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L’enjeu de l’alphabétisation pour les enfants gitans de Perpignan

Article mis à jour le 22 novembre 2024 à 07:40

Les 2 écoles à l’Indice de position sociale* le plus faible de métropole sont à Perpignan. Il s’agit des écoles fréquentées en majorité par les enfants des habitants des quartiers Saint-Jacques et Nouveau Logis. Des quartiers où se concentre la communauté gitane. Des difficultés sociales qui impactent la scolarisation des enfants.

Apprendre par le chant et les chansons

Face à ce constat, de nombreuses actions sont menées, dont celles menées par Véronique Cipolat et Corinne Escobar via la Politique de la Ville.

Véronique Cipolat et l’association Un Espace interviennent dans le quartier du Nouveau logis depuis 13 ans.

Plus d’une décennie à accompagner les enfants déscolarisés vers l’apprentissage de la langue. « Par le chant et la musique, les enfants apprennent le français, l’expression orale, et à mémoriser. Et au fur et à mesure des années je me suis aperçu qu’il y avait un réel problème d’illettrisme parmi ces enfants qui ne vont pas à l’école ».

« Quand je vois en enfant de 12 ans qui sait à peine écrire son nom, ça m’interpelle »

Selon Corinne Escobar, à l’été 2021, les services de l’État ont lancé une évaluation de l’illettrisme, et les résultats sont sans appel. Il fallait donc aller au-delà de la présence de Véronique Cipolat le mercredi après-midi. Depuis janvier 2022, Corinne Escobar, déléguée du Préfet à la politique de la ville a souhaité lancer un nouveau dispositif, « Stop illettrisme« . « Depuis janvier 2022, la Préfecture et moi-même avons initié quelque chose qui n’existe nulle part ailleurs. Comment lutter contre l’illettrisme des enfants de la communauté gitane en s’appuyant sur l’existant ».

Et dans ce cas sur l’association de Véronique. « Depuis le début de l’année, nous avons développé notre propre temps d’intervention et lui avons donné une nouvelle teneur. En plus du mercredi, les mardis et les jeudis soir, des étudiants, un service civique, un adulte relais interviennent ». Mais comment faire la classe à ces enfants qui n’ont pas tous les codes ? Corinne Escobar, nous précise que Stop illettrisme utilise des « pédagogies détournées ». « Nous ne sommes pas dans le b.a.-ba classique, nous essayons de passer par des choses qui les intéressent, les jeux, la musique, les animaux ».

Des résultats encourageants qui mettent en lumière d’autres problématiques

Des nouvelles méthodes qui fonctionnent selon la déléguée à la politique de la ville. « Le programme est victime de son succès. Avec les moyens alloués, nous ne pouvons accueillir que 15 ou 20 enfants par soir. Nous avons dû refuser des enfants« .

Selon Corinne Escobar, « c’est la première fois que la Préfecture se saisit en direct d’un besoin. Et nous nous sommes appuyés sur Véronique qui était déjà bien implantée sur le terrain et avait la confiance des enfants« .

Mais cet accompagnement incite également certains enfants à reprendre le chemin de l’école. Selon Corinne Escobar, dès janvier février, il y avait une hausse des retours en classe de 30%. Ce qui ne va pas sans poser des difficultés, et notamment au niveau du transport. En effet, l’école Léon Blum est située à plus de 2 kilomètres du Nouveau logis. Pour conduire les enfants vers leur école, la mairie a mis en place un service de bus. Moyen devenu insuffisant compte tenu du succès de « Stop illettrisme, précise Corinne Escobar.

Dans le quartier du Nouveau Logis, il semble difficile de laisser son enfant à la porte du bus. En effet, les mères souhaiteraient accompagner les enfants dans le bus, mais cela est interdit. Véronique d’insister ; « Quand tu mets ton enfant à l’école pour la première fois, tu as envie de l’accompagner devant la porte de l’école. S’il se met à pleurer devant l’école c’est une chose, mais là aux pieds du bus, devant toute la famille, c’est compliqué, et souvent les mamans reprennent leur gamin, en disant, il pleurait ».

