Article mis à jour le 24 février 2023 à 08:36
Avant l’élection des 15 et 22 mars prochain, la rédaction a fait le choix de rencontrer un à un chacun des candidats. Ces entretiens seront publiés simultanément deux par deux. Nous avions choisi l’ordre alphabétique. Un choix sur lequel nous avons dû revenir faute de disponibilité de certains candidats. Vous pouvez retrouver, dans nos précédents articles, la présentation de Louis Aliot, Olivier Amiel, Alexandre Bolo, Caroline Forges, Romain Grau, Agnès Langevine, Jean-Marc Pujol, Clotilde Ripoull.
♦ Caroline Forgues, pourriez-vous nous rappeler votre parcours ?
Née ici, j’ai grandi sur la plaine du Roussillon. J’ai fait mon lycée à Perpignan, puis je suis partie faire mes études à Toulouse. Ensuite, j’ai travaillé en région parisienne, et je suis revenue ici depuis 15 ans.
Je suis une écolo’ convaincue depuis mon plus jeune âge. D’ailleurs, j’ai fait des études dans le domaine du traitement des pollutions. Je suis ingénieure en procédés industriels, avec une spécialité liée à l’environnement, le traitement de l’eau, des déchets, de l’air. Bref, le traitement de tout ce qui nous entoure.
Après diverses expériences professionnelles, j’ai choisi de créer ma propre activité. J’ai été 12 ans ingénieure conseil, consultante en environnement en tant que profession libérale. Avant d’intégrer une coopérative d’activité qui me permet d’être salarié entrepreneur. Ce type de structure permet une mise en commun des moyens, en gestion, en personnel. Et chacun garde son activité ; sophrologue ou artisan du bâtiment.
Mon métier consiste à conseiller des entreprises ou des réseaux professionnels du département.
Il s’agit de faire un bilan et d’amener des conseils vis-à-vis de la situation environnementale et les moyens pour améliorer la situation. Je vais faire un diagnostic et élaborer un plan d’action sur les problématiques telles que le tri des déchets ou les économies d’énergie.
Avec les collectivités, il s’agit de faire de la planification sur notamment le tri des déchets. Pour qu’ils puissent planifier leur collecte ou mettre en place une collecte de biodéchets. Ou encore gérer une tarification incitative, proportionnelle au service rendu et non basée sur le foncier. Ça pourrait passer par une pesée des poubelles ou un comptage du nombre de levers des bacs.
Je travaille aussi dans l’adaptation au changement climatique et sur le plan climat. Je fais des diagnostics d’émission de gaz à effet de serre pour les entreprises ou les collectivités. Ensuite, je propose un plan d’action pour améliorer et atteindre les objectifs à l’horizon 2030 et 2050.
♦ Et au niveau associatif ?
J’ai milité longtemps dans l’association Vélo en Têt qui agit pour l’usage de la bicyclette. L’usage du vélo est un symbole de l’écologie qui va bien au-delà de la santé, et de la vie dans la ville. Parce que quand on est sur un vélo, on n’est pas à l’abri d’un habitacle. Et on se rend bien compte de la façon dont est faite la ville et de sa circulation.
Plus que la défense du vélo, cette association a toujours développé une vision de l’urbanisme et une participation à tout ce qui est enquête publique. Au niveau du plan local d’urbanisme, du plan de déplacement urbain, du schéma de cohérence territoriale…. De gros pavés très difficiles à lire, mais sur lesquels Vélo en Têt est consultée car agréée pour la protection de l’environnement auprès de la Préfecture. Nous essayons de jouer un rôle de citoyens avertis sur ces problématiques, de donner notre avis, et même de faire des propositions constructives.
♦ Comment s’est faite la bascule entre la militante associative et la candidate ?
Ça s’est fait début 2018. J’avais une envie non exprimée de faire de la politique. Parce que quand on représente la société civile, à Perpignan, on n’est peu écouté. En tant que bénévole d’une association, je passais des soirées entières à étudier des dossiers, à faire des courriers. Mais la vérité est que ces courriers n’étaient pas lus. J’ai donc eu cette frustration liée au manque d’écoute de ce que l’on appelle les corps intermédiaires.
Pour moi, la démocratie est quelque chose qui se partage. Il faut partager les enjeux, arrêter d’être dans le discours simpliste qui oppose la sécurité au social.
