Article mis à jour le 25 août 2022 à 19:16
Avant l’élection des 15 et 22 mars prochain, la rédaction a fait le choix de rencontrer un à un chacun des candidats. Ces entretiens seront publiés simultanément deux par deux. Nous avions choisi l’ordre alphabétique. Un choix sur lequel nous avons dû revenir faute de disponibilité de certains candidats. Vous pouvez retrouver, dans nos précédents articles, la présentation de Louis Aliot, Olivier Amiel, Alexandre Bolo, Caroline Forges, Romain Grau, Agnès Langevine, Jean-Marc Pujol, Clotilde Ripoull.
♦ Agnès Langevine, pourriez-vous nous rappeler votre parcours ?
Je suis arrivée à Perpignan, à l’âge de 1 an, sous les bras de ma mère. Elle avait quitté mon père pour revenir rejoindre mes grands-parents. Nous avons d’abord vécu au Moulin-à-Vent avant de nous installer dans une cité HLM du quartier Saint-Martin. À l’époque, c’était beaucoup moins urbanisé. Il n’y avait pas encore le Leclerc. Nous avions des jeux dans la cour ; c’était un peu la campagne finalement.
J’ai grandi avec des enfants de familles très diverses. J’ai ce souvenir de notre voisine du dessus qui travaillait pour les poupées Bella ; elle fabriquait des yeux. J’ai un agréable souvenir de ces années-là. Ma mère avait fini ses études d’infirmière quand ma grand-mère est décédée ; j’avais 7 ans. Ma grand-mère s’occupait beaucoup de moi. Finalement, j’ai un parcours très classique d’une enfant élevée par une femme seule, dans une famille monoparentale. Heureusement qu’il y avait mes grands-parents… C’est là que je mesure les difficultés des femmes ou des hommes seuls avec des enfants et sans entourage familial. Y compris dans l’accès à l’emploi.
Et puis ma mère a fait le choix, qu’elle croyait être le meilleur pour moi, de m’inscrire dans le privé.
Je suis allée à Jean-d’Arc et j’ai poursuivi jusqu’à Bon Secours. Cela a été un premier déchirement pour moi ; c’était un choc des cultures entre la cité et l’école. J’ai vécu à plein le décalage de milieu social entre la cité et l’école. Mais en parallèle, je continuais les activités extrascolaires. J’allais chez les éclaireurs des Francas, au foyer Léo Lagrange. Je suis un pur produit de l’éducation populaire. Ma famille était communiste et très engagée dans l’éducation populaire. Et, j’ai toujours entendu parler politique à la maison. Les discussions étaient très animées !
Ma tante était aussi engagée auprès d’un collectif de femmes communistes qui gérait une colonie de vacances près de Font-Romeu. J’allais y passer mes vacances, et j’ai débuté avec l’engagement dans l’émancipation des femmes. Tout cela a construit mon parcours politique. Mon premier engagement militant était auprès du planning familial, mais aussi à l’association Aides qui se montait à Perpignan. C’était les années terribles 1986-87.
Ensuite, j’ai fait des études de psychologie à Toulouse puis à Paris, avant de revenir à Perpignan en 1994.
À 22 ans, j’étais un peu jeune pour occuper un poste de psychologue clinicienne à l’hôpital. Donc, j’ai commencé à travailler dans le milieu associatif sur des programmes d’accompagnement des publics au RMI. Puis, le planning familial a créé un poste, j’ai pu y développer des programmes de prévention santé, d’éducation à la sexualité. Entre le volet militant du planning familial et la politique, il n’y a qu’un pas. J’ai fait un premier passage au Parti Socialiste, et je l’ai quitté pour rejoindre les verts.
Je l’ai quitté en même temps, que Jean Codognès. Je ne supportais pas le système mis en place par Christian Bourquin [NDLR d’abord président du département, il incarnait le parti socialiste]. Et je n’étais pas la seule.
♦ En 2008 puis 2009, vous vous présentez déjà aux élections municipales à Perpignan
J’étais présente sur la liste de Jean Codognès en 2008 et 2009. Tout comme Romain Grau. Il était d’abord attaché parlementaire à mi-temps d’Henri Sicre. Ce dernier a demandé à Jean Codognès de prendre l’autre mi-temps pour lui permettre de financer ses études. En 2009, le soir de notre défaite, déçus du résultat, nous prenions un verre sur la place Arago avec les militants. À ce moment-là, nous avons vu passer Romain Grau avec les vainqueurs au bras de Jean-Paul Alduy. Mais ça, c’est l’histoire de Jean et de Romain. Sauf que depuis, il l’a reproduit avec d’autres, c’est presque compulsif chez lui.
