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Décrochage scolaire et Covid-19 | Quand les enseignants du Texas font du porte-à-porte

Article mis à jour le 1 octobre 2021 à 15:51

Cette nouvelle rubrique Ici comme ailleurs met en lumière des initiatives du monde entier ; avec cette particularité qu’elles font écho à des problématiques présentes sur notre territoire. Pour ce nouvel article, à l’heure où les enfants sont à nouveau en distanciel, retour sur cette initiative des enseignants du Texas qui n’hésitent pas à faire du porte-à-porte pour éviter le décrochage scolaire ; une histoire relatée par Bekah McNeel du site The 74 MillionPhotos © Bekah McNeel

♦ Enseignante de collège, Brandee Brandt, frappe pour la troisième fois à la porte d’un appartement du rez-de-chaussée.

San Antonio au Texas, un après-midi de janvier, Brandee Brandt est à la recherche d’un de ses élèves. « C’est Mme Brandt ! Davey, tu es là ? », appelle-t-elle, le visage collé la porte de l’appartement. Elle entend des voix à l’intérieur, et finalement le grand frère de Davey ouvre la porte.

« Vous n’allez vraiment pas lâcher l’affaire, n’est-ce pas ? » demande-t-il ; tentant de paraître ennuyé alors qu’un sourire se dessine au coin de sa bouche. « Tu sais que nous n’abandonnons pas ! » répond Brandee Brandt, qui somme l’adolescent d’aller chercher Davey, 13 ans. Ce dernier a soudainement cessé de faire ses devoirs en ligne.

Brandee Brandt et Emily Countryman, une autre enseignante de 8e année de l’école intermédiaire de Rawlinson, ont passé la journée à frapper aux portes ; des immeubles d’habitation publics jusqu’à un quartier de banlieue de classe moyenne où presque toutes les maisons sont équipées d’une sonnette avec caméra de sécurité intégrée.

Les enseignants de la Rawlinson Middle School de San Antonio font du porte-à-porte pour retrouver les élèves qui ont cessé de se présenter en classe pendant la pandémie de COVID-19. Ils frappent jusqu’à ce que quelqu’un réponde, et parlent aux enfants endormis et aux parents débordés sur la façon de rester engagés pendant l’apprentissage à distance. (Bekah McNeel)

♦ Depuis le début de l’année scolaire, une équipe d’enseignants de Rawlinson a visité une centaine de foyers.

Toutes les deux semaines, le personnel de l’école dresse une liste des enfants qui ont un besoin urgent d’une visite. Deux enseignants se portent volontaires, ils fixent une date et l’école engage des suppléants. La moitié des 1350 élèves de l’école apprenant à distance, et présentant donc un risque plus élevé d’absence chronique, les enseignants de Rawlinson sont venus frapper à la porte au premier signe de problème durant cette année scolaire.

« J’ai ressenti un sentiment d’urgence », déclare Sherry Mireles, directrice de Rawlinson. « S’ils ne suivent pas leur scolarité, c’est notre responsabilité. Je ne vais pas laisser un enfant de 12, 13 ou 14 ans abandonner l’école. Pas sous ma surveillance ».

Beaucoup de ces visites portent leurs fruits ; les enfants se reconnectent, ou rendent leur travail pour la première fois depuis des semaines. Souvent, il ne s’agit pas d’une visite unique. Les enseignants continuent à passer jusqu’à ce que l’élève soit trouvé, connecté et participe. Ils savent que même l’enfant le plus désengagé peut être retrouvé.

L’acharnement des enseignants à rechercher ces enfants explique pourquoi Rawlinson a enregistré une moyenne de 99 % d’assiduité dans les semaines qui ont suivi les vacances de Noël, confirme Mme Mireles. Soit environ 8 points de pourcentage de plus que la moyenne des écoles intermédiaires du district.

♦ La plupart des experts s’accordent sur le fait que l’assiduité est essentielle à l’apprentissage, quelle que soit la situation.