J’ai un souvenir précis. Il y a 10 ans, j’assistais à une réunion et Monsieur Pujol m’a dit : « L’écologie, c’est bien, mais on ne veut pas des ayatollahs verts ». En voulant dire que nous étions excessifs.
Ce qui est excessif dans cette ville, c’est l’urgence écologique, l’urgence sociale, et la position politique par rapport à la situation nationale. Mais aussi la politique du gouvernement qui casse nos solidarités en nous demandant de faire des économies, alors que lui n’en fait pas !
Par rapport aux enjeux, les pouvoirs publics sont complètement à côté de la plaque. Que ce soit à Perpignan ou au national. Donc en tant que citoyenne alertée, parent d’enfants qui vont grandir dans ce monde, j’avais envie de dire des choses. Nous avons des idées bien plus raisonnables que ceux qui nous gouvernent.
♦ Comment percevez-vous la campagne municipale ?
Nous avons effectivement un peu de mal à nous faire entendre. D’autant que nous sommes les outsiders de cette campagne. C’est certain que tant qu’on ne l’a jamais vécue, on ne sait pas de quoi il retourne.
Ceci dit, en interne, nous construisons, nous suivons notre méthode, faite d’ateliers, d’échanges avec ceux qui ont signé notre manifeste. Mais aussi avec tous ceux qui sont passés dans des ateliers thématiques sans forcément nous rejoindre.
De l’intérieur, sur notre groupe, nous sentons une réelle dynamique, un réel espoir. Là-dessus, nous ne sommes pas déçus, et puis nous confrontons nos idées à la réalité de Perpignan. Et nous avions bien vu que nos idées étaient raisonnables aussi bien sur les enjeux environnementaux que sociaux.
Après pour ce qui est de la médiatisation, la traduction de ce que l’on fait est un peu délicate. On nous a qualifiés d’OVNI politique. Dans le sens où c’est la première fois qu’une telle proposition politique est faite à Perpignan. Et c’est à nous de la rendre intelligible et dans les codes médiatiques et politiques. Mais là, c’est un peu plus difficile.
♦ On a l’impression que cette démocratie participative a du mal à trouver une place ?
Le déclic, c’est de se dire qu’en tant que citoyens nous avons de bonnes idées. Si les politiques publiques reprenaient ce que disent les techniciens et les envies des habitants, tout irait beaucoup plus loin, beaucoup plus vite, tout en répondant mieux aux urgences. Par exemple, si on prend la commande publique, elle représente 70 % de la commande des entreprises. C’est un levier fort pour orienter le l’aménagement du territoire.
J’ai voulu d’abord me renseigner sur le « municipalisme » pratiqué dans de grandes villes espagnoles, Madrid, Barcelone, Cadix. Ce mouvement prouve que nous sommes en capacité de prendre le pouvoir et de le partager. Et puis sont arrivés les mouvements citoyens pour le climat, les Gilets Jaunes… Pour moi ces mouvements veulent nous dire : « Arrêtez les gars, vous faites n’importe quoi. Maintenant, il faut nous écouter ! »
Les Gilets Jaunes avaient une défiance vis-à-vis des organisations politiques. Et nous justement, nous voulons mettre en place une méthode qui, d’une réunion à l’autre ,prouve que nous ne sommes ni dans la manipulation, ni dans une figure de pouvoir autoproclamée.
De nombreuses listes citoyennes se lancent pour ces élections municipales. Et certains Gilets Jaunes nous font confiance, nous ont même rejoints. Montpellier, Toulouse, chacun trouve sa méthode en fonction de la sociologie et des forces politiques préexistantes.
♦ Votre affiche est pleine des logos de vos soutiens politiques, est-ce toujours une liste citoyenne ?
Nous revendiquons d’être une réunion à égalité de citoyens non-encartés, de militants politiques et de partis politiques. Le Parti communiste, la France Insoumise ou Générations ont compris que le moment politique est à la refonte des pratiques politiques. Ils ont compris que l’enjeu local nécessitait un rassemblement autour d’une proposition locale, et sur laquelle il était possible de se réunir.
Ils ont aussi compris que les citoyens attendent une autre politique. Les politiques ont fait un cheminement jusqu’à comprendre et accepter que ce soit un binôme non-encarté qui soit à la tête d’une liste qui nous regroupe tous.
