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Reportage l 24 heures d’immersion estivale au cœur des Urgences de Perpignan

Unique en France : l'hôpital de Perpignan bientôt "CHU de territoire"

Article mis à jour le 14 décembre 2024 à 07:23

En ce début juillet, rendez-vous était pris avec le chef des Urgences de l’hôpital de Perpignan, Laurent Ortega. Après un bref entretien et une présentation du service sur le papier, le docteur Ortega nous conduit dans un univers de blouses blanches.

Des Urgences qui, depuis de nombreuses années, souffrent de plusieurs maux ; pourtant la motivation des soignants reste la même. Après un week-end chargé, s’achève une énième garde de nuit avec un service déjà bien proche de la saturation et des patients cantonnés au rez-de-chaussée en attente d’un lit d’hospitalisation. Ce lundi matin marque aussi le premier jour du dispositif de régulation par le 15 ; une préconisation de l’enquête flash menée par le nouveau ministre de la santé et ancien chef des urgences de l’hôpital de Metz-Thionville, François Braun.

« Le service est fait pour 130 passages. En temps normal, on en a 180, et l’été on compte 250 passages quotidiens ! »

Au-delà des chiffres qui explosent, le travail des équipes des Urgences se complique avec la diversité des pathologies. Camille, Sophie, Laurine ou Dalila sont affectées ce soir de juillet au service de déchocage. Ce service accueille les patients les plus graves ; ceux qui doivent avoir une surveillance de chaque instant. Derrière les rideaux occultants s’entremêlent bips de monitorings, râles et gémissements de patients.

Lors de la rotation entre l’équipe de jour et celle de nuit, les infirmières profitent d’un instant de calme pour se confier. Les 4 jeunes femmes qui s’occupent ce soir des patients orientés dans les box de déchocage nous évoquent leur expérience et pas seulement dans ce service si particulier des Urgences de Perpignan.

« Samedi dernier à l’accueil couché*, j’ai fait 55 entrées, ça veut dire 55 patients différents. À l’accueil valide, il n’est pas rare de voir 80 patients par jour ! Les gens ne se rendent pas compte mais 80 personnes différentes à orienter, c’est compliqué ; parce que ta tête, elle, ne suit plus ».

« Nous, on n’est pas là pour prendre soin des gens, pas pour les maltraiter »

Comme Camille, Sophie, Laurine ou Dalila, tous les soignants que nous avons rencontrés lors de notre reportage ont un point commun : leur passion pour leur métier. Mais ils déplorent les conditions de travail. « Certains de nos collègues sont en arrêt maladie parce qu’ils n’en peuvent plus. C’est le mépris des décideurs qui pose problème. Ils savent, mais ne font rien ! Alors que nous, on voit des gens croupir sur des brancards sans pouvoir leur trouver une chambre. Nous, on n’est pas là pour prendre soin des gens, pas pour les maltraiter.

C’est ça qui nous fait mal. Quand tout est plein, qu’on ne peut même pas donner un bassin à un patient en garantissant son intimité. Je pense qu’ils ne se rendent pas compte, ils ne le vivent pas au quotidien. Certaines nuits il y a des bagarres (…) et les gendarmes sont là tout le temps. Mais ça, ils ne le voient pas ! ». Selon le docteur Ortega, responsable du pôle Urgences de Perpignan depuis 3 ans et demi, « nous avons longtemps été la zone tampon du système de soin ».

Les problèmes des Urgences ne sont qu’un symptôme. Jusque-là, les Urgences palliaient le manque de places à l’hôpital et les manques de la médecine de ville. « On a tout concentré aux Urgences, on a beaucoup accepté, et on a aussi fait grève« . Avant la crise Covid, Perpignan fut parmi les premiers services d’Urgence à débrayer. En 2019, 250 des 600 structures d’Urgence de France dénoncent déjà leurs conditions de travail. Aujourd’hui, et alors que plusieurs d’entre elles sont fermées, le docteur Ortega s’inquiète. « On a beaucoup accepté, mais là on ne tient plus. Les personnels sont à cran« .  