Puis j’ai mené plusieurs combats avec les écologistes. Parce que j’ai toujours porté nos couleurs, quand nous étions à 1%, 5% ou 9%. C’est comme cela que je conçois l’engagement dans un parti. Il faut porter avec conviction le programme et faire en sort qu’il progresse. Je n’étais pas candidate aux départementales de 2015. Le Parti socialiste et Hermeline Malherbe avaient un accord avec le Parti communiste. Nous, nous avions fait une répartition parce que nous n’avions pas assez de forces pour être sur tous les cantons.
Et je me suis engagée aux élections régionales sur la liste écologiste de Gérard Onesta. Puis, nous avons fusionné entre les deux tours pour constituer la majorité actuelle. Aujourd’hui, je suis vice-présidente en charge de la transition écologique et énergétique.
♦ Croyez-vous que Perpignan soit prêt pour avoir un maire écologiste, une femme de surcroît ?
Sur le terrain, je l’entends, les gens sont prêts. Parce que, quoi qu’on en dise, le simple fait d’être une femme est un signe de changement, de renouvellement. Mais pas seulement, je pense qu’à l’échelon d’une ville, il y a un besoin de bienveillance, de soin. Alors en disant cela, je suis en plein dans les clichés, mais c’est ce que l’on me renvoie. Je ressens vraiment un besoin de protection.
Est-ce les temps qui changent ? Est-ce que cela correspond à l’état de la société ? Peut-être que dans d’autres temps, les électeurs demandaient un chef, une figure autoritaire ou paternelle. Je crois qu’aujourd’hui, les gens ont plus envie d’être dans le « faire » plutôt que dans le discours. Je conviens que ce ne sont que des représentations, et qu’elles restent à déconstruire. Mais elles existent quand même, et on le ressent sur le terrain.
Quant à la femme ou l’homme écologiste, oui je crois que Perpignan est prêt. Ce qui est intéressant dans cette séquence municipale, mais aussi au niveau national, c’est cet espace, et cette voix pour la parole écologique. L’élection d’Emmanuel Macron a permis une recomposition politique. Il a fait exploser les lignes autant à gauche qu’à droite.
Aujourd’hui, l’écologie se positionne comme une centrale pour reconstruire.
On voit bien d’un côté ceux qui veulent maintenir ce système ultralibéral sans se soucier des ressources de la planète, ni de son état avec des figures d’autorité et très populistes. Et de l’autre, un mouvement né dans les ONG, dans la résistance locale, avec la jeunesse qui se soucie du dérèglement climatique, de l’érosion, de l’impact de la disparition de la biodiversité… Ce mouvement nous pousse à repenser ce modèle économique de production et de consommation.
Ces deux forces s’organisent dans le monde. On voit bien qu’elles ont des traductions politiques et électorales très différentes. Et aujourd’hui, je crois que nous sommes arrivés au bout d’un système qui n’est plus soutenable pour la planète. Mais aussi pour toutes les populations qui ont ou qui vont être victimes de cette dérégulation. Parce que le monde est devenu anxiogène, les gens ont envie de prendre leur vie en main. Et l’écologie, apporte des solutions très globales, mais aussi très locales. Du faire et de l’agir pour changer les comportements et enfin répondre aux enjeux.
♦ Parmi l’électorat traditionnellement écolo, il y a les jeunes. Comment espérez-vous les mobiliser ?
C’est tout l’enjeu ! Comment les mobiliser ? Notre liste incarne le renouvellement, plus de la moitié des membres sont des primo-candidats. Ils ont choisi de franchir le pas de la politique pour la première fois. Si nous voulons parler aux jeunes, il faut qu’on leur ressemble, y compris dans l’incarnation.
Il faut aussi que les candidats ne soient pas déconnectés de la réalité des jeunes. Car j’ai vraiment l’impression que notre société maltraite notre jeunesse. À Perpignan, la jeunesse souffre d’une grande précarité, de pauvreté ; du peu de formations, de loisirs et de culture.
Ma vision de la politique de jeunesse, c’est déjà d’en avoir une !
