Article mis à jour le 4 septembre 2022 à 14:06
Dans le cadre de la 32e édition du Festival Visa pour l’Image, la saison à Jean Vigo s’ouvre avec la projection de deux documentaires réalisés par des femmes engagées. Alice Odiot, lauréate du Prix Albert Londres, viendra présenter Des Hommes, mardi 1er septembre à 19h; et Mariana Otero pour Histoire d’un regard, jeudi 3 septembre à 19h.
En amont de la projection à l’Institut, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Alice Odiot. Couloirs, cellules et détenus de la prison des Baumettes à Marseille, la réalisatrice balaye ses souvenirs de tournage et livre son ressenti sur le milieu carcéral.
♦ Des Hommes – Des instants, des destins brisés, de l’espoir et de la violence
Pas de voix off, pas de format préconçu, le film « Des Hommes » se vit comme une expérience immersive. Récompensée du prix Albert Londres en 2012, Alice Odiot a souhaité se détourner des préformatages qu’impose une diffusion à la télévision ; ici, aucune explication partiale sur la délinquance. « Je crois que cette expérience immersive peut avoir valeur d’information. Cela informe les gens sur comment cela se passe à l’intérieur d’une prison. »
Résumer « Des Hommes » ? « 25 jours en immersion dans la prison des Baumettes à Marseille. 30.000 mètres carrés et 2.000 détenus dont la moitié n’a pas 30 ans. Des instants de vie carcérale, des témoignages de destins brisés, d’espoirs, de violence. Une prison qui raconte la justice et les injustices de la vie. »
♦ Être une femme ou un homme en milieu carcéral ?
Dans les précédents films, nous nous sommes intéressés à une femme qui avait été en prison. Elle allait bientôt y retourner après avoir tué son mari suite à une immense problématique de violences familiales. Pour le film « Des Hommes », nous rentrons pour la première fois dans la prison d’arrêt pour femmes. Je crois que les femmes en prison se sentent encore plus seules que les détenus masculins. Certes, elles continuent à s’occuper des enfants à travers les murs.
Mais socialement être une mère en prison, c’est très complexe. Elles peuvent avoir un oncle, un frère, un papa à l’extérieur pour les aider. Mais l’image de la mère en prison est très compliquée. Alors que l’image de l’homme en prison peut être celle du bandit ; quelque chose de très viril. On sait qu’il n’y a que 4% de femmes parmi la population carcérale.
Nous nous sommes rapidement arrêtés de filmer dans le quartier des femmes. D’abord parce que le sujet avait déjà été très souvent traité. Mais aussi parce que ces femmes nous faisaient savoir que c’était compliqué, même si nous avions obtenu les autorisations de droit l’image ; par exemple pour leurs enfants à l’école. Et du coup, on s’est tout simplement arrêté.
♦ En tant que femme, quel comportement ont eu les détenus à votre égard ?
Les relations se passaient très bien entre eux et moi ; car ces détenus évoluent dans un environnement avec une certaine mixité. Les hommes à la prison des Baumettes ont droit à une certaine mixité, et c’est très bien. Il y a beaucoup de femmes parmi le personnel pénitentiaire. Depuis les années 2000, les femmes ont le droit de travailler dans les quartiers des hommes. Et personnellement, je pense que c’est une très bonne chose. Car, être privé de mixité est terrible. Ils sont déjà privés de sexualité, d’intimité ; si en plus on les prive de mixité, c’est très lourd.
Par contre les femmes n’ont pas droit à cette mixité ; les hommes ne peuvent pas travailler dans les quartiers des femmes. Pour les femmes détenues, c’est très difficile. Et d’ailleurs, elles appellent régulièrement les pompiers pour des malaises. Mais c’est surtout l’occasion de voir des hommes. Tout le monde à envie de plaire ; ou tout simplement d’avoir des relations et des échanges avec des personnes de l’autre sexe.
Plus que d’être une femme, j’appréhendais plus d’être libre ; rentrer le matin à la prison des Baumettes et de sortir le soir. Être libre dans un monde où personne ne l’est, c’est très particulier. C’est surtout ça qui me questionnait. Comment rentrer dans un lieu pareil, ressortir, et y revenir le lendemain ? Comment rentrer librement dans un lieu où il n’y a aucune liberté ?
