Article mis à jour le 6 octobre 2023 à 21:53
Lors du conseil municipal du 10 mai, le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, a annoncé porter plainte en diffamation contre le média en ligne Blast. Blast info avait publié deux jours plus tôt un article polémique sur la police municipale de la ville. La délibération adoptée à la majorité, nonobstant l’abstention de l’opposition, autorise à déposer plainte contre les propos qui selon Louis Aliot, lui-même ancien avocat, seraient de nature «à tomber sous le coup du délit d’injure».
Dès l’ouverture de la séance du conseil, les conseillers municipaux de Perpignan ont vu l’ordre du jour modifié par l’ajout de la délibération 13.01. Le maire installe en ces termes le vote : «Vous avez sur table une autorisation d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile au nom de la commune sur un reportage vidéo et un article sur un média web proche de la gauche et de l’extrême-gauche qui est intitulé « Contrôle au faciès, interpellations violentes, menaces : À Perpignan, la sale besogne de la « milice municipale » de Louis Aliot »».
Droit de réponse ou plainte en diffamation ?
À la lecture de la délibération, le conseiller municipal d’opposition, Bruno Nougayrède, s’est étonné de cette procédure longue et coûteuse en lieu et place d’un simple droit de réponse. En droit de la presse, le droit de réponse est le pendant de la liberté d’expression. En clair, le droit de réponse permet à toute personne mise en cause dans un média de présenter son point de vue sur le sujet.
Sur la requête de Bruno Nougayrède et sur le droit de réponse, Louis Aliot a sèchement évacué l’éventualité d’un droit de réponse. «Non ! (…) Quand les attaques sont aussi délibérées, mensongères et brutales, il n’y a pas de droit de réponse à donner, il y a à porter une attaque en justice».
Malgré la précipitation de Louis Aliot à traiter le sujet, l’opposition a tenu à faire respecter l’ordre du jour, et a sollicité un délai afin de débattre de son positionnement vis-à-vis de la presse en général et de l’enquête de Blast en particulier.
Le groupe d’opposition s’abstient et soutient la police municipale
En fin de séance, la cheffe d’opposition Chantal Bruzi reprend la parole. «Je voulais insister sur le fait que mon groupe et moi-même en tant qu’ancienne adjointe à la sécurité, nous soutenons la police municipale de Perpignan qui œuvre au quotidien au service des Perpignanais». Mais la cheffe de l’opposition déclare que son groupe «s’abstient sur cette délibération», indiquant que cette plainte est un choix du maire et ne pas être en possession de l’ensemble des éléments du dossier.
Ce à quoi Louis Aliot s’est défendu, rétorquant que «l’intensité de notre défense doit être proportionnée à l’intensité de l’attaque et considérer que l’attaque de ce journal… enfin de ce site, porte atteinte à la considération et à l’honneur de la police municipale». Malgré l’abstention du groupe d’opposition, minoritaire au Conseil municipal de Perpignan, la délibération est adoptée, Louis Aliot estimant qu’«il faut une réaction forte et engager une action en diffamation».
Blast n’en est pas à son coup d’essai dans les Pyrénées-Orientales
En janvier 2023, Blast avait déjà publié une enquête sur le Département intitulée : «À Perpignan, les fonctionnaires du département se servent à la cantine». À l’issue de son enquête, la journaliste révèle que deux employés de la collectivité pourraient être en situation de conflit d’intérêts. Ces derniers étant très liés aux entreprises ayant décroché le marché des repas pour les mineurs non accompagnés. Les deux agents ont été suspendus et une enquête a également été ouverte. Dans cette affaire, le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales n’avait pas porté plainte.
Fondateur en 2021 et directeur de la publication de Blast, le journaliste Denis Robert a travaillé pendant 12 ans pour le journal Libération, avant de diriger le pure-player proche de la France Insoumise Le Média. Habitué des enquêtes journalistes, il l’est aussi des procès. À la suite de la publication du livre Révélation$, Denis Robert a dû faire face à 31 procès en diffamation. Les enquêtes des pure-players d’investigation comme Blast, StreetPress ou encore Médiacités sont régulièrement contestées devant les tribunaux. Contacté, le chef des enquêtes de Blast – qui rappelle que le maire a été sollicité par deux fois avant publication – nous indique que le média comptabilise à ce jour deux procédures : une remportée et une en cours. De leurs côtés, Street Press a consacré en 2021, près de 14.500€ à ses frais juridiques et a encore sept procédures à son encontre. Médiacités, dont la marque de fabrique est l’enquête, dénombre 12 procédures depuis son lancement.
Louis Aliot, également vice-président du RN, marche-t-il dans les pas de son parti sur ses relations avec la presse ?
Par le passé, le Front devenu Rassemblement National n’a jamais tergiversé et a porté plainte contre les médias quand ils jugeaient leurs propos diffamatoires. À titre d’exemple, en juillet 2013, toujours Louis Aliot, alors conseiller régional du Languedoc-Roussillon, avait déposé plainte contre Médiapart. Le journal d’investigation avait écrit que Marine Le Pen utilisait son enveloppe de députée européenne pour salarier Louis Aliot et Florian Philippot. Un procès que Louis Aliot avait perdu. La même année, il avait aussi annoncé son intention d’attaquer le journal Le Point. L’hebdomadaire avait laissé entendre son implication dans une agression. Dans cette affaire, l’ex-député avait seulement demandé un droit de réponse. Dix ans plus tard, devenu maire, Louis Aliot choisit d’engager directement des frais de justice.
Des dizaines de plaintes déposées par le parti à la flamme, contre des médias ou autres, sont en cours. Le parti attaquant systématiquement en justice dès qu’il se sent injurié ou diffamé. Élu depuis 2020 à la mairie de Perpignan, Louis Aliot a déjà déposé plainte contre la militante Lutte Ouvrière Josie Boucher, et menacé d’une procédure un des élus de l’opposition municipale.