pour 2021.

  • Spip = Service pénitentiaire d’insertion et de probation

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Maïté Torres