Des soins dans les couloirs de l’hôpital de Perpignan

Le service de déchocage est calme, on entend un soupir presque inaudible : « Au secours… ». Derrière cette inlassable litanie, une dame de 92 ans. La patiente est désorientée, en insuffisance respiratoire et attend d’être hospitalisée. Selon l’urgentiste, « elle partira en gériatrie dès qu’il y aura un lit. Mais en attendant, et tant que je n’ai pas besoin du box, je préfère la garder ici plutôt que de la mettre dans le couloir ». Le docteur Ortega nous confirme qu’une architecture repensée du service a été demandée. En clair, le pôle devrait faire peau neuve et s’agrandir. Mais aujourd’hui, les couloirs servent aussi de salle de soins et chacun des emplacements qui entourent la cour intérieure vitrée est affecté d’un numéro et donc d’un patient.

Quelques brancards plus loin, toujours dans le couloir

Un peu plus loin, une patiente allongée a pris l’initiative de brancher son téléphone sur une prise électrique, barrant le couloir de son fil d’alimentation, rendant le passage fort périlleux ; sans compter le risque de casser le téléphone. Rapidement, un soignant débranche le téléphone et la sermonne avec gentillesse. Dans la file des brancards adossés à la vitre de la cour intérieur, un quadra attaché par un bras à sa perfusion. À l’aide-soignante qui lui apporte un plateau-repas, il demande : « ça ne dérange pas si je mange ici ? ». La soignante rétorque avec un sourire blasé ; « oh non, ne vous inquiétez pas ; vous savez, on fait comme on peut ».

César, 70 ans, assis sur son brancard, se frotte la jambe droite ankylosée et teintée d’un bleu inhabituel. « Depuis le décès de ma femme, je suis tout seul. Je suis tombé et j’ai dû me traîner jusqu’au téléphone. D’habitude, je l’ai toujours sur moi, mais là il était sur la table à manger. J’attends le docteur pour voir si je peux rentrer chez moi, parce qu’il faut que je donne à manger à mes poules ». Quelques heures plus tard, le médecin annonce à César qu’il devra être admis dans l’unité d’hospitalisation de courte durée, au sein même des Urgences. Cette même unité de courte durée où un patient est hospitalisé depuis déjà une semaine se désole le docteur Ortega.

Une patiente branche son téléphone dans le couloir des Urgences

« À nous deux jeune fille »

C’est avec ce ton rassurant que Sébastien s’approche d’une dame à l’âge certain. « J’aime bien bichonner mes patients ». Sébastien nous explique son rôle et son parcours. « Je suis le chef d’orchestre des entrants couchés. Je suis infirmière d’accueil et d’orientation, je suis une nurse, je trouve plus sympa de féminiser le terme. Après 15 ans de réa et alors que je pensais avoir fait le tour de la question, j’ai choisi d’apprendre un nouveau métier ». Dans un rire, Sébastien nous confie, « je suis une jeune infirmière des Urgences, je suis là depuis 6 ans ».

« Mon rôle est de connaître la raison de leur venue et les orienter en fonction de leur pathologie. Parfois je suis coincé, car ils sont tous prioritaires et il n’y a pas de place pour tous ; alors je jongle beaucoup, je priorise certains soins, je harcèle les médecins. Aujourd’hui, j’ai de la chance, le médecin est très disponible. Ce poste est très stratégique ». Mais comment fait Sébastien quand plusieurs patients sont prioritaires et qu’il n’y a plus de place ? « Je peux toujours, je me débouille pour toujours y arriver : j’interpelle, je sollicite, et si je dois m’y coller, je m’y colle ». 

À la tombée de la nuit

Au-dehors, la lumière estivale commence à décliner et la relève de 18h est à venir. Médecins, cadres, infirmiers et aides-soignants échangent sur les patients en attente et les pathologies de ceux déjà pris en charge. C’est la fin d’une garde de 12 heures pour les uns et le début d’une longue nuit pour les autres. Sandrine** est venue renforcer les équipes avant de prendre quelques jours de congés. « La nuit, on se fait parfois agresser, les gens sont de plus en plus drogués ou alcoolisés. On est obligés de se battre, et parfois on manque même d’attaches. Une situation qui met tout le monde en danger, les équipes comme les patients ».

Tout à coup, l’accueil couché entre en effervescence. Alors que la situation était calme, les secours amènent une jeune femme particulièrement agitée. Elle crie, insulte, tente de mordre tous ceux qui passent à sa portée. La décision est prise d’utiliser les contentions.