01/09/2020, Perpignan, France, Rentree scolaire ecole primaire covid-19 © Arnaud Le Vu / MiP

Les grains de sable qui enrayent le retour en classe des enfants de la communauté gitane

Mais pourquoi les enfants de la communauté gitane ne vont-ils pas à l’école ? Chercheurs et sociologues se dont déjà interrogés sur le sujet. Parmi les problématiques, celle de la séparation d’avec la maman. L’association le Fil à métisser organise régulièrement des groupes de parole pour tenter de lever les freins face à cet enfant qui pleure parce qu’il ne veut pas aller à l’école. Dans la culture gitane, l’enfant est considéré comme une personne à part entière.

Selon David, gitan, marié et père de deux garçons, « les enfants sont laissés plus libres, un peu livrés à eux-mêmes, ils doivent en fait acquérir de l’expérience à travers les situations. Ils vont voir faire, ils vont reprendre des comportements par rapport aux adultes, par rapport à toute la communauté.

C’est par l’observation, l’apprentissage ». Difficile dans ces conditions de le contraindre à rester assis des heures durant derrière un pupitre. Lilly, mère et grand-mère, de déclarer : « nous, nous ne vivons pas pareil par rapport aux non-Gitans. Dès que les petits sont nés, nous leur parlons gitan : ils se retrouvent dans une école où la maîtresse parle français ! Donc ils n’avancent pas beaucoup… Les rythmes aussi sont différents : les enfants chez nous se couchent très tard et ils ne peuvent pas se lever le matin. (…) Nous avons besoin d’être dehors, de nous retrouver, de discuter. (…) Il faut qu’on bouge, on dirait que le voyage nous manque alors que nous ne voyageons plus !… Alors l’école… l’école ! Je trouve que nos enfants se sentent tellement enfermés : tant de temps assis à un bureau alors qu’ils bougent sans arrêt dans le quartier ! » 

01/09/2020, Perpignan, France, Rentree scolaire ecole primaire covid-19 © Arnaud Le Vu / MiP

Les chiffres de scolarisation à Perpignan ?

Selon un témoignage relayé par le syndicat SNUipp FSU* des Pyrénées-Orientales en juin 2021, les enseignants faisaient état d’une scolarisation qui s’est « effondrée » depuis la crise sanitaire. « Il y a des enfants inscrits sur ma liste de classe que je n’ai jamais vus depuis le début de l’année », indique sans détour Lise Naranjo, adjointe à l’école Hélène Boucher située au nord de Perpignan et scolarisant une proportion d’environ 60 à 70 % d’enfants d’origine gitane.

Une situation qui se retrouve sur l’ensemble des écoles de la commune scolarisant des élèves gitans. « Alors qu’on avait un peu réussi à remonter la pente jusqu’à près de 73 % de taux de présence, on n’atteindra pas 50 % cette année », indique Carole Duhale, directrice de l’école depuis 15 ans.

Saint Jacques

Quid de l’école au cœur du quartier Saint-Jacques, La Miranda ?

Selon le SNU, la situation est compliquée depuis la création même de l’école, il y a 15 ans. « Une moyenne de 10 enfants le matin et 90 l’après-midi sur 240 inscrits », précise la directrice de la Miranda. Il y a bien quelques réussites avec les enfants de celles et ceux qui ont fréquenté l’école, il y a peu. « On commence à avoir des toutes petites sections qui viennent à l’école et pour l’équipe, c’est une petite victoire que des mamans gitanes acceptent de nous confier leur enfant si jeune », se rassure-t-elle.

Et l’équipe ne lâche rien. Aidée par les deux médiatrices de l’école, Emmanuelle dresse avec régularité la liste des enfants absents. « J’effectue 90 signalements par mois, près de 800 à l’année. Quelques familles ont dû suivre des stages de parentalité, mais sur la trentaine que j’ai pu recenser, aucune n’a remis son enfant à l’école », constate-t-elle non sans une certaine amertume.

*L’indice de position sociale (IPS) des élèves est utilisé pour étudier et décrire les populations scolaires dans les écoles, collèges et lycées. La valeur de cet indice pour un établissement permet de savoir si les élèves sont en moyenne issus d’un milieu social plus ou moins favorable aux apprentissages.
**Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des Écoles et PEGC, affilié à la FSU

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Maïté Torres