Article mis à jour le 1 mars 2022 à 14:02
Dans son numéro 10, la revue Gibraltar, un Pont entre deux Mondes, a décidé de partager l’histoire d’Enric Moner, un résistant catalan dont l’identité avait été usurpée. Passeur à Maureillas, cet homme connaîtra un destin tragique puisqu’il sera déporté et fusillé à Beneschau. L’histoire d’Enric a ressurgi suite à des recherches historiques réalisées par un professeur, Unai Eguía ; des recherches qui font suite à sa lecture du roman L’Imposteur de Javier Cercas. Comment s’est déroulée cette enquête et quelle est la vraie histoire d’Enric Moner ?
♦ Les recherches d’Unai Eguía, un professeur d’arts plastiques
Cette redécouverte d’Enric Moner est due à Unai Eguía, un professeur de dessin et d’arts plastiques dans une ikastola (école en langue basque) dans la région de Bilbao. Après avoir fini sa lecture de L’Imposteur, le professeur n’a qu’une idée en tête : retracer le vrai parcours d’Enric Moner. Mais les recherches s’avèrent compliquées.
Unai Eguía s’interroge : « Pourquoi a-t-il été déporté ? Pour quelles raisons ? Pourquoi ne pas honorer sa mémoire ? Telles sont les questions que je me suis posées dans un premier temps ». C’est pour y répondre qu’il y a décidé d’ouvrir un blog sur Internet. Un outil, ouvert à tous, pour recueillir des témoignages et des documents.
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♦ D’un simple coup de fil à la cérémonie d’hommage
Pour commencer son enquête, Unai Eguía décide d’appeler Benito Bermejo, l’historien qui a prouvé l’imposture d’Enric Marco. Ce dernier lui conseille de prendre contact avec des associations mémorielles espagnoles ; notamment l’Association pour la Récupération de la Mémoire Historique de l’Exil Républicain, présidée par Enrique Urraca, le neveu de Jan de Diego Herranz, un ancien déporté.
Enrique Urraca va lui aussi s’impliquer dans cette recherche. Malgré les contraintes sanitaires de l’époque, il va aller à la rencontre de la famille Moner habitant à Perpignan. Il va alors récupérer un dossier constitué par Henriette, la fille d’Enric, dans lequel se trouvent divers documents mais surtout une photographie d’Enric. La seule connue à ce jour.
Unai Eguía entreprend un travail de fourmi pour rassembler des documents pouvant retracer la vraie histoire d’Enric Moner. Après des mois de travail, le professeur avait assez d’éléments pour reconstituer la vie du déporté, de sa naissance jusqu’au moment de sa déportation.
Grâce à Unai Eguía, un hommage a pu être rendu à Enric Moner. Le 9 octobre 2021, après une cérémonie d’hommage, une plaque retraçant son parcours a été déposée devant sa maison natale, au 88 rue Saint Pau à Figueres.
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♦ L’Imposteur de Javier Cercas, le point de départ
L’Imposteur est un livre-enquête de Javier Cercas dans lequel le personnage principal, Enric Moner, agit entant que président de l’Amicale des déportés en Espagne. L’homme a été démasqué pour s’être fait passer pour un déporté dans un camp de travail et d’extermination nazi, pour avoir survécu et témoigné son expérience concentrationnaire. Tout était faux. L’homme a même usurpé l’identité d’un vrai déporté, celui d’Enric Moner, pour briller dans l’espace politique et médiatique. Le faussaire s’appelait en réalité Enric Marco…
Ces quelques lettres de différence ont suffi à rendre crédible son histoire… Enric Marco s’est donc approprié l’identité d’un mort, espérant ne jamais être démasqué. En prétendant avoir été déporté, il a menti sur toute son histoire. La révélation de la supercherie a créé un énorme scandale en Espagne, suivi d’un malaise. Pour rendre crédible son histoire auprès de son public, « l’imposteur » s’est beaucoup documenté et s’est même rendu sur place pour étudier les lieux et ainsi mieux les décrire…
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♦ Entre Espagne et France, le parcours d’Enric Moner
Enric Moner Castelle est né le 18 août 1900, au 88 rue Sant Pau à Figueres, au sein d’une famille d’agriculteurs. À 20 ans, il est appelé sous les drapeaux. Ne voulant pas s’y rendre, il dépose une requête qui sera refusée.
Le jeune homme quitte alors précipitamment l’Espagne avec ses parents et s’installe au Boulou. Sur le recensement de la ville en 1921, Enric s’appelle désormais Henri et déclare être né en 1901. Une façon pour celui qui est désormais considéré comme déserteur ou insoumis, de brouiller les pistes. En août 1921, Enric se marie avec Teresa Barris Mundet. Ensemble, ils ont six enfants.
En 1934, la famille se réinstalle près de Figueras mais la guerre d’Espagne éclate en 1936. Le couple et leurs six enfants décident alors de se réinstaller en France. Vient alors la Retirada, l’exil républicain espagnol. En 1942, Enric Moner entre dans la Résistance et agit comme passeur pour convoyer aviateurs alliés, étudiants menacés, soldats ou marins.
Fin 1943, Moner est arrêté par la Gestapo puis emprisonné à la citadelle de Perpignan. Comme de nombreux passeurs, il est ensuite transféré au camp de transit de Compiègne puis est déporté le 17 janvier 1944 au camp de concentration de Buchenwald. Trois jours après son arrivée, il est transféré à Flossenbürg puis à Beneschau. Enric Moner a été fusillé le 8 avril 1945.
Enric Moner : de gauche à droite, copie de l’acte de naissance (Figueres). Certificat de mariage avec Thérèse Barris Mundet 1921 (mairie de Le Boulou). 1934, il est enregistré comme marié à Teresa Barris et a 5 enfants (Josep, Enriqueta, Cecilia, Dolores et Enric) à Figueres.
♦ La revue Gibraltar, 10 numéros en 10 ans
La revue Gibraltar publie un numéro annuel. Elle a pour sujet le Bassin méditerranéen et revient sur les cultures du sud de l’Europe et du nord de l’Afrique. Des récits, des reportages et des fictions autour de la Méditerranée y sont publiés.
La revue aborde plusieurs sujets : problématiques diverses, environnement, société, histoire, grâce à une approche grand public. Ce sont la qualité des textes, la diversité des regards et l’originalité des illustrations qui sont privilégiées.
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