Nous ne sommes pas dans une union de partis, où l’on ajoute le PC, la FI, et après on s’arrange entre nous pour savoir qui est la tête de liste. C’est aussi un clin d’œil pour l’autre liste de gauche (NDLR La liste portée par l’écologiste Agnès Langevine), qui avait d’abord choisi la tête et a ensuite réuni les partis autour. Mais pour nous ce n’est pas une réponse à l’aspiration des citoyens qui veulent une autre politique !
L’union de la gauche a déçu, le PS a déçu. Il faut refondre la politique sur une réunion inédite, mais sans exclusive. Nous, nous faisons des consensus avec des points de vue très différents et les non-encartés sont très vigilants sur la méthode. Et ce afin que nous ne retombions dans de vieux réflexes politiciens ou des postures. Au contraire, nous, nous parlons d’idées et de projets.
♦ Pourquoi ne pas avoir construit une liste avec Agnès Langevine ?
La différence est que nous avons lancé l’appel fin août. Nous avons proposé un espace de rassemblement qui ne soit pas juste une étiquette ou une négociation politique entre partis. Avec l’idée que cette plateforme permettait à tout le monde de se mettre autour de la table. Nous avons proposé à tous les partis de venir, y compris à Europe Écologie Les Verts.
L’assemblée du 14 septembre avait pour objectif de rassembler tous les collectifs, le PC avec Nou-S Perpignan, Respirer avec le PS… Mais quand on est allé voir Respirer, il y a eu cette réunion dans laquelle nous nous sommes fait agresser. Alors que nous venions juste présenter notre proposition pour réunir tout le monde. Nous avions lancé un appel, au départ avec 4 militants associatifs sans étiquette, pour que l’appel soit le plus large possible. Certains partis et mouvements se sont inscrits avec nous. D’autres pas, c’est leur choix. Eux, ils avaient plutôt envie de faire la réunion des étiquettes.
Si Agnès Langevine était venue, elle aurait pu dire : « Je vous propose, avec mon étiquette EELV, de conduire ce rassemblement ». Elle ne l’a pas fait. Je regrette qu’elle ne soit pas venue proposer sa candidature.
♦ Caroline Forgues, pensez-vous que Perpignan soit prêt pour cet exercice ?
Nous avons 300 signataires sur notre manifeste. Entre ateliers et réunions, je pense que nous avons touché un petit millier de personnes sur cette dynamique. Sans parler des gens que nous n’avons pas vus, mais qui ont entendu parler de nous.
On croit que la démocratie locale ou permanente et l’intelligence collective sont une question de moyens et de volonté. Il faut faire confiance aux habitants pour qu’ils prennent les décisions dans l’intérêt général. Cela sous-entend qu’il y ait débat, mais cela nécessite aussi une éducation et un accompagnement.
Je vous donne en exemple : les conseils citoyens mis en place par Monsieur Amiel, dans le cadre de la politique de la ville. Je faisais partie du conseil citoyen du centre ancien. Quand j’ai lu le principe du conseil, je croyais qu’il s’agissait du principe de démocratie participative. Mais quand on vous dit, on va parler du NPRU* et qu’on vous pose un pavé de 250 pages sur la table en nous demandant notre avis… Il était évident qu’avec un public éloigné de l’écrit, de l’expression orale et face à des catégories sociales très diversifiées, ça ne pouvait pas fonctionner. Il n’y avait aucun accompagnement pour traduire les enjeux contenus dans ces 250 pages.
Cela s’appelle de l’éducation populaire. Mais le problème, c’est qu’en France, il n’y en a plus.
Encore moins dans une ville clientéliste où on a étouffé toute velléité des associations qui voulaient jouer ce rôle. Nous, nous proposons des assemblées par quartier et dotées de vrais budgets pour ouvrir le débat sur les priorités. Quels sont les besoins ? Des jardins équipés pour les enfants, une plateforme de sport pour les jeunes ? C’est par la discussion et l’accompagnement à la parole, au débat qu’on construit…
Mais pour cela, il faut des moyens pour fonctionner. Alors effectivement, ça ne va pas se faire dans un claquement de doigts ; mais si on ne commence pas, on n’y arrive pas. Nous croyons à cette intelligence collective et en les habitants de Perpignan qui ne sont pas plus bêtes qu’ailleurs.
