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À Perpignan, un détenu assigne sa prison devant les tribunaux et réclame justice

À Perpignan, un détenu assigne sa prison devant les tribunaux et réclame justice

Article mis à jour le 6 décembre 2023 à 12:18

Matt C. purge une peine de plusieurs années. Au centre pénitentiaire de Perpignan, il a décidé d’assigner en justice l’administration pénitentiaire notamment pour dénoncer des conditions de détention qu’il juge indignes.

Selon Nicolas Ferran, responsable contentieux auprès de l’Observatoire International des Prisons, comme Matt, ils sont plusieurs milliers à assigner chaque année l’administration pénitentiaire. Un phénomène relativement récent que cette institution repliée sur elle-même par essence voit parfois d’un mauvais œil.

Depuis son affaire en 2020, Matt n’en revient toujours pas. Il conteste les faits qu’on lui reproche et depuis son incarcération, il le fait savoir haut et fort. Malgré sa condamnation à 5 ans de prison ferme en première instance, il a fait appel et a même, sans succès, porté son affaire devant la cour de Cassation. Un combat qui, selon le jeune homme, lui a donné l’envie de se lancer dans des études de droit. Mais au-delà de sa propre affaire, c’est surtout contre l’administration pénitentiaire que Matt a lancé sa croisade. Une démarche que l’administration ou les surveillants ont du mal à comprendre.

Une croisade judiciaire pour exiger du respect

Matt a une dent contre les agents de la pénitentiaire. Pour lui, dès le moment où un individu franchit les portes du pénitencier, il ne serait plus digne de respect aux yeux des surveillants. Depuis son inscription en licence de droit, Matt aligne les codes et autres procédures. Matt rappelle l’article 15 du code de déontologie de l’administration pénitentiaire.

L’agent de l’administration pénitentiaire «a le respect absolu des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire et de leurs droits. Il s’interdit à leur égard toute forme de violence ou d’intimidation. Ne manifeste aucune discrimination. Il ne doit user ni de dénomination injurieuse, ni de tutoiement, ni de langage grossier ou familier.»

Or, justement Matt dénonce des violences verbales et physiques à son encontre surtout au sein du premier établissement qu’il a fréquenté avant d’être muté à Perpignan. Selon Matt, en juin 2022, et alors qu’un surveillant était venu le chercher pour rencontrer l’aumônier, Matt aurait refusé de sortir de sa cellule une heure avant l’heure prévue de l’entrevue. Un refus qui lui aurait valu des violences de la part du surveillant. Après avoir fait constater ses blessures, Matt aurait porté plainte. Le détenu a également informé le Défenseur des droits, l’observatoire international des prisons et le contrôleur des lieux de privations de liberté de cette altercation. Une affaire toujours en cours d’instruction et où l’administration du centre pénitentiaire n’a pas souhaité communiquer les vidéos surveillance malgré les demandes réitérées de l’OIP.

L’OIP publie un rapport d’enquête sur les violences commises en détention au titre évocateur : «Omerta, Opacité, Impunité»

Sur les cas de violences commises par les personnels de l’administration pénitentiaire, Nicolas Ferran nous renvoie au rapport publié en mai 2019. Fondé en 1995, l’Observatoire international des prisons est une association dont l’objet est d’agir «pour le respect des droits de l’homme en prison et milite pour un moindre recours à l’incarcération.» À ce titre, l’association reçoit nombre de témoignages adressés par les détenus. Bon nombre d’entre eux faisant état de violences commises par les personnels pénitentiaires, l’OIP a décidé d’enquêter.

Selon l’OIP, les violences dénoncées par les détenus ne sont pas mesurées par le ministère de la Justice. Si officiellement aucun chiffre n’existe, l’OIP fait état de 200 signalements reçus en deux ans. Quant au Défenseur des droits, en 2018, il aurait été saisi de plus de 800 affaires de violences commises par les personnels pénitentiaires. Comment expliquer que le ministère de la Justice ne se saisisse pas du phénomène ?