Les enfants ne peuvent pas apprendre s’ils ne sont pas à l’école ; et les données de l’ère COVID-19 sont bien sombres. L’absentéisme chronique parmi les élèves noirs dans certains districts de l’Ohio est de 47%. À Detroit, l’année scolaire a démarré avec seulement 78 % d’élèves présents après une semaine. Dans plusieurs districts californiens étudiés, le taux d’absentéisme chronique des élèves noirs, latinos et amérindiens/amérindiens se situe entre 19 et 29 %.

L’Agence de l’éducation du Texas ne dispose pas encore de données sur l’absentéisme à l’échelle de l’État pour l’année scolaire 2020-21. Cependant, les conséquences de la pandémie sur l’assiduité se sont manifestées immédiatement lorsque les bâtiments scolaires ont été fermés en mars 2020. Au cours des cinq années scolaires précédant la pandémie (automne 2014-printemps 2019), les taux de fréquentation à l’échelle de l’État oscillaient juste en dessous de 93 %. En trois mois seulement, la pandémie a fait chuter la moyenne de l’État pour l’ensemble de l’année scolaire 2019-20 à 89 %.

Les conséquences sont redoutables. Dans les districts de l’Ohio, les résultats en lecture ont chuté de 7 % après des années de gains durement acquis. Au Texas, la perte d’apprentissage supplémentaire due à l’absentéisme s’ajoutera aux six mois déjà perdus pendant les fermetures du printemps et l’été, selon une évaluation facultative à l’échelle de l’État administrée par la Texas Education Agency.

♦ Les élèves figurant sur la liste de Brandee et Emily cet après-midi de janvier

Parmi eux, certains commençaient tout juste à montrer des signes d’abandon – abandonnant régulièrement une seule classe. D’autres n’avaient pas été vus ou entendus depuis des mois. Davey (le vrai nom de l’étudiant n’est pas utilisé pour protéger sa vie privée) commence tout juste à montrer des signes réels d’abandon selon Emily. Il a cessé de participer aux cours en ligne. Sans sa caméra, elle ne peut même pas dire s’il était devant son ordinateur. Il n’a pas rendu le dernier test de sa classe.

Dans tout l’État, les districts font état de chiffres désastreux concernant la participation à l’apprentissage à distance. Dallas a signalé que des milliers d’élèves, un lycéen sur cinq, sont considérés comme des absents chroniques depuis le début de l’année scolaire. De plus petits districts ont même complètement supprimé l’apprentissage à distance pour essayer de réengager les enfants.

Le groupe de réflexion Future-Ed de l’université de Georgetown et l’organisation à but non lucratif Attendance Works ont produit un rapport détaillant la manière dont les écoles pourraient lutter contre l’absentéisme chronique pendant le COVID-19. Les visites à domicile visant à renforcer les relations entre les élèves y sont citées comme une intervention « prometteuse ». Les visites Rawlinson combinent les visites avec un outil que l’étude qualifie de « fort » : des rappels aux parents sur l’importance de l’assiduité, les conséquences de l’absentéisme et le nombre de jours manqués par l’élève. L’étude appelle cela le « nudging ».

♦ Brandee et Emily font un gros travail de stimulation lors de leurs visites.

Portant des masques assortis et reculant d’un mètre lorsque la porte s’ouvre, elles supplient les élèves et les parents de persévérer. Elles ont apporté des bouteilles de sport à l’effigie de la mascotte de l’école, de l’aide technique, des produits d’épicerie et des fournitures scolaires.

Lorsque Davey se présente finalement à la porte, il est pieds nus, les yeux mi-clos, expliquant que son rythme de sommeil a lentement changé au cours des derniers mois ; à tel point qu’il reste debout toute la nuit et dort pendant la journée. Alors, les enseignantes vont le stimuler. Elles lui permettent de ne pas se connecter aux sessions Zoom s’il a trop sommeil. Mais il devra rendre son travail, repasser le test qu’il a raté. « Tu ne veux pas passer en 9ème année ? » demande Emily à Davey ? « Si… » dit-il avec un sourire timide et penaud.

