Article mis à jour le 1 juillet 2024 à 17:03
Les personnels urgentistes organisaient ce 2 juillet un rassemblement blanc devant la préfecture des Pyrénées-Orientales. Tout comme leurs collègues des 154 autres services d’urgence en France, les soignants sont en grève à Perpignan.
Soutenu par les organisations syndicales, le personnel n’hésite plus aujourd’hui à témoigner de sa souffrance et d’un système qu’il considère comme à bout de souffle. Avec 130.131 passages en 2015*, les services d’Urgence des Pyrénées-Orientales sont un point névralgique du soin. 357, c’est donc le nombre d’usagers qui franchissent quotidiennement les portes des Urgences dans le département. Mais pour quels soins ?
Un personnel en extrême souffrance
Daniel Maiquez, représentant santé CGT66 au CHU, dénonce la souffrance du personnel. « Aujourd’hui, la difficulté pour les soignants est d’avoir un patient en face de soi et de lui dire qu’il va attendre 10h ! ». Une emphase certes, puisque la durée moyenne de prise en charge en service d’Urgence en 2015 était de 3h47 en moyenne sur le département. N’en reste pas moins que, quelle que soit cette durée, l’attente parait toujours longue pour le patient confronté à la douleur et à l’inquiétude.
Et le représentant syndical d’appuyer son propos. « On ne donne pas à boire et à manger à un patient à partir du moment où il n’a pas été vu par un médecin. Le patient attendra donc des heures et des heures sur un brancard sans rien avoir parce qu’on n’a pas le droit de lui donner quoi que ce soit. C’est quand même aberrant ! »
Même constat pour le secrétaire départemental FO, Jérôme Capdevielle qui soutient l’action des urgentistes. « Aujourd’hui, ils ne sont plus en capacité de prendre soin de leurs patients comme ils en ont envie. Et comme on leur a appris à le faire dans leur métier. Ils sont conduits à faire des choix, à aller vite et à faire au mieux ». Des choix que le syndicaliste considère comme allant à l’encontre d’un service public de qualité.
La réponse de la ministre Agnès Buzyn
Dans son communiqué de presse du 14 juin, la ministre des Solidarités et de la Santé, tente de répondre à la crise des services d’urgences avec une volonté « de refondation ». Cette refondation s’accompagne de premières mesures de soutien pour les professionnels concernés.
Parmi ces mesures, une prime individuelle de risque de 100 euros nets mensuels versée à l’ensemble des professionnels des services d’urgence (hors médecins). Mais aussi, une prime de coopération pour le personnel paramédical d’un montant de 100 euros bruts mensuels. Cette coopération prendra la forme « d’une délégation de tâche pour les infirmiers diplômés d’Etat (IDE) et aides-soignants (AS)« . En clair, ils se verront confier de nouvelles compétences. Des compétences qui leur sont actuellement interdites, mais que certains, dans les faits, pratiquent déjà. Par exemple un aide-soignant qui pratique un acte qualifié d’invasif, du type « dextro » (analyse de la glycémie), est aujourd’hui hors de son champ de compétences.
Côté effectifs, une enveloppe de 15 millions d’euros est dégagée pour permettre de recruter « en cas de situations exceptionnelles », comme les périodes estivales. Le plafonnement des heures supplémentaires devrait également être rehaussé. La ministre annonce également l’accélération du plan de modernisation des locaux et équipements des services urgences.
Un glissement de tâches synonyme de dérive ?
Daniel Maiquez est également revenu sur l’entrevue avec l’ARS** et les mesures ci-dessus qu’il qualifie de « saupoudrage ». Venu chercher des moyens financiers et humains, il attire l’attention sur le glissement de tâches évoqué lors de cette réunion. « On va déléguer certaines parties du rôle du médecin à l’infirmière, certaines parties du rôle de l’IDE à l’aide-soignante. De manière à mettre en place une organisation dégradée. »
Aujourd’hui, dans le quotidien des soignants, ce « débordement de fonction » n’est pas prescrit. Mais dans le travail réel, il est omniprésent. Comme le confirme Daniel Maiquez : « Les infirmiers font effectivement un peu plus que ce qu’ils devraient faire, les aides-soignants (AS) aussi. Tout cela pour palier le manque de moyens et de personnel. L’essentiel, c’est que les soins soient prodigués à tous les patients. Mais on ne peut pas pérenniser cette situation ! »
Une hypocrisie du système selon les syndicalistes présents au rassemblement. Ceux-ci dénonçant des instances dirigeantes qui, selon eux, ferment les yeux sur cette pratique si besoin. Mais n’hésitant pas à la sanctionner, parfois lourdement, quand cela « l’arrange ».
Des urgences sous-dimensionnées
Force Ouvrière s’insurge sur l’inadéquation entre le flux démographique du département et l’offre de soin. « L’accroissement estival de notre population et les flux migratoires liés à la proximité de la frontière, font que notre service doit répondre à un besoin supérieur aux 450 000 habitants. Notre service public doit savoir s’adapter aux pics de population. Perpignan est sous-doté de manière chronique. Donc, il va falloir trouver des solutions ».
