fbpx
Aller au contenu

Médias : les théories du complot, ou la plongée dans le trou du lapin

Chronique Emi – Les théories du complot, ou la plongée dans le trou du lapin

Article mis à jour le 15 février 2024 à 16:05

Depuis quelques années, le complotisme est devenu un réel objet médiatique. La pandémie du Covid-19 avec ses confinements successifs aura remis les théories conspirationnistes sur le devant de la scène, recyclant certaines, en créant de nouvelles. Mais comment ça marche une théorie du complot ? Petit décryptage.

Le protocole des Sages de Sion, le Grand Remplacement, la terre plate… Si vous utilisez internet dans votre quotidien, et que vous vous informez en ligne, vous êtes déjà sûrement tombés sur des publications défendant ces contre-récits. Ce dernier terme est préféré à théorie du complot, notamment utilisé par l’auteur journaliste William Audureau dans son ouvrage « Dans la tête des complotistes » qui sera abondamment cité dans cette chronique. Un récit conspirationniste s’appuyant sur des éléments plus ou moins fallacieux, parfois factuels, mais décontextualisés ou manipulés pour défendre l’idée qu’un groupe de puissants (des élites, des francs-maçons, des politiques…) cacheraient la vérité à l’ensemble de la population. Ces entités fomenteraient des plans pour leur propre avantage et contre l’intérêt général.

Avant d’aller plus loin, clarifions un point : oui, les complots ont toujours existé dans l’histoire

Comme le montre l’excellent vulgarisateur, Nota Bene, sur sa chaine YouTube. Un des complots les plus récents, mis au jour, est celui des industriels du tabac américains dans la deuxième moitié du XXe siècle, qui se sont régulièrement retrouvés et concertés pour organiser la désinformation autour des conséquences néfastes des cigarettes pour la santé.

Les thèses complotistes existent pour leur part depuis plusieurs centaines d’années

C’est après 2001 et l’attentat du World Trade Center à New York qu’on assiste à la première mondialisation d’une théorie conspirationniste, avec l’ouvrage, L’Effroyable Imposture, du français Thierry Meyssan. L’auteur attribue la responsabilité de l’attaque à un complot des industriels de l’armement militaire, et à la CIA. De nombreux autres contre-récits ont émergé depuis, abondamment relayés sur internet via YouTube, Facebook ou X, anciennement twitter, et plus récemment les messageries cryptées type Telegram.

La pandémie de Covid 19 a remis les théories complotistes sur le devant de la scène médiatique

Pendant des mois, à la faveur des confinements successifs et des réactions parfois hasardeuses des gouvernements face à un virus dont on ne connaissait quasiment rien, les contre-récits comme les dommages du vaccin, qui permettraient en réalité de contrôler des pans entiers de la population grâce à la 5g, sont allés bon train. De nombreuses personnes se sont informées sur Internet, navigant de recommandation en recommandation – ces algorithmes opaques qui nous proposent sur le web des contenus adaptés à nos habitudes de navigation – et tombant parfois dans ce qu’on nomme, en science de l’information, le trou du lapin.

La pandémie a poussé nombre d’internautes dans le trou du lapin

Selon le chercheur Olivier Ertzschied, maître de conférences en sciences de l’information, le trou du lapin ou Rabbit Hole consiste à :

« Tomber » via un lien ou un algorithme de recommandation sur un contenu qui vous entraîne dans un monde pouvant apparaître comme déconnecté de la réalité ou à tout le moins dans lequel certains faits, certains sujets, certains points de vue sont radicalement altérés. »

Ainsi, les passionnés d’Ovni peuvent-ils commencer par regarder des vidéos plutôt innocentes sur le sujet, puis être exposés au fur et à mesure des liens de renvoi et de recommandation à des contenus de plus en plus radicaux… et arriver en bout de file à des vidéos conspirationnistes sur la terre plate.

La pandémie de Covid 19 et le temps exponentiel passé à interagir sur les réseaux sociaux, en particulier à propos de l’actualité, mais aussi le contexte anxiogène du moment en a poussé plus d’un dans ce trou du lapin. La conséquence ? Une déconnexion des faits et de la réalité, en particulier des consensus scientifiques sur lesquels notre société repose. La dernière enquête de l’Ifop sur le sujet montre qu’un tiers des Français adhèrent à des contre-récits conspirationnistes.

Les vidéos reprenant les grands mythes complotistes ne sont d’ailleurs pas réalisées au hasard. Elles reprennent des codes dramatiques destinés à semer le doute dans l’esprit de celui qui les regarde : une musique anxiogène, des faits mis bout à bout et devenant des éléments de causalité paraissant logiques, et des commentaires laissant la place à l’interprétation et à la subjectivité de chacun.

Mais qui sont ces adeptes du complotisme ?

L’enquête Ifop, déjà citée plus haut, parle d’une majorité de personnes peu ou pas diplômées. Une description un peu réductrice. Dans son ouvrage, William Audureau décrit des personnes de tous les milieux économiques, qui éprouvent surtout un sentiment de déclassement social, vivent très mal les injustices de la société, et trouvent un certain réconfort dans les contre-récits conspirationnistes. Ce serait ainsi une erreur de se penser à l’abri de tout contre-récit du fait de son bagage culturel et académique. En particulier car, de nombreux médecins, journalistes, avocats sont, eux aussi, tombés dans le trou du lapin et défendent des théories du complot (citons pêle-mêle Fabrice Di Vizio, Richard Boutry ou encore Luc Montagnier).

De plus, nous présentons tous une vulnérabilité pour certains sujets à propos desquels garder la tête froide nous est plus difficile. Le complotisme a cette particularité d’apporter du sens dans le hasard et le chaos du monde, là où la méthode scientifique ne peut parfois pas donner de réponse tranchée (et notre cerveau déteste l’incertitude).

Pourquoi ces théories du complot sont un danger ?

Il réside dans l’engrenage, et l’éloignement de ces nouveaux croyants à tout contenu contradictoire. Les biais cognitifs qui nous habitent (que je vous développerai dans une prochaine chronique) et la forte exposition à des thèses radicales montrent qu’une personne qui adhère à la théorie de la terre plate a plus de chances de croire à d’autres récits conspirationnistes… comme le complot Juif. De fait, l’immense majorité de ces théories du complot repose sur un mélange de racisme et d’antisémitisme (comme le Grand Remplacement, ou le Protocole des Sages de Sion). Quasi-systématiquement, on retrouve l’extrême droite xénophobe en bout de chaîne. L’adhésion à ces théories a aussi un impact réel sur notre réalité. L’attaque du Capitole à Washington le 6 janvier 2021 a été le fait de groupes adhérant à des théories racistes et conspirationnistes.

Certains spécialistes comme Rudy Reichstadt du site Conspiracy Watch et Tristan Mendès-France, spécialiste des cultures numériques, documentent, depuis plusieurs années, la virulence des menaces et des propos tenus par des personnes croyant à ces contre-récits sur les réseaux sociaux. Eux-mêmes ont été victimes de harcèlement numérique et de menaces de mort à maintes reprises.

Le problème du trou du lapin, c’est le manque de contradictoire, et la déconnexion des faits réels, documentés, mais aussi et surtout de la nuance. Remettre du commun dans nos débats et discussions, ainsi que de la méthode permettraient de sensibiliser à la rhétorique complotiste sans tomber dans l’accusatoire et le jugement. Si le sujet vous intéresse, je vous propose une vidéo sur le complot chat, un grand classique des interventions en classe sur le sujet.

 

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Alice Fabre