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Dérives sectaires : le projet de loi décrypté par la sénatrice des Pyrénées-Orientales

Lauriane Josende senatrice des Pyrenees-Orientales loi sur les derives sectaires

Article mis à jour le 5 janvier 2024 à 22:39

Élue sénatrice en septembre 2023, Lauriane Josende a été chargée par la prestigieuse commission des lois du Sénat de plancher sur la proposition de loi sur les dérives sectaires. Après le vote par la haute assemblée, le texte a été largement modifié par rapport à celui présenté par la secrétaire d’État en novembre 2023. Retour sur le détricotage d’un projet de loi «écrit à la va-vite» et «pas à la hauteur des enjeux.»

Le rapport pointe «un projet de loi aux objectifs louables, mais à l’efficacité discutable», un vrai camouflet politique pour la secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache.

Une modification profonde d’un texte écrit à la «va-vite»

Le texte présenté en novembre par Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, prévoyait la création d’un délit pour «provocation à l’abandon de soin.» Selon le ministère de l’Intérieur, « l’idée est de pouvoir pénaliser les non-professionnels qui présentent des services comme étant des traitements de nature à remplacer des traitements médicaux en cours.»

Mais selon la rapporteure du Sénat, plusieurs textes existaient déjà pour sanctionner ces pratiques. De l’exercice illégal de la médecine, la pharmacie ou la biologie en passant par les pratiques commerciales trompeuses, l’arsenal juridique est complet. «Si un non-professionnel essaie de vendre de la poudre de betterave en disant que c’est bénéfique pour ta santé, les textes pour le pénaliser existent déjà.» Selon la sénatrice, il était inutile de complexifier au risque d’ouvrir une brèche dans la jurisprudence. «Même les professionnels du droit disaient qu’il serait complexe de qualifier cette nouvelle infraction.»

Le projet de loi initial prévoyait aussi un délit autonome pour renforcer l’arsenal législatif et réprimer en plus de l’abus de faiblesse, le fait même de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique. La personne sous sujétion se trouve sous emprise, soumise. Cette notion prévue dans le projet de loi initial était trop large, prévient la sénatrice. «Qu’est-ce qu’un état de sujétion ? Doit-il être réprimé de façon autonome ? L’autorité parentale, selon la manière dont elle est exercée, ne conduit-elle pas à une forme de sujétion ?» Autant d’interrogations qui ont conduit le Sénat à supprimer purement et simplement ce délit de sujétion autonome.

Selon la sénatrice, ce texte – qui touche au Code pénal et peut impacter la liberté de conscience et d’expression – ne peut pas être écrit «à la va-vite.» Un peu comme s’il fallait prouver que le gouvernement agit contre les dérives sectaires. «Nous avons préféré retirer du nouveau projet de loi ces deux délits, qui à notre avis n’étaient pas mûrs juridiquement parlant. Il faut prendre le temps d’écrire quelque chose de plus abouti.»

Vers une Miviludes* indépendante du pouvoir politique et au budget augmenté ?

Fondée en 2002, la mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires était dirigée jusqu’en 2012 par une personnalité politique. Depuis 2020, l’organisme est dirigé par un fonctionnaire placé dans le giron du Ministre de l’Intérieur. Un risque selon Lauriane Josende.

La Miviludes dans sa forme actuelle est accusée, notamment par Thierry Casasnovas de s’ériger en «police de la pensée.» Dans son rapport publié en 2022, la Miviludes précisait avoir ouvert 54 saisines à l’encontre de Thierry Casasnovas. Ce dernier qualifié de «gourou du cru», accusait dans l’une de ses dernières vidéos, les membres de la Miviludes de porter atteinte à la liberté d’expression.

C’est justement pour éviter ce procès d’intention que la sénatrice a voulu inscrire dans le nouveau projet de loi, l’indépendance de la Miviludes. «Il faut rester prudents, sinon le remède serait pire que le mal», prévient-elle. «La majorité a voulu passer la Miviludes sous la coupe du ministère de l’Intérieur. Sait-on qui sera demain aux manettes du ministère de l’Intérieur ? Il y a un réel risque pour la liberté de pensée et d’expression.» Selon la sénatrice, il faut que la Miviludes soit indépendante du politique, citant l’exemple de la Cour des comptes.

Quant au budget, le rapport déplore «un déclin progressif du soutien accordé par les pouvoirs publics».

Usage de moyens numériques, bannissement du net et protection des mineurs 

Pour la sénatrice, le projet de loi initial ne prenait pas suffisamment en compte l’importance des moyens numériques dans la diffusion des discours des gourous 2.0 et autres vendeurs de solutions miracles. D’où la nécessité de cette nouvelle circonstance aggravante. Désormais, quand l’infraction «est commise par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende.» Le rapport préconisait de rajouter à la peine, un bannissement numérique du compte incriminé, proposition reprise dans le projet de loi sénatorial. Ainsi le fournisseur d’accès sera contraint, sous peine d’une lourde amende, de bloquer le ou les comptes sociaux de la personne ou de l’organisation mise en cause.

«Nous avons voulu protéger les mineurs», et notamment en allongeant les délais de prescription de six ans après la majorité de la victime. La sénatrice a aussi rajouté une circonstance aggravante à destination des parents.

«Lors des différentes enquêtes menées au sein des mouvements sectaires, on découvre des enfants isolés, qui ne sont même pas déclarés à l’état civil. Cette non-déclaration est désormais une circonstance aggravante des délits de privation d’aliments ou de soin et de manquement aux obligations des personnes ayant autorité sur le mineur». Lauriane Josende cite plus d’une douzaine de ces enfants non déclarés qui n’ont donc aucune existence administrative.

Interdiction d’exercer et renforcement des acteurs de terrain

Le nouveau projet de loi prévoit que les ordres des professionnels de santé (médecins, infirmiers, kiné…) puissent interdire l’exercice aux professionnels mis en examen et soumis à un contrôle judiciaire. Même si le médecin ou l’infirmier reste présumé innocent en attendant son procès insiste Lauriane Josende. «Mais son ordre aura la possibilité de lui retirer à titre provisoire le droit d’exercer. Dans ce cas bien précis, nous avons affaire à quelqu’un qui, même s’il n’est pas condamné, est déjà soumis à un contrôle judiciaire. C’est une mesure préventive et protectrice de la société. »

Le dernier rapport de la Miviludes rappelait la dérive des discours remettant en cause le consensus scientifique et notamment dans le domaine de la santé. La crise sanitaire et son cortège de confinements et autres pass-sanitaires ont constitué « un terreau fertile » pour l’émergence des gourous 2.0. La Miviludes qualifie ces acteurs de « dérapeutes », terme qui vient de la contraction de deux mots : dérapage et thérapeute. Le rapport indique que ces « dérapeutes » agissent par l’affaiblissement des victimes et par le rejet de la médecine conventionnelle.

Pour Lauriane Josende il était important de conserver le volet de renforcement des associations qui œuvrent sur le terrain. «Ces acteurs de terrain ont un rôle de sentinelle pour identifier ici où là des foyers de radicalisation, des problématiques au sein de certaines familles ou de centres. Il y a des référents locaux qui travaillent de manière beaucoup plus efficace et il y a un maillage territorial qui se met en place.»

Quelle suite pour le projet de loi sur les dérives sectaires adopté par le Sénat ?

Adopté par un vote au Sénat, le projet de loi sur les dérives sectaires est désormais entre les mains des députés de l’Assemblée nationale. Selon Lauriane Josende, le texte pourrait, s’il est définitivement adopté, entrer en vigueur au cours de l’année 2025.

*Miviludes : La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires

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