Le recrutement de personnel de renfort est la seule réponse adaptée pour le syndicaliste. « Sans eux, on n’arrive pas à faire fonctionner un service des urgences. »
Urgences, tous concernés ?
Un jour où l’autre, on passe malheureusement tous par l’hôpital comme le rappelle Daniel Maiquez. « Il faut donc que l’hôpital soit efficace, puisse soigner et dans de bonnes conditions. Des conditions d’accueil des patients, et des conditions de travail pour les agents hospitaliers. Aujourd’hui, le personnel répond présent. Il trime, s’épuise et craque des fois aussi. Mais il est là. Les patients sont encore bien soignés, mais cela ne pourra bientôt plus continuer. »
Des propos qui conduisent à une nécessaire réflexion : Qui sont les usagers des urgences ? Le département est vieillissant, avec une population des plus de 75 ans qui va augmenter de 61 % d’ici 2022 (baby-boom oblige). Le cliché de l’octogénaire en déshérence sur un brancard en pleine nuit est dans tous les esprits. Et pourtant, les consultations pédiatriques et celles des moins de 29 ans représentent 40% des visites dans ces services. Difficultés dans le parcours de soins ? Les urgences semblent « la solution à tous les remèdes » pour une population jeune. Sans oublier la « bobologie », maintes fois soulignée par les spécialistes.
En 2019, force est de constater que la pression monte, y compris du côté des usagers. Emmanuel Caron, représentant CGT, dépeint un triste quotidien. « La douleur génère une agressivité, mélangée à un effet de groupe qui fait gronder le reste des usagers. On a du personnel qui se fait agresser. Des soignants sur Perpignan se sont fait étrangler, frapper. Et c’est de plus en plus fréquent sur Perpignan, comme sur tous les hôpitaux de France. »
Plusieurs causes avancées à cette situation
La première avancée, la tarification à l’activité aussi appelée T2A***. « L’évaluation par l’absurde » selon Emmanuel Caron. « On ne calibre plus sur la nécessité de passer du temps avec un patient en face. Comme le chronométrage chez Amazon ». Une position partagée par cet IDE, tout juste retraité, venu soutenir ses anciens collègues. « Depuis 12 ans, on nous demande de faire de plus en plus d’actes pour une meilleure rentabilité. Mais, ces actes sont de moins en moins rétribués pour maintenir le budget de la sécurité sociale. Et au bout de 10 ans, on arrive à cette situation paradoxale où les soignants ne sont plus en capacité de soigner ! »
Remonté, un immense cercueil noir sur le dos, le syndicaliste remet également en cause « la méthode ». « Pour essayer de récupérer de la rentabilité, on a mis en place un outil informatique ». Un outil chronophage, qui « au lieu de gagner du temps, on en perd ! ».
Les compétences fuient-elles l’hôpital ?
La formation semble passer actuellement au dernier plan des priorités des soignants. En effet, les formations à l’hôpital sont reportées ou annulées par manque de personnel pour assurer les gardes. Les pratiques, protocoles, prises en charge thérapeutiques évoluant régulièrement et la médecine moderne ne peut faire l’impasse sur une remise à niveau régulière des savoir-faire et des compétences des soignants.
Pour illustrer ce mal-être des personnels, Emmanuel Caron nous confie : « On a eu une fuite énorme des infirmiers de l’hôpital vers le statut libéral. Une perte de compétences non remplacées ».
Les chiffres de l’ARS** confirment cet engouement départemental des infirmiers pour le libéral. En effet, les Pyrénées-Orientales présentent la densité d’IDE la plus importante des 13 départements d’Occitanie. Densité 5 fois supérieure à celle d’il y a 30 ans, et plus de 2 fois plus élevée que la moyenne nationale.
Vers plus de privatisation ?
Parmi les personnels, le spectre de l’arrivée de capitaux privés dans l’hôpital inquiète les fervents défenseurs du service public. Et la décision d’ouvrir à appel d’offres l’entretien du Pôle Santé Roussillon n’est pas pour les rassurer. Emmanuel Caron de déclarer à ce propos : « On a supprimé des CDD. On s’est servi d’eux pendant des années, et leur fait presque croire que c’était bon. Et, au bout de 3 ans, on les remercie… »
L’agent hospitalier émet des réserves sur la capacité de la société d’entretien à répondre aux exigences financières de l’hôpital sans faire pression sur le personnel. Il s’alarme également de certaines pratiques au sein de l’établissement hospitalier. « Certaines personnes se targuent de sanctionner le prestataire entre 10 et 20.000€ de pénalités par mois. Oublier d’apposer sa signature après avoir nettoyé une pièce, c’est 50€ ! ». Emmanuel Caron de s’insurger : « Aujourd’hui, on n’a plus des patients en face de nous. On a des billets sur pied ! ».
*Sources : Insee, estimations de population au 1er janvier 2015 – ORU Languedoc-Roussillon et ORU-MiP. Ce traitement porte sur les données RPU de 63 établissements et des déclarations SAE 2015 de 3 autres.
**Agence Régionale de Santé
***La tarification à l’activité (T2A) est un mode de financement des établissements de santé français issu de la réforme hospitalière du plan Hôpital 2007 (Source Wikipédia)
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