♦ Quelle est votre vision du Perpignan de demain ?
Nous voulons une ville faite pour les personnes les plus fragiles, les personnes âgées, les jeunes enfants, les parents avec des poussettes, les personnes à mobilité réduite. Nous voulons aménager la ville dans ce sens. Pourquoi n’y a-t-il pas de trottoirs assez larges ? Parce qu’il a une file de stationnement. Il nous faut revoir la place de la voiture à Perpignan. Tout le monde nous dit que les Perpignanais sont accrochés à leur voiture ; mais parce qu’il n’y a pas d’alternative.
Pour nous urbanisme et mobilité sont complètement liés, en interaction. Il faut un système de transport efficace qui prend de la place à la voiture.
Pourquoi les gens ne prennent pas la rocade ? Parce qu’il est plus facile de traverser Perpignan par les boulevards. Et donc on se retrouve avec plus de voitures sur les boulevards que sur l’Autoroute. Le boulevard des Pyrénées est le plus pollué de Perpignan.
Nous voulons une ville paisible et dont l’espace public est beau, de la fraîcheur, des arbres, de l’eau … Bref de la vie. Si la ville est occupée par de la vie, elle n’est pas occupée par la délinquance, et cela fait reculer le sentiment d’insécurité.
Il nous faut réaménager l’espace public avec des bancs et de préférence à l’ombre. Et c’est tout à fait possible, prenez par exemple la Place des Esplanades. Une place avec une fontaine, des bancs, refaite avec des matériaux de qualité, on a gardé les grands arbres. Elle est n’est pas occupée par les dealers, mais par des retraités, des femmes avec de jeunes enfants…
Nous voulons un centre-ville piéton, cela veut dire qu’il faut repenser le plan de circulation pour que nous puissions respirer à nouveau.
Pour traverser la ville, il suffirait de prendre la rocade qui a coûté 160 Millions d’euros. On a triplé l’A9, on a fait une rocade, combien de millions d’euros dépensés ? Tout ça pour avoir autant de voitures qui traversent la ville ! On ne ferme pas les boulevards pour autant, mais on laisse une voie pour les voitures, et une pour les transports. On supprime les stationnements, agrandit les trottoirs et fait de vraies pistes cyclables.
Dans tous les quartiers, nous voulons réaménager la vie autour de pôles qui seraient les nouvelles maisons de quartier. Un lieu qui serait le siège de l’assemblée citoyenne de quartier, le lieu de la vie associative et des services de proximité. Pourquoi pas avec un atelier vélo, une boutique de vêtements d’occasion ? Bref des éléments qui remettent de la vie dans la ville.
♦ Serez-vous présidente à la communauté urbaine ?
Non, je ne candidaterai pas à la Communauté Urbaine ; c’est aussi le sens de notre binôme. L’objectif est de partager les responsabilités, ce qui ne veut pas dire que Jean-Bernard Mathon sera obligatoirement fléché Communauté urbaine.
Au niveau de Perpignan-Méditerranée, il nous faut créer un projet avec d’autres villes et réussir à construire une majorité. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas de projet de territoire, de coopération, de cogestion. Par exemple, nous souhaitons que Canet soit à 20 minutes de Perpignan, de la même façon que Canohés ou Toulouges.
♦ Quel est le programme de l’Alternative pour une relance économique?
Aujourd’hui, il y a de nombreux besoins non satisfaits. Notamment dans le bâtiment, et ce malgré les ressources et les besoins locaux. Nous souhaitons monter une filière d’insertion et de formation sur les métiers en rapport avec la rénovation des bâtiments, ainsi qu’une agence locale de l’énergie qui accompagnera les propriétaires dans la rénovation énergétique de leur logement.
Nous voulons aussi avoir un projet agricole sur Perpignan et la première couronne, et créer une filière agricole pour permettre de faire du pain bio local pour toutes les cantines. Les céréales pousseraient dans le département, on installerait un meunier…
On voudrait aussi faire une maison de l’économie sociale et solidaire dans un lieu qui pourrait être celui des anciens abattoirs. L’objectif est de mettre en place un écosystème pour accompagner les projets à utilité sociale et écologique. Cela faciliterait la recherche de financement, permettrait de mobiliser l’épargne citoyenne, avec, par exemple, le microcrédit local.
*NPRU : Nouveau Plan de Rénovation Urbaine.
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