Et il faut qu’elle soit très déterminée et très visible. Je veux en faire la priorité de mon mandat. Avec pour point central : l’école. Une école ouverte sur son quartier, sans négliger bien sûr les aspects de sécurité. Avec un renforcement des associations d’éducation populaire dans les activités périscolaires. Je ne dis pas que ça ne se fait pas aujourd’hui, mais je crois qu’il faut renforcer cette action.
Le périscolaire, c’est très important. Il faut organiser des classes vertes, des séjours à l’étranger. Ils peuvent être très porteurs, marquants, parfois être un déclencheur dans le parcours de l’enfant. Une découverte, une rencontre ; ce sont vraiment des possibles qu’il ne faut pas négliger. Nous devrons aussi faire en sorte que tous les publics soient embarqués dans ces dispositifs. L’objectif est de reconstruire le parcours des jeunes dans la ville, de l’enfance à la vie étudiante.
La politique jeunesse, c’est aussi sortir et se rencontrer. Il faut repenser l’offre de proximité sans oublier d’ouvrir les accès aux lieux de culture. Pour cela, il est aussi possible de s’appuyer sur les bonnes volontés, l’intergénérationnel, les tuteurs bénévoles, les jeunes retraités. Cela se fait, il faut juste que la mairie l’organise et le favorise. Comme disait, Noël Mamère*, il ne faut pas s’interdire d’imaginer, d’inventer de nouvelles formes de solidarités.
♦ Le discours écologiste n’aborde que rarement les thèmes de campagne tels que la sécurité ?
Effectivement, c’est une question centrale. Elle est intéressante pour les écologistes parce qu’elle nous oblige à sortir de notre zone de confort au niveau du discours. L’enjeu est important, et j’ai des idées sur le sujet. Ce sont des thématiques qui ne sont pas forcément mon marqueur traditionnel. Mais il faut être crédible aux yeux des électeurs sur ces sujets.
Sur la sécurité, je n’ai pas la même vision que Louis Aliot ou Jean-Marc Pujol. Et même s’il faut renforcer l’îlotage, la proximité, la présence de nuit dans les quartiers, le plus gros problème à Perpignan, c’est le trafic de drogue. Même si la compétence appartient à la police nationale, il faut que le maire incarne une forme d’autorité pour parvenir à éradiquer le trafic de drogue. Trafic qui va bien au-delà du petit dealer !
On connaît les chiffres, on connaît la situation. Mais on peut s’interroger pour savoir pourquoi cette forme d’impunité ? Et c’est là que la parole du maire est importante, elle doit porter jusqu’au ministère de l’intérieur. J’ai dit à Monsieur Pujol qu’il n’avait pas pris les choses en main de façon autoritaire. Ça ne peut plus durer.
Moi, bien qu’écologiste, je le ferai ! Ce sera d’ailleurs ma première action en matière de sécurité.
Fermer les yeux sur ces trafics, ce n’est plus possible. Il y a du trafic partout, y compris sous les caméras, en toute impunité. Je ne sais pas qui sont les trafiquants, et si ce sont tous des indics. Mais les Perpignanais ne comprennent plus pourquoi on laisse faire.
Je propose une brigade municipale spécialisée pluridisciplinaire, parce que c’est un sujet complexe. Je ne dis pas que c’est facile, mais nous devons régler ce problème sur Perpignan ! Et ça se fera aussi en remettant du monde dans la rue, des rondes dans les lieux de trafic, ainsi que des structures avec des éducateurs de rue…
Car l’un des problèmes est qu’il n’y a plus personne dans la rue. Il n’y a plus d’habitants, de travailleurs sociaux, il n’y a plus que du minéral et des caméras. Nous devons nous réapproprier l’espace public ! L’équipe actuelle est à bout de souffle, elle ne l’a pas fait, et elle n’a plus l’énergie pour le faire.
♦ Agnès Langevine, on vous sait très pro-éolien. Quelles sont vos positions en termes de transition énergétique ?
Oui, l’éolien est un sujet très clivant. Mais les fermes de photovoltaïque au sol soulèvent aussi des problèmes car elles rentrent en concurrence avec les terres agricoles. Personnellement, je suis pro énergie renouvelable, parce qu’il faut réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Et il n’y a pas 50 solutions, il faut réduire notre consommation en rénovant les logements par exemple. Mais ça ne suffit pas, et nous avons fait le calcul au niveau de la Région. Nous devons produire 3 fois plus d’énergie renouvelable, et, en même temps, réduire de 60% notre facture énergétique globale (électricité, essence..) par habitant.
