Article mis à jour le 25 juin 2024 à 22:35
À écouter cette infirmière des Urgences en grève présente aux pieds du Castillet ce matin, c’est une certitude. Médecine de ville, spécialistes, EHPAD*, psychiatrie, le parcours de soin n’est plus adapté aux besoins des usagers du département. Un constat partagé par le tiers des services d’Urgences de France toujours en grève ce mercredi malgré les annonces gouvernementales.
« Les Urgences, c’est une poubelle ! Les gens viennent car ils ne savent plus quoi faire. Ils ont trop de mal à voir un médecin, à avoir des rendez-vous chez des spécialistes. Dans les établissements spécialisés, quand il n’y a pas de médecin sur place, on envoie les patients aux Urgences par sécurité. Pour éviter une plainte de la famille. Sauf qu’aux Urgences, il n’y a que 2 médecins et 2 infirmières … Le problème réside donc principalement sur les personnes âgées polypathologiques qui vont rester des heures. Ce sont elles qui sont en danger aux Urgences. »
Des conditions de travail et donc de prise en charge dégradées
Selon l’urgentiste, tous les soignants sont concernés par ces conditions difficiles, aussi bien le médecin que l’infirmier.e. Malgré les recommandations des fascicules d’ergonomie, le corps encaisse mal les années de pratique. Les douleurs dorsales se réveillent à l’occasion des manipulations réalisées en situation d’urgence vitale.
Perpignan manque d’effectifs qualifiés, avec seulement une vingtaine de médecins au lieu de 46. Des praticiens eux même épuisés et en permanente recherche de lits, le précieux sésame qui fait défaut à l’hôpital aujourd’hui. L’infirmière souligne que ces places manquantes dans les services faciliteraient les hospitalisations.
« Nous gérons les soins, mais ce qui est compliqué, c’est qu’on est peu nombreux. Et les personnes âgées qui restent pendant des heures dans les couloirs, ce sont des changes, des massages de prévention. Ajoutez les nombreux patients qui arrivent toute la journée, il est devenu compliqué de trouver du temps pour le nursing des personnes âgées. Sans oublier que certaines sont démentes et essayent en permanence de se lever des brancards. Elles peuvent chuter, s’enfuir de l’hôpital, échapper à notre vigilance. C’est beaucoup de stress pour nous, car on est toujours inquiets pour eux. C’est LA population à risque des Urgences.
Faute de structures adaptées, ces patients détournent de plus en plus le service de sa fonction élémentaire. « Les urgences vitales, on sait les reconnaître. On est formé pour, et toutes les vraies urgences vitales sont prises en charge. Il est très très rare que l’on passe à côté d’un truc. »
« Une chaîne d’organisation à revoir »
Parcours de soin, maillage territorial, maison de santé, médecine de ville, spécialistes, EHPAD, ces sujets font débat depuis des mois. Pour cette infirmière plongée dans le quotidien des Urgences, ce ne sont pas que des mots, mais bien une réalité.
Beaucoup de patients viennent d’EHPAD. Pourquoi envoyer en permanence les patients qui peuvent être vu par des médecins dans leurs propres établissements ? Il y a toute une chaîne d’organisation à revoir pour éviter qu’ils arrivent aux Urgences. Ils ne se rendent pas compte… Même s’ils ne sont pas très bien, n’est ce pas toujours mieux d’attendre un médecin dans un vrai lit avec une surveillance appropriée ? Plutôt que de nous les envoyer, alors qu’ils vont rester sur des brancards inconfortables pendant des heures et des heures ! ».
« On prend la souffrance des gens, ainsi que la violence des familles et des patients »
Les Urgences sont sous pression. Ce qui conduit inexorablement à des situations inacceptables, et trop souvent banalisées. « On se fait insulter et agresser physiquement tous les jours. On travaille dans des conditions précaires. Ca fait 20 ans que je travaille, et l’environnement de travail s’est radicalement dégradé » poursuit la soignante.
« Pour prendre des rendez-vous chez des spécialistes, ce sont des mois d’attente. Les gens n’en peuvent plus, et ils viennent aux Urgences, car ils ne savent plus quoi faire. Idem pour la psychiatrie. Les patients psychiatriques qui sont en décompensation, dans des phases violentes, sont amenés par la police ou les pompiers. Et une fois aux Urgences, on nous les lâche en plein milieu du service. On va faire quoi nous les petites infirmières ? ».
« On a des hôpitaux psychiatriques. Mais non, il faut qu’ils passent d’abord par les Urgences pour être sûr qu’il n’y ait pas un problème somatique. Les Urgences ne sont pas un service fermé. Il y a donc un risque de fugue et d’agression, avec une responsabilité qui nous incombe. On a peur de se faire virer ou de perdre notre diplôme à tout moment ».
Quand santé rime avec business
« L’humain a quitté l’hôpital. On ne parle plus de patient, mais de client, et le client est devenu roi. On va le chouchouter pour qu’il n’y ait pas de vagues, et surtout pas de mauvaises pubs sur l’hôpital. » L’infirmière urgentiste est très critique vis-à-vis des dérives du système actuel.
« J’ai le sentiment que pour être bien soigné aujourd’hui, il faut payer. Les gens qui ont les moyens se sont tournés vers le privé. Donc on se retrouve avec une patientelle hospitalière en grande difficulté, voir en situation précaire. Plus ça va, plus la chirurgie se spécialise en cliniques privées. Les hôpitaux coûtent cher, c’est une réalité économique. Mais ils pensent tellement aux budgets qu’ils n’ont apparemment pas pensé aux patients. »
L’image désastreuse de François Fillon en campagne demandant à une aide-soignante de « faire un effort » est encore dans toutes les têtes. Un moment télévisuel qui démontre « un manque de réalisme et de vision ». Tout comme la prime annoncée en juin par l’actuelle Ministre de la santé Agnès Buzin. « Quand on m’a parlé d’une prime, ça prouvait bien qu’ils n’ont rien compris. Ce travail, on le fait depuis longtemps et ce n’est pas pour la paie ! J’ai démarré avec une prime de nuit à 1.400€ par mois il y a 20 ans. On ne fait pas ce métier pour l’argent. C’est un métier passion ! ».
*EHPAD : établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
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