Les insultes fusent de plus belle, « Bande d’enc…, Fils de p…, P…tain de merde, Gros co…, Laisse-moi sortir merde ; allez, laissez-moi sortir… Bande de trou du c…, S’il vous plaît, laissez-moi sortir…, Meeerde… ». Thomas qui a remplacé Sébastien à l’accueil est en passe de devenir l’un de ces tout nouveaux infirmiers en pratique avancée (IPA). « Elle a 3 grammes, et je n’ai pas envie de la prioriser parce qu’elle crie ». À force de hurlement, un médecin détachera la jeune femme pour l’accompagner aux toilettes. Une fois déliée, elle parviendra à fausser compagnie aux blouses blanches. « Ah mince, il va falloir faire un constat de fugue » se désole l’infirmière derrière la banque d’accueil.

Dans ce tumulte, les patients souffrent en silence ; certains somnolent malgré l’angoisse et la douleur, d’autres tentent de joindre leur proche. La porte de l’accueil s’ouvre à nouveau et cette fois-ci, sur un brancard des pompiers. Alban, 7 ans vêtu d’une tenue de l’équipe de France de football pleure : « je veux partir, je veux ma mamie ». Il est accompagné de sa cousine adolescente. Les cris de la jeune femme alcoolisée, pourtant installée à bonne distance, rendent le lieu effrayant pour le garçonnet. Thomas ne parvient pas à calmer Alban. Pourtant, après un rapide bilan, Thomas prend Alban dans ses bras pour l’amener dans un environnement plus calme.

En vacances avec sa grand-mère à Argelès-sur-Mer, le petit Alban a été percuté par une voiture à très faible allure. L’infirmier lui parle calmement, tente de le rassurer tout en pratiquant les gestes destinés à vérifier l’état de santé de l’enfant. Pas de douleur au toucher, les yeux suivent bien le doigt. Malgré quelques sanglots d’appréhension, dans le petit box d’examen, Alban fait désormais la course avec Thomas pour lui montrer qu’il va bien. Quelques heures plus tard, nous croiserons Alban en pleine conversation téléphonique avec sa maman. Le footballeur en herbe patiente avec sa cousine et sa grand-mère pour pouvoir sortir de l’hôpital.

Les urgences prisent en tenaille dans un système de santé à bout de souffle

Selon Laurent Ortéga, « les problèmes des Urgences sont un symptôme, et on aura beau mettre en place les meilleures organisations possibles, si on n’ouvre pas plus de lits d’hospitalisation et que la médecine de ville ne s’étoffe pas, ça ne fonctionnera pas ! ». Urgentiste depuis 20 ans, le médecin a vu progressivement le système s’effondrer. « On a diminué le nombre de médecins, tout comme les lits à l’hôpital. Conséquences ? Les personnels s’épuisent peu à peu ».

Car dans le même temps, la hausse du flux de patients est constante. Dans notre département touristique, la problématique s’accentue durant la pleine saison. « On ne peut pas multiplier par 3 ou 4 la population du département et diminuer par 2 l’offre de soins. Les médecins de ville partent en vacances, et ils dirigent leurs patients vers le 15 et les Urgences, point barre. C’est ça la réalité ! ». Il faut aussi compter sur les congés des soignants de l’hôpital de Perpignan et le manque chronique de personnel.

Pour illustrer ces difficultés, le docteur Ortega nous affiche à l’écran le planning estival. « Aujourd’hui, j’ai le nombre de médecins nécessaire, ce qui n’empêchera pas de se faire déborder par le flux patient. Mais pour l’été, il me manque encore près de 255 gardes non couvertes. C’est pour ça qu’on tire régulièrement la sonnette d’alarme. Pour des week-ends type 14 juillet ou 15 août, je n’ai que 2 médecins et un Smur*** pour tout le département ! Moi, il me manque une quinzaine de médecins pour faire tourner le service normalement ». 

Les Urgences de Perpignan pourraient-elles fermer leurs portes ? Alors que 8 services ont fermé leur accueil au cours de l’été, le docteur Ortega balaye cette hypothèse. « Ce que peut se permettre l’hôpital Pellegrin****, nous ne pouvons pas le faire à Perpignan. Nous sommes les seuls sur le département à accueillir les Urgences. La nuit, les cliniques privées n’accueillent presque personne ».

Des plâtres sur une jambe de bois ?

