Article mis à jour le 14 avril 2021 à 13:41
Actualité oblige, Made In Perpignan consacre un cinquième et dernier volet à l’adoption de la « charte des principes » par le Conseil français du culte musulman (CFCM) en ce début d’année. Impulsé avec vigueur par l’exécutif suite à l’assassinat par décapitation de l’enseignant Samuel Paty, ce texte doit servir de pilier à un nouveau Conseil national des imams. Il fait plus largement partie du projet de loi « Séparatisme ».
Pour ce faire, nous avons à nouveau donné la parole à Samia Selmani. Perpignanaise, docteur en littérature et civilisation comparée, Samia Selmani était consultante du Fait religieux auprès du Ministère de la justice. Présidente de l’Amitié Inter-Religieuse du Roussillon (AIR66), créatrice du magazine Méditerranée-Plurielle, Samia Selmani est aumônier musulmane au centre pénitentiaire de Perpignan. Nous lui avons demandé son avis quelques jours après la signature. Les mots sont sévères.
♦ Sur quelles valeurs sera construit le Conseil national ?
Les responsables signataires de cette charte débutent le texte en affirmant : « aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens ». Et de rappeler le contexte voulu par le président Macron. « Elle a vocation à encadrer l’éthique et les règles déontologiques qui devront structurer le fonctionnement du Conseil national des imams ». Dans le préambule, ces mêmes signataires réaffirment « que ni [leurs] convictions religieuses, ni toute autre raison, ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République« .
La charte est par la suite composée de dix articles :
- Objectif de la charte
- Missions
- La liberté
- L’égalité
- La fraternité
- Rejet de toutes les formes d’ingérence et de l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques
- L’attachement à la raison et au libre arbitre
- L’attachement à la laïcité et aux services publics
- Lutte contre la haine antimusulmane, propagande et fausses informations
- Respect de la charte
On peut retenir des phrases clés. À citer à titre exemple :
“D’un point de vue religieux et éthique les musulmans, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers, sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République.”
“Le prosélytisme abusif oppressant les consciences est contraire à la liberté de la raison et du cœur qui caractérise la dignité de l’Homme. (…)”
“Convaincus que le débat est souvent source d’enrichissement et rempart contre le fanatisme, nous acceptons tous les débats et nous nous opposons à toutes les violences.”
“L’égalité Femme-Homme est un principe fondamental également attesté par le texte coranique : les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle (voir Coran, 4 : 1).”
“Nous nous attelons ainsi à éviter la fitna (la discorde) et à privilégier l’échange dans un esprit de mutuelle bienveillance.”
“Il est question de lutter notamment contre l’idéologie du takfir, (excommunication), qui est souvent le prélude à la légitimation du meurtre.”
“Nous affirmons que toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité et qu’il appartient à chacun parmi les fidèles de se forger sa propre opinion.”
“Nous faisons œuvre de pédagogie pour éduquer la jeunesse afin de la protéger des imams autoproclamés qui véhiculent une telle vision de l’islam (extrémiste).”
♦ Le combat contre l’ingérence étrangère dans les mosquées
Avec Nicolas Sarkozy, jamais un président n’avait entrepris de projet aussi ambitieux et clivant – au sujet de l’islam en France – qu’Emmanuel Macron. C’était l’un des arguments phares de l’exécutif mis en avant dans l’article 6 de la charte. En ligne de mire ? L’islam politique et les pressions exercées par certains pays étrangers. Les signataires s’engagent à « ne pas utiliser, ni à laisser utiliser, l’islam ou le concept d’oumma (communauté des croyants) dans une optique politique locale ou nationale ; ou pour les besoins d’un agenda politique dicté par une puissance étrangère, qui nie la pluralité consubstantielle à l’islam ».
Et de conclure : « Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ; ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. Nos mosquées, et lieux de culte, sont réservées à la prière et à la transmission de valeurs« .
♦ Samia Selmani de s’interroger sur l’écho de la charte des principes
La présidente de l’Air 66, Samia Selmani, tient d’abord à « féliciter le gouvernement, la grande mosquée de Paris, et le CFCM, pour la signature de l’accord sur la charte« . Avant de questionner : « Mais, est-ce que tous les groupes constituants le CFCM l’ont signée? Et ensuite, s’impose-t-elle à tous les dirigeants de mosquées ? »
L’AFP et France Info relèvent que « seules cinq fédérations, parmi les neuf qui composent le CFCM, ont apposé leur signature sur ce texte ; d’après Mohammed Moussaoui, président de cette instance« . Et d’informer que « le président de la République a donné à ces fédérations quinze jours pour apposer leur signature sur ce document« . Le Conseil français du culte musulman communique sur la suite du déroulé : « Le CFCM soumettra, via ses instances, le texte de la charte – ainsi que les textes fondateurs du Conseils National des imams (CNI) – aux acteurs locaux, imams et responsables de mosquées, en vue d’une consultation et d’une adhésion les plus larges possibles ».
♦ « C’est juste un jeu visant à rassurer l’opinion publique »
Opération de communication ou véritable structuration historique ? L’aumônier musulmane de la prison de Perpignan, Samia Selmani, tient à rappeler « qu’une charte n’est pas un texte de loi. Ni un texte exécutif ». Et de trancher sur la question : « Nous sommes, encore une fois, dans le bricolage et dans les arrangements. C’est juste un jeu de chaise musicale visant à rassurer l’opinion publique« .
Samia Selmani ne croit donc pas en la « faisabilité de ces accords sans de vrais textes de loi. Nous ne croyons ni à l’abolition de la radicalisation ; ni à l’instauration de l’égalité des genres ; ni à la fin de certaines coutumes telles que l’excision ou la polygamie« . Et de conclure sur ses réserves quant à l’application de cette charte : « Nous craignons fort qu’elle ne soit qu’une flûte enchantée. » Pour l’instant, pas de date fixée pour la création du Conseil national des imams de France. « Les fédérations ont réaffirmé leur volonté unanime de mettre en place dans les meilleurs délais le CNI« , évoque le CFCM.
♦ Quelques chiffres :
- Un sondage de l’Observatoire de la laïcité (Institut Viavoice, février 2019) indique que 3% de la population nationale se disent liés à l’islam ;
- L’AFP, dans un article de mai 2018, estime que « la France compte entre cinq et six millions de musulmans pratiquants et non-pratiquants (…) ; ce qui fait de l’islam la deuxième religion du pays ; et fait de la communauté musulmane française, la première communauté musulmane en Europe« .
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