Quand je dis multiplier par 3 la production d’énergie, je dis qu’il faut penser à tous les vecteurs (biomasse, éolien, géothermie…). Au niveau régional, nous devons multiplier par 12 l’énergie issue du photovoltaïque, et par 5 celle issue de l’éolien. Je parle bien de l’énergie et non pas des mâts, parce que les technologies ont évolué. Après sur Perpignan et sur le département, il y a déjà un parc éolien important, et il n’y a plus trop de gisements potentiels. Il y a 2 ou 3 projets actuellement à l’étude.
♦ Le nom de la Région Occitanie est-il une blessure pour votre électorat ?
Oui, c’est une blessure pour certains. C’est la liste écologiste portée par Gérard Onesta qui a réussi à rajouter sur les proportions de la consultation internet le nom Occitanie – Pays Catalan. Certes, le rapport numérique n’était pas en notre faveur ; mais dans le département, la mobilisation a été très faible. Dans d’autres départements, les votants ont mené une réelle campagne. Ce fut le cas par exemple dans les lycées, puisqu’on pouvait voter à partir de 16 ans. Ici rien ! C’est pour ça que, très vite, j’ai proposé de modifier le nom du département. Mais, je n’ai pas été suivie par la présidente du département, elle ne le souhaite pas.
Parce que ce qui est fait au Pays Basque, dans les Côtes d’Armor ou au Pays Cathare est remarquable. Ici, les Pyrénées ont bien une identité, mais « Orientales », ça ne parle pas. Si elle ne voulait pas Pays Catalan, on aurait pu choisir Pyrénées Catalanes. Ça aurait eu de la gueule quand même ! En tout cas, ça aurait été plus judicieux que la 4e dimension !
Ça fait 20 ans que ça aurait dû être fait ! Mais personne ne s’est emparé de ce débat, ni au département, ni à la Communauté Urbaine. Il faut porter une marque, une identité pour l’ensemble des professionnels. Mais là, je ne sais pas comment les professionnels du tourisme vont faire. Ou même, vous imaginez un yaourt de brebis où il y aura marqué la 4e dimension ? Non, mais c’est n’importe quoi !
♦ Quelle sera votre stratégie pour le second tour ?
En 2014, on a déjà eu le feu. Mais en 2020, on se retrouve encore plus en danger et avec une équipe à bout de souffle. Après le désistement de la gauche en 2014, j’ai dit à Jean-Marc Pujol, qu’est-ce que tu as fait sur le plan démocratique ? Tu n’as jamais organisé un seul dialogue avec ceux qui n’étaient pas représentés au conseil municipal. Et pour moi c’est une erreur capitale !
Alors le barrage au Rassemblement National ne marchera pas. Parce que les électeurs s’interrogent, qu’avez-vous fait de ma voix en 2014 ? Donc en 2020, je ne me déplacerai pas ! Si ça se reproduit, comment allons-nous mobiliser les électeurs ? En 2020, on retrouve une ville encore plus abîmée, des services publics encore plus défaillants, des indicateurs de précarité qui ne se sont pas résorbés. Je demande à Jean-Marc Pujol, qu’a-t-il fait pour résorber le terreau du Rassemblement National ?
Le bilan, c’est que c’est un mandat pour rien. Et on se retrouve encore plus en danger, et donc se pose la question du second tour. Je sens une réelle dynamique en notre faveur. Et je pense être sérieusement la seule offre politique de renouvellement et écologique. Nous avons la seule offre qui permette de battre Louis Aliot. Car je ne vois pas Monsieur Pujol en position de pouvoir gagner à cause de ce qu’il n’a pas fait en 2014.
♦ Un changement de composition de votre liste est-il envisageable entre les deux tours ?
Oui, mais il faut que vraiment que ça ait du sens, et que ce soit très clair ! Je ferai tout pour battre Louis Aliot. Mais un changement de liste peut aussi être contre-productif, car ça peut apparaître comme une espèce de magouille ou de calcul politique.
Mais ça peut avoir du sens, si c’est pour installer une représentation politique.
*Noël Mamère, ancien député écologiste, ancien maire de Bègles (33), est venu soutenir la candidate écologiste durant la campagne.
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