Article mis à jour le 19 septembre 2023 à 16:29
Chaque mois Alice Fabre, journaliste à Made in Perpignan, chronique les projets d’éducation aux médias dans le département des Pyrénées-Orientales, notamment ceux de l’association Mediaclic qu’elle a contribué à créer. Aujourd’hui, épisode final de la série consacrée à la résidence de journaliste au sein de l’école Pasteur-Lamartine de Perpignan.
En radio, le montage est toujours pour moi un moment redouté
Je ressens souvent les plus grandes difficultés du monde à m’y mettre, repoussant jusqu’à la dernière minute le dérush (l’écoute détaillée et le tri des sons enregistrés). D’autant plus que certaines prises durent parfois jusqu’à une heure et qu’il faut être attentive de bout en bout pour extraire l’extrait qui, mis en regard avec un autre, pourra raconter une histoire sonore intéressante. Les cartes postales sonores des enfants n’ont pas dérogé à la règle. Après être retournée chacune en sortie, Casteil pour Barbara, lac des Bouillouses pour moi pour une randonnée, j’ai passé plusieurs jours à regarder les enregistreurs des enfants posés sur mon bureau.
Mais la deadline – date limite en français, mot adoré des journalistes qui fait toujours son petit effet, à dire avec un air débordé en levant les yeux au ciel, par exemple « je peux pas sortir ce soir, j’ai une deadline » – approchait à grand pas. D’abord, je voulais que les enseignantes puissent les écouter en classe avec les élèves. Ensuite, je devais aussi les envoyer à Florence.
Florence partage son temps entre l’enseignement de la S.V.T et la radio. Elle réalise chaque mois des reportages pour l’émission « le micro est dans la classe », diffusée sur la radio de l’Institut français de l’éducation, dépendant de l’École normale supérieure de Lyon. Début juin, elle est venue passer une journée avec Barbara et moi, rencontrer les enseignantes de Pasteur, la directrice et les enfants. Elle a eu envie de raconter notre résidence un peu nouvelle, ce que les enfants en avaient tiré. L’épisode doit sortir en septembre. Je lui avais promis de me plonger dans les heures et les heures de rush (sons enregistrés) que j’avais récoltées depuis le mois de janvier. Car durant toutes les interventions, je prenais du son, parfois avec mon « micro chat », parfois juste avec mon enregistreur, me disant que ces moments pourraient un jour devenir une sorte de documentaire radio.
J’ai finalement réussi à m’installer confortablement à mon bureau, casque sur les oreilles, pour commencer le montage.
Dans les cartes postales, il y avait des pépites
Les élèves qui s’engueulent entre eux « Raconte pas de bêtises, ça enregistre », les mots utilisés aussi « je sais pas si ça rec là ? Ça rec ? – comprendre ça enregistre ? ». Les fausses prises, les ratages, mais aussi les fous rires, et les surprises. Comme cet enregistrement d’un élève qui est allé demander à tout le monde ce que chacun avait prévu pour la boum. Il a fait le tour du centre, est allé voir les cuisiniers, les profs, ses camarades. Avec les ambiances qui vont avec, enregistrées par l’enseignante en mission ce soir-là, ça donne un super résultat. Ou comme Ryan qui est parti de la sortie à Casteil avec l’enregistreur que nous n’avons récupéré qu’une semaine plus tard. Il nous a fait un vrai reportage d’envoyé spécial dans le bus, prenant son rôle très à cœur.
Les interviews des adultes, qu’ils soient guides de moyenne montagne ou soigneurs dans un parc sont aussi réussies. La prise de son est bonne, les questions posées avec aplomb, et ça donne du contenu vraiment informatif, sur la vie des animaux dans les parcs animaliers, sur la vie de ces gens qui accompagnent des groupes en randonnées et connaissent la montagne comme leur poche. Certains, encouragés par l’enseignante, ont même tenté d’interviewer une vache…avant que celle-ci ne les charge (sans conséquences rassurez-vous) produisant du coup une super séquence durant laquelle les élèves racontent ce qui s’est passé.
Petit à petit, comme c’est souvent le cas en montage, les liens entre les enregistrements se tissent pour former un récit dont le fil sonore se déroule sur trente secondes, ou une ou quatre minutes. Résultat final : trente-deux cartes postales. Je m’attaque ensuite aux rushes de nos interventions à l’école et arrive au bout d’un montage pour aider Florence et son reportage. Je rajoute un peu d’ambiance pour lier le tout, et le tour est joué.
Un étrange sentiment me saisit alors, celui de l’après-projet
La résidence est terminée, nous aurions aimé revoir une dernière fois les enfants, les enseignantes, faire la fête, marquer un point final. Mais la vague déferlante de la réalité quotidienne nous rattrape vite. Tout le monde a la tête dans le guidon en cette fin d’année pour boucler tout ce qu’il y a à faire avant l’été : nous, les enseignantes, la directrice, les enfants trépignent d’impatience d’être en congés. On sent que cette grande fête n’aura pas lieu, et c’est sûrement souvent le cas à la fin des projets scolaires. C’était un peu pareil avec la classe du Soler, et l’émission de radio. Je n’ai pas eu l’occasion de leur dire ma fierté.
Cette chronique est l’occasion de le faire ici. Avec ma binôme Barbara, nous voudrions dire aux enfants combien nous sommes fiers de leur travail et de leur implication. Dire aussi aux enseignantes à quel point leur enthousiasme nous a été précieux dans les différentes étapes de ce projet. Remercier aussi la directrice pour toute sa motivation.
Cette première résidence est, je l’espère, la première d’une longue série. J’ai adoré me plonger dans un autre univers que celui des médias. Adoré échanger et construire des liens mois après mois, intervenir en classe, découvrir les élèves, sans cesse rechercher des idées pour améliorer notre pédagogie. Cette expérience nous a rendus plus humbles, peut-être meilleures journalistes aussi. Cette présence de long terme sur le terrain permet aussi de mieux comprendre les critiques qui sont adressées à notre profession, et de dissiper certains malentendus. Indispensable dans un contexte de défiance généralisée envers les médias.