♦ La genèse « Des Hommes » à la prison des Baumettes ?
Quand on vit à Marseille, la prison des Baumettes fait partie de la ville ; au même titre que la plage ou le stade de foot. C’est un lieu quasiment mythique et qui constitue la ville. Nous avions envie d’y entrer, comme on a envie de connaître les endroits de sa ville. Nos deux précédents films traitaient de la détention de manière détournée : comment elle pénètre les familles, comment elle impacte la vie sociale.
Ce travail cinématographique nous avait donné envie de d’aller plus loin. Et puis cela fait aussi partie de notre métier de documentariste ; montrer à voir des endroits hors du monde, des lieux secrets, de révéler à la société, des lieux comme ceux-là.
♦ Ces rencontres ont-elles changé votre rapport à la prison et votre vision des détenus ?
Oui, bien sûr ; je n’aurai pas rencontré ces hommes sans ce film. Ils ont des préoccupations somme toute banales. Comment va s’organiser la rentrée des enfants, par exemple. La vie continue ; on continue à être parent à l’intérieur de la prison.
J’ai également constaté que ces détenus font partie d’une certaine catégorie sociale. Ce sont des gens pauvres qui n’ont pas eu accès à l’enseignement. Parfois, il y a aussi un problème d’alphabétisation. Une fois dehors, ils vont retourner dans des cités, des quartiers complètement abandonnés du projet politique.
Ces hommes ne font nullement partie du projet politique. Et malheureusement, ils reviendront en prison. Parce qu’il n’y a pas de réelle volonté politique de s’emparer de ces questions ou de changer la politique pénale. Une politique qui consiste toujours à enfermer encore et encore ; sans que cela ne change grand-chose. Il y a plus de 60% des hommes emprisonnés qui retourneront en prison.
♦ La lutte contre la récidive est-elle efficace selon vous ?
Comment la lutte contre la récidive pourrait avoir un quelconque effet dans un monde pareil ? Enfermés à deux ou trois dans une cellule de 9M2. Il n’y a absolument rien, aucune perspective d’avenir. C’est évident qu’enfermer ainsi des hommes ne peut pas les aider à se réinsérer.
Et même s’ils ont accès à des cours, cela reste très anecdotique. La surpopulation carcérale est telle qu’il n’y a pas assez de personnel pour les encadrer et pour avoir accès à une formation. Il y a une très belle bibliothèque aux Baumettes ; mais ils sont nombreux à ne pas savoir lire…. L’accès à la culture ne peut se faire qu’avec un accompagnement. Certaines choses sont faites en prison, mais il en faudrait bien plus.
Pourquoi ne pas réfléchir aux travaux d’intérêt général ? Le problème est surtout la sortie de la prison : quand on ne fait pas partie du projet politique, comment retrouver un emploi, s’extraire du trafic ? Il est très compliqué de sortir du trafic de stupéfiants quand tout le monde est au chômage ; quand on vit dans un quartier hyperexcentré, déserté depuis longtemps et dans une ville comme Marseille où 25% des personnes vivent sous le seuil de pauvreté.
♦ Quel est le profil des détenus que vous avez rencontré ?
La plupart des hommes que nous avons rencontrés étaient là pour du trafic de stupéfiants, vol en bande organisée, infractions au code de la route, pensions alimentaires non payées ; bref la délinquance du quotidien. Les motifs étaient assez clairs, et il n’y avait pas vraiment de tabou. Nous-mêmes, nous ne cherchions pas à savoir pourquoi ils étaient là.
♦ Quels sont vos projets ?
Nous avons hâte de pouvoir montrer ce documentaire à l’intérieur des Baumettes. Je serai contente de leur restituer.
Je reçois des messages d’anciens détenus me disant qu’ils ont vu le film, qu’ils en sont bouleversés et que ce que nous avons filmé reflète bien leur vécu. Des détenus que nous avons filmés et qui sont sortis nous ont contactés pour nous dire qu’ils étaient contents qu’un tel film existe.
Parallèlement, nous avons un film sur un tout autre sujet bientôt programmé sur Arte. « Made in France – Au service de la guerre » sera diffusé le 22 septembre prochain.
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