En 2023, le ministère a cependant décidé que le sujet des violences commises en milieu pénitentiaire était une priorité. Les chiffres publiés par le plan national de lutte contre les violences font état de 11.669 violences physiques sur détenus et 4.910 violences commises sur des agents. Si les chiffres font essentiellement état de violences à l’encontre des détenus commises par d’autres détenus, les signalements se multiplient pour dénoncer les violences des personnels. Alors que les polémiques sur les violences policières se multiplient, le ministre de l’Intérieur rappelait que la police exerçait une violence légitime. Quid de la détention où la violence sous toutes ses dimensions est inhérente à l’incarcération et à la nécessité du maintien de l’ordre ?

Le quartier disciplinaire de Perpignan sous le feu des projecteurs

En juillet 2023, les services de la contrôleuse des lieux de détention établissaient des recommandations urgentes sur l’établissement de Perpignan. Et notamment à propos du fonctionnement de son quartier disciplinaire. Ainsi la rapporteuse précise que «la posture professionnelle des agents affectés aux quartiers d’isolement et disciplinaire n’est pas conforme à la déontologie du service public pénitentiaire.» L’OIP se saisissant de ce rapport assignait l’administration devant le tribunal administratif. Dans son ordonnance du 22 août, le juge demande qu’une enquête interne soit menée pour des faits de violence «établis».

Le couloir du quartier disciplinaire de la prison de Perpignan © MiP.

Le juge liste les manquements à la déontologie : «délivrance d’un repas sur deux, impossibilité d’accéder à des vêtements de rechange, fouilles intégrales réalisées avec violence, doigts tordus durant l’opération, écrasement des orteils …, de tels agissements, dont la réalité n’est pas sérieusement remise en cause, doivent être regardés comme établis.» Selon l’OIP, pour la première fois dans la jurisprudence, le juge des référés a sévèrement apprécié les mauvais traitements infligés par les personnels pénitentiaires au quartier disciplinaire.

Quant à l’administration pénitentiaire, elle conteste toute violence commise par ses agents. «L’équipe en place au quartier disciplinaire donnait entière satisfaction, se comportant en bon père de famille.»

Le détenu est-il un usager comme les autres ?

C’est en tout cas ce que dit la loi pénitentiaire de 24 novembre 2009. Un texte qui rappelle le nécessaire équilibre entre les contraintes inhérentes à la détention et le respect des droits des personnes détenues. Ainsi le juge administratif est régulièrement saisi par les détenus concernant leurs conditions de détention. Matt a quant à lui fait appel à son avocat pour assigner l’administration devant le tribunal administratif de Montpellier. Maître Teles a déposé plusieurs requêtes dont celle concernant les effets personnels de Matt disparus lors de son transfert vers Perpignan. Depuis son arrivée à Perpignan, Matt n’a plus aucun vêtement personnel. «Les surveillants m’ont transféré sans mes affaires. Ils ont fini par les récupérer détruites et pleines de javel.»

Photos à l’appui, l’avocat de Matt a demandé à l’administration un inventaire lors de son arrivée dans l’établissement, mais reconnaît que l’administration est pour le moment restée muette sur ce point. «Nous réclamons un préjudice matériel, mais aussi moral à l’administration.» Idem sur les conditions de détention. Selon l’avocat, les détenus comme Matt portent parfois des recours sur leurs conditions de détention. «Ils sollicitent de meilleures conditions ou des indemnisations pour le préjudice subi par des conditions qui peuvent être considérées comme indignes.»

Des conditions de détention indignes établies

Compte tenu des nombreux rapports, la surpopulation carcérale endémique ou la condamnation de l’État par la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 6 juillet dernier, l’indignité des conditions d’incarcération en France ne fait plus de doute. L’administration pénitentiaire fait donc face à de nombreuses procédures devant les tribunaux administratifs.

Mais pour Matt, il s’agit surtout d’une question de principe. Libérable au printemps prochain, et compte tenu des délais de jugement, aucune des procédures en cours ne sera jugée. «S’il y a bien quelque chose que je déteste c’est l’injustice, c’est aussi pour ça que j’ai voulu faire des études de droit. Je veux pousser un coup de gueule. Oui je les attaque, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas encaisser. Leur façon d’agir, de parler aux détenus. C’est vrai qu’ils doivent maintenir l’ordre, mais ils doivent aussi montrer l’exemple, montrer les valeurs de la République.»

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