Depuis le début de l’été, pour se rendre aux Urgences de Perpignan, il faut d’abord appeler le 15. L’hôpital a mis en place l’une des recommandations de la mission flash commandée par l’exécutif. Objectif de cette régulation en amont ? Alléger le flux de patients et réorienter vers d’autres structures les 20% de patients qui ne relèveraient pas de l’urgence vitale. Mais vers où réorienter ces patients quand la médecine de ville est débordée ? À Perpignan, la maison médicale de garde a élargi ses horaires. Jusque-là, les consultations débutaient à 19h, l’accès à un médecin est désormais possible dès 15h, voire 8h le week-end.

Pour ce premier jour, à 23 heures, les Urgences de Perpignan avaient pris soin de 174 patients, et le régulateur du 15 en avait orienté une trentaine vers les médecins libéraux de la maison médicale. En salle de repos, certains soignants s’inquiètent de cette nouvelle doctrine : « vont-ils pouvoir gérer ? ». Le docteur Ortega de répondre, « en plein été, la maison médicale absorbe 600 passages par week-end. Ils peuvent gérer les fièvres, les maux dentaires, et puis nous sommes leur filet de sécurité. S’il y a un souci, ils nous appellent et on y va ».

Mais comment pallier l’absence de médecins ? Depuis les années 1970 et surtout au milieu des années 1990, les ministres de la Santé successifs ont fait fluctuer le nombre de médecins formés en France. À l’époque, il s’agissait de réduire les coûts supportés par la Sécurité sociale. Accusés de trop prescrire, les médecins ont été financièrement incités à partir plus tôt à la retraite. Aujourd’hui, même si le numérus clausus a été abandonné, compte tenu de la courbe démographique et des délais de formation, le manque de praticiens et criant.

Selon Laurent Ortega, « il faut une médecine de 1er et de 2e niveau ; les Urgences ne devraient intervenir qu’en 3e niveau. Le Segur n’a clairement pas apporté grand-chose sur ce point. Vous le voyez bien l’hôpital est en train de s’effondrer, il y a moins de lits, plus de difficultés, on ne trouve plus de personnel. Il y a une vraie crise de l’hôpital ».

Quid de la nouvelle garde ?

Yann, termine sa première année d’internat en médecine générale. Le futur médecin adhère à l’idée d’un établissement de soin de premier recours. « Maintenant avec les maisons médicales, on pourrait organiser des astreintes d’Urgences. Parce que clairement, faire une suture ou un plâtre est largement faisable en médecine de ville. Évidemment, si c’est grave, il faut aller aux Urgences ; mais ce genre de choses pourraient décharger les Urgences. »

À l’issue de sa formation d’IPA à la fac de médecine de Marseille, Thomas, l’infirmier, pourra faire des sutures, réaliser un plâtre, mettre en place une ventilation non invasive, voire même établir un diagnostic sur la base d’une échographie (fast écho). À l’époque où Agnès Buzin était encore ministre de la Santé, une délégation avait fait le tour des hôpitaux de France les plus en tension, dont Perpignan. Et Thomas avait émis l’idée de mettre en place cette spécialisation, à l’image des infirmiers de réanimation.

« Des études internationales montrent que cette spécialisation apporte un gain de temps, d’argent et que cela a un impact significatif sur le parcours patient, et la qualité des soins ». Contrairement aux États-Unis où les IPA peuvent cumuler les mentions (pédiatrie, psychiatrie, Urgences ou maladies chroniques stabilisées), en France, il faut choisir une mention ; et Thomas a choisi les Urgences. La 1ère promotion d’IPA est sortie en 2019 et environ 5000 diplômés sont attendus d’ici 2024.

Dans son rapport Francois Braun précise qu’à ce jour, seuls 180 sont en mesure d’exercer l’une des 5 filières (pathologies chroniques, psychiatrie ou Urgences).

Notes :

*Les services des Urgences comptent plusieurs secteurs. Les entrées se font via deux types d’accueil différents, les patients valides arrivent par l’accueil « valide », et ceux accompagnés par les Samu ou les pompiers entrent par l’accueil « couché ».
**Certains prénoms ont été modifiés.
***Smur : Structures mobiles d’urgence et de réanimation
****Le service des Urgences de ‘hôpital Pellegrin de Bordeaux a fermé son service d’Urgences la nuit.

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