Article mis à jour le 9 février 2024 à 16:07
Niché au pied des Albères dans la ville de Sorède, l’Esat* des Micocouliers perpétue un savoir-faire unique au monde, la fabrication de cravaches en bois de micocouliers. Au cœur de l’ouvrage, des petites mains en situation de handicap travaillent le bois et le cuir pour valoriser le patrimoine des Pyrénées-Orientales. Photos © Célia Lespinasse.
Le micocoulier est l’arbre endémique du piémont des Albères. « Sur Sorède, à l’époque, il y avait une fabrique de fouets catalans, ce savoir-faire s’est poursuivi au travers d’un établissement de soin médico-social », explique Luc Miralles responsable de l’Esat. Un Esat est une structure du secteur de l’économie social et solidaire. L’établissement compte aujourd’hui 90 usagers en situation de handicap, dont une vingtaine qui s’attachent à la fabrication minutieuse des cravaches et autres bâtons.
Un savoir-faire unique au monde originaire des Pyrénées-Orientales
Une technique reconnue par la maison Hermès, la garde Républicaine ou de grands centres équestres, clients de l’établissement. « Le carnet de commandes est plein ! », se réjouit Vivien Chevrey, moniteur encadrant. Environ 600 cravaches sortent de l’atelier chaque année.
Le « librigou » est un outil ancestral dans la fabrique des cravaches.
Aujourd’hui cela fait 40 ans que l’Esat a relancé cette activité typique des Pyrénées-Orientales. « Nos équipes dédiées aux espaces verts entretiennent les parcelles de micocouliers qui nous permettent d’avoir la ressource nécessaire pour nos activités de travail », explique Luc Miralles.
Dès le 13e siècle, ce bois est reconnu pour ses vertus de souplesse et de résistance. Daniel, usager de l’Esat, nous fait la visite de l’atelier bois : « Nous utilisons l’aubier, la partie située au cœur de l’arbre, pour confectionner nos cravaches. Une scie à ruban nous permet de suivre le fil du bois, pour que la fibre ne casse pas. Puis à l’aide de machines, nous rendons le brin conique et cylindrique », explique-t-il.
L’art de transformer le bois en objet de luxe
Les ouvriers utilisent ensuite un petit couteau en forme de serpette pour retirer les éclats de bois et rendre le produit plus uniforme. « Une tige métallique est insérée au niveau du manche, elle sert de tuteur pour que le tressage soit le plus droit possible. Le tressage des cravaches existe depuis 1849, le bois est ramolli au contact de la vapeur à 100 degrés, pour être travaillé et torsadé. La cravache est ensuite vernie à la main, après un ponçage manuel. »
Sur les murs, une panoplie de cravaches est exposée. Si à l’aube du 20e siècle, la petite industrie locale a bien failli disparaître, elle a rouvert ses portes voilà 60 ans, et poursuit la tradition à la faveur du travail avec de grandes marques. Parmi ses prestigieux clients, l’entreprise Hermès qui valorise les produits façonnés avec patience par les usagers de l’atelier.
Des ouvriers aux mains d’or
Cela fait 34 ans que Serge œuvre dans cet atelier. Autrefois, il travaillait dans le conditionnement. « Ce que je préfère dans mon travail, c’est travailler le bois et vernir les cravaches », raconte l’usager. « C’est un travail minutieux, il faut être délicat, patient et concentré. » Serge est l’un des piliers de l’atelier, il a tout appris au fur et à mesure, en pratiquant.
« Nous formons les salariés par démonstration, avec des images, nous faisons aussi travailler les anciens en binôme avec les nouveaux arrivants », précise Vivien Chevrey, moniteur de l’atelier bois. Même si Serge a du mal avec la lecture, aux micocouliers, l’ouvrier est totalement autonome.
Les artisans oublient un temps leur handicap
À ses côtés, Jean-Luc travaille le cuir depuis sept ans. Avant d’arriver ici, Jean-Luc a eu plusieurs casquettes. Un jour poissonnier, il a aussi travaillé dans une ferme. Féru de sport, il est contraint de cesser son activité professionnelle après une blessure. Il fait alors ses premiers pas à l’atelier des Micocouliers.
L’ouvrier travaille surtout le cuir. Les cravaches sont conçues avec des matériaux d’exception comme du cuir de veau et de chèvre. « Je fais des ligatures de fouet et des tresses. À mes débuts, j’ai commencé au bois mais ça ne me plaisait pas car je ne faisais que du ponçage », relate Jean-Luc. « Certains travaux sont plus minutieux que d’autres, comme la teinte du cuir pour les boucles ou pour les mèches », semble apprécier l’ouvrier.
À travers l’exigence de leur tâche, les artisans oublient un temps leur handicap. Une jolie manière de transmettre ce savoir-faire ancestral.
*ESAT : Établissement et service d’accompagnement par le travail