Article mis à jour le 13 mai 2024 à 16:47
Après une campagne inédite en termes d’organisation, c’est une prise de fonction tout aussi inédite que décrit Yvan Auguet. Dans un contexte très médiatisé de difficultés et de souffrances des étudiants, l’ancien doyen de la faculté de droit est à la présidence de l’université de Perpignan depuis le 1er décembre 2020.
Nous avons rencontré le nouveau président dans son bureau du campus principal de l’Université alors même que se joue un enjeu essentiel pour l’établissement : la négociation de son budget de fonctionnement, inférieur de 643€ par étudiant à la moyenne des universités de France. « Cela représente près de 10% de notre budget. Ce manque, ce sont des emplois et des investissements en moins… J’ai essayé de sensibiliser au plus haut niveau et je sais que nous avons un premier ministre qui est très attentif au département. J’espère que ma sensibilisation est arrivée jusqu’à ses oreilles ».
Les étudiants de l’UPVD sont ils en souffrance ?
Effectivement, nous avons des remontées qui font état de souffrances chez des étudiants ; et notamment psychologiques. Nous avons géré le volet matériel avec des dotations pour pallier la fracture numérique ; mais là nous sommes confrontés au volet psychologique de la crise. Le premier choc du printemps dernier est passé, on s’est un peu libéré cet été ; et les étudiants ont pensé que tout allait revenir à la normale avec septembre. Mais alors que nous avons fait la rentrée en présentiel, nous avons basculé en comodal en octobre. Puis on est revenu au distantiel en novembre. Et même si nous avons mis en place pendant les fêtes de Noël une permanence téléphonique H24 et 7J/J, la situation reste complexe.
Pour tenter d’accompagner ceux qui sont le plus en difficulté, nous tentons notamment de renforcer le Service de santé universitaire avec le recrutement d’un nouveau médecin. Nous avons également débuté le recrutement de tuteurs. Il s’agit d’étudiants en Licence 3 ou Master chargés d’accompagner d’autres étudiants en difficulté psychologique afin qu’ils ne décrochent pas dans leurs études.
Il s’agit d’un rôle de grand frère ou de grande sœur capable de prendre la main dans les difficultés du quotidien. Pour le moment, nous avons recruté 22 tuteurs ; à terme il y en aura environ 220. Ce qui devrait couvrir les besoins des étudiants en détresse parmi les 9.000 étudiants de l’université.
« On est une institution qui vit dans la société ; nos difficultés sont celles de la société »
Dès le 8 février, nous pourrons accueillir 20% de l’effectif total ; soit environ 2.000 étudiants en même temps sur le campus principal. C’est le même principe que dans les lycées, il y aura un roulement 1 semaine sur 2. Mais l’organisation est plus complexe compte tenu des différentes filières et des types de cours : Travaux Dirigés, Travaux Pratiques, ou cours magistraux.
Tout cela se fait de manière déconcentrée. Je pense que le président n’est pas à même ici de dicter le mode de fonctionnement des composantes. Chacune a des pratiques et des emplois du temps très différents. Entre le STAPS* de Font-Romeu, l’antenne de Narbonne et le Droit en centre ville à Perpignan, la mise en place se fait différemment.
Nous fixons le cadre et nous organisons l’accueil de ces étudiants au maximum des possibilités offertes par le Ministère. Même si j’ai demandé une prise en compte particulière des étudiants de 1ère année, et de privilégier les travaux dirigés qui sont le lieu où se pratique l’enseignement. Pour les cours magistraux, l’enseignement peut perdurer via des applications du type Zoom ; même si ce n’est pas satisfaisant, ni pour les étudiants, ni pour les enseignants.