Lors d’une autre visite, Rochelle Mata explique aux deux enseignantes que les appels Zoom de l’école se chevauchent avec son travail ; elle est donc scotchée à son ordinateur du lever du soleil jusqu’au milieu de l’après-midi. Ses garçons ont commencé à en profiter, en ne se connectant pas.

Les enseignantes de souligner spontanément à Mme Mata que, même s’ils manquent les appels, ses fils peuvent quand même rendre leur travail. Cette dernière avoue être en difficulté lorsqu’ils posent des questions sur leurs devoirs. N’ayant pas de réponse à leur apporter, ils ne rendent rien du tout. « J’ai l’impression qu’ils se sentent perdus », confie la mère.

♦ Une ligne d’assistance téléphonique pour le tutorat, assurée par des enseignants de 18 h à 22 h tous les soirs.

Chaque fois que les enseignantes peuvent répondre à un besoin, chaque fois qu’elles peuvent alléger un fardeau, ce sont autant de chances supplémentaires pour que les enfants raccrochent. Chez Mata, elles ont laissé un sac de provisions. Dans d’autres maisons, elles ont apporté une aide technique.

Ces histoires d’enfants qui profitent des horaires de travail de leurs parents ? Brandee et Emily les ont entendues trop souvent dans ces maisons de banlieue aux porches profonds. « Certains enfants se connectent juste pour qu’on leur fiche la paix », déclare en riant Emily.

D’autres enfants sont plus sur la défensive. Dans une maison, l’élève qui se présente à la porte dit que ses parents ne pouvaient pas se joindre à la discussion ; même si un adulte se devine facilement au fond. Pendant que l’élève échange avec les enseignantes, une petite main sort de derrière la porte et tire sur ses chaussettes. C’est sa petite sœur, âgée de 3 ou 4 ans, qui réclame de l’attention.

♦ Sur le trajet, plusieurs maisons sombres et silencieuses.

Brandee et Emily attendent un long moment, et frappent à plusieurs reprises. Elles regardent par les fenêtres pour voir si les lumières sont allumées ; collent leurs oreilles contre la porte en quête de voix. Lors d’un précédent itinéraire, elles avaient sollicité l’aide d’un agent d’entretien qui se rendait dans l’appartement ; lui demandant d’envoyer un membre de la famille pour leur parler.

Dans un appartement, une grand-mère répond à la porte. Sa petite-fille vivait avec elle, mais elle est récemment retournée vivre avec sa mère. La grand-mère ne savait pas que la fille avait cessé de se connecter et promet de transmettre le message des enseignants. À une autre adresse fournie par l’école pour un élève disparu en octobre, un simple atelier de maintenance d’un immeuble d’habitation. Brandee et Emily se rendent chez le concierge de l’immeuble pour enquêter.

À la fin de la journée, les deux enseignantes sont épuisées, mais optimistes. À une époque où tant de choses semblent échapper à leur contrôle, ces visites les aident à contrecarrer ce sentiment d’impuissance. « Ces élèves sont capables de tellement plus » confie Brandee. « La pandémie ne doit pas être la raison de leur échec ».

♦ Deux semaines plus tard, les visites ont porté leurs fruits.

La grand-mère a tenu sa promesse, et sa petite-fille rend ses travaux qu’elle réussit haut la main.
L’école a retrouvé l’élève dont l’adresse s’est avérée être un atelier de maintenance. Elle se connecte à nouveau en classe.
Et Davey s’est connecté en classe l’après-midi même, a terminé son travail et passé un test de rattrapage. Il a obtenu une note de 100/100.

Statue "The Spirit of Sacrifice" aka The Alamo Cenotaph
Statue « The Spirit of Sacrifice » aka The Alamo Cenotaph à San Antonio

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“Cette histoire fait partie du programme SoJo Exchange du réseau Solutions Journalism Network, une organisation à but non lucratif qui se consacre à des reportages rigoureux sur les réponses aux problèmes sociaux”.

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