« Quand, sur 80 étudiants, personne n’allume sa caméra, c’est un peu comme si vous parliez devant un mur »
J’ai encore donné des cours magistraux en visioconférence, il y a quelques semaines avant de prendre mes fonctions de président. Et quand, sur 80 étudiants, personne n’allume sa caméra, c’est un peu comme si vous parliez devant un mur. Certains n’allument pas la caméra parce qu’ils sont sous la couette ; mais parfois c’est parce que le réseau n’est pas assez costaud pour supporter l’image. Alors on demande que 4 ou 5 au moins allument leur vidéo ; pour qu’il y ait un peu d’interactivité dans le regard et des réactions à nos propos.
On parle beaucoup des étudiants, et je pense qu’on a raison de le faire. Mais il faut penser aussi que ce n’est pas facile non plus pour les personnels enseignants chercheurs ou administratifs qui passent en mode télétravail à la maison. On est une institution dans la cité, dans la société ; et les difficultés que la société a, on a les mêmes au sein de l’UPVD.
Pourra-t-on étudier la médecine à l’université de Perpignan ?
C’est un thème que j’ai toujours à l’esprit, mais cela dépasse largement la durée de mon mandat. Est-ce que Perpignan a la capacité à se positionner sur 10 ou 15 ans ? L’UPVD ne pourra le faire qu’avec l’appui et la volonté de l’ensemble des acteurs. Elle ne pourra le faire que s’il y a un Centre Hospitalier Universitaire. Et cela ne dépend pas du président de l’Université.
Néanmoins, dans le cadre de la réforme de l’accès aux études de santé, la question du positionnement des formations de santé sur le territoire se pose. À Perpignan, nous avons des Licences avec option « accès santé » (L.AS), en droit, en biologie ou en mathématique ; et à la rentrée prochaine, en économie ou en management.
Nous développons la possibilité d’accueillir à l’UPVD des jeunes gens de nos territoires et de Narbonne, qui peuvent essayer d’intégrer les études de santé, médecine ou autre. Ceux qui échoueraient à intégrer la seule faculté de Montpellier, la seule sur l’Occitanie Est (ancienne Région Languedoc Roussillon) pourraient intégrer nos formations en biologie ou en mathématiques. Ces passerelles existent déjà.
Nouvelle Loi de Programmation de la Recherche (LPR)
Promulguée au cœur des congés de fin d’année, la nouvelle loi de programmation de la recherche (LPR) fait polémique dans les milieux académiques. Questionné sur ce point, Yvan Auguet nous précise le point d’achoppement principal.
En France, le financement de la recherche universitaire est, pour une part non négligeable, basé sur le mécanisme des appels à projets. Et donc la mise en concurrence des établissements. Alors évidemment, pour les laboratoires de recherche qui ont une dimension nationale, voire internationale, c’est un outil qui peut offrir des perspectives intéressantes. Parmi les éléments qui font grand bruit, il y a la disparition de la qualification ou l’habilitation pour devenir enseignant chercheur dans le supérieur.
Par exemple, si vous prenez l’École d’économie de Toulouse à la réputation internationale, ils peuvent recruter avec des moyens financiers importants des personnes qui ne passent pas par ce niveau de qualification… Mais pour la plupart des établissements, et c’est le cas pour Perpignan, nous n’aurons jamais cette capacité financière pour être attractif à ce niveau.
« La disparition de la qualification, c’est finalement renvoyer les établissements vers toujours peu plus d’autonomie.«
Mais cela nous fera perdre ce qui fait aussi notre force : la garantie qu’un enseignant-chercheur à Perpignan est passé par le même filtre qu’un enseignant de Toulouse, Montpellier, Paris, Bordeaux, ou Strasbourg. En clair, cela signifie que la qualité des intervenants pour la délivrance des diplômes nationaux est aujourd’hui la même partout en France. Qu’en sera-t-il avec la disparition de la qualification à une échéance de dix ou vingt ans ? Je ne lis pas dans le marc de café ; mais nous avions une garantie en termes d’encadrement qui disparaît. Est-ce que ce sera mieux ou plus mal demain ? Je ne me prononcerai pas »
Le président de l’université de Clermont-Auvergne avait déclaré lors de la promulgation de la loi : « La déconsidération des universités par le milieu politique est structurelle » (article payant).
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