Article mis à jour le 14 avril 2021 à 13:42
Alors que le projet de loi Séparatisme est dans la navette parlementaire – projet porté le 9 décembre en Conseil des Ministres par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa – nous ouvrons un dossier sur l’Islam en France.
Au centre de la discussion proposée en quatre épisodes ? Laïcité, communautarisme, autorités religieuses, inaction de l’État, ghettoïsation, crise et interprétations de l’Islam. Place au deuxième volet de ce format magazine.
Pour ce faire, une parole unique est donnée : celle de la Perpignanaise Samia Selmani. Cette docteur, en littérature et civilisation comparée, était consultante du Fait religieux auprès du Ministère de la justice. Élue en janvier dernier, et ce pour un mandat de deux ans, elle a été intronisée en octobre présidente de l’Amitié Interreligieuse du Roussillon (AIR66). Samia Selmani est également la créatrice du magazine interdisciplinaire Méditerranée-Plurielle.
Musulmane de confession, première femme de France à occuper son poste actuel, elle ne se fait pas attendre pour invectiver et commenter certaines pratiques de l’Islam dans l’Hexagone. De même à l’égard des gouvernements successifs.
♦ Communautarisme et clientélisme
Tel un hypothétique lobby sociétal, le communautarisme est souvent pointé du doigt. Un terme tabou, parfois. Un mot à ne pas prononcer, pour certains. Une fierté, pour d’autres. Ou encore, un simple et logique fait de société.
Or, souvent, minorités religieuses et communautés sont confondues, à défaut. Cela au détriment des concernés. De même entre communautés et communautarisme. Samia Selmani est l’exemple que l’individu peut bel et bien exister, comme tel, indépendamment de ses croyances religieuses. Interrogée sur le communautarisme, la native d’Oran ne reste pas neutre ; et rappelle quelques faits.
« D’abord, la population musulmane de France fait partie intégrante de la nation, et de l’article 1er de la Constitution de 1958. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, de tous citoyens, sans distinction d’origine, d’ethnie, de religion. Et elle respecte toutes les croyances. Sauf que, et ce constat se fait depuis ces vingt dernières années, il existe un nouveau phénomène au sein de la population française : le communautarisme« .
Et de nuancer : « Pour moi, il a été créé par les politiciens. Parce que beaucoup d’entre eux se sont donnés à la politique de clientélisme. Ils ont voulu opposer les uns contre les autres. En parlant à telle communauté tout en laissant la voisine de côté. Tout ça au détriment de notre Constitution, qui dit tout le contraire« .
♦ « On peut aussi parler de politique de la ghettoïsation, ou de l’arrangement » selon Samia Selmani
La présidente de l’AIR 66 poursuit : « En aucun cas, on a essayé de faire une politique d’intérêt national. Des chercheurs affirment que l’intégration passe par le logement. Un rapport du CNRS de 1993 dit que lorsqu’une population donnée vit ensemble, son intégration, et son assimilation, sont impossibles à hauteur de 17,5%« .
Et de se lancer dans des propositions : « Il faut insérer ces populations dans le tissu économique et social. Aujourd’hui en France, en 2020, la population musulmane est comme une noix entre une enclume et un marteau« .
Samia Selmani concède néanmoins que la population musulmane, en France, est divisée en son sein. Secret de polichinelle : chaque religion compte des figures choyées par les médias et parfois controversées au sein même de ceux qu’ils disent représenter.
Pour Samia Selmani, il est primordial de rappeler « que la communauté musulmane subit les conséquences de ces politiques clientélismes et du manque de courage des politiques. Et d’autre part, il y a nos représentants religieux, ou pseudo-représentants de la population musulmane. Au lieu de fonctionner avec humanisme, ces deux acteurs ont divisé. Ils sont lourdement responsables. Mais nos gouvernements ont aussi joué la corde sensible : ils ont voulu cacher des choses, sans jamais vouloir trancher les débats, pour éviter de faire des vagues. Et tout ça au nom de la paix sociale. Mais pour la gagner, il y a eu des erreurs d’empressement, et d’appréciation, qui ont été commises. Le voilà le constat. Un constat d’échec dans lequel s’inscrit notre République ».
♦ L’école : seul médicament à ce constat d’échec ?
Samia Selmani dénonce le manque de mixité dans les écoles classées R.E.P. Mais, tout comme sur le sujet de la laïcité, elle renouvelle sa confiance en l’école républicaine qui viendrait à l’encontre de l’idée de ghettos. « Elle crée nos citoyens français ; même si, à la maison quand on habite un quartier, ils sont dans une communauté« .
« On parle de liberté d’expression, mais il y a aussi la liberté pédagogique. L’école fait beaucoup de bonnes choses, et il ne faut pas voir le verre à moitié vide à chaque fois. Mais malheureusement, elle ne peut pas tout faire seule.«
De l’école, aux cités, en passant par la religion, la docteur se lance dans des constats et des propositions tranchées : « On constate un retour à la religion : les gens ne croient plus aux politiques. Il y a quand même certaines communautés, en France, qui ne mettent plus leurs enfants à l’école ! Et là-dessus, je pense qu’il y a un vrai travail de fond de la République à mener envers eux. En aucun cas, cela ne doit se faire au pied des cités, mais dans le cœur de la ville. Il faut forcer ces gens à sortir. Les ramener dans la vie sociale. Cela passe par la formation, par les connaissances, qui engendrent le respect de notre constitution. C’est ainsi, à mon sens, que doivent s’inscrire les citoyens vivant en marge de la société ou dans le communautarisme. Il faut qu’ils participent à cette République« .
♦ L’amitié interreligieuse serait-elle trop dans le communautarisme ?
L’Amitié Interreligieuse du Roussillon présente ses objectifs au bénéfice « du vivre ensemble, dans le respect mutuel des croyances de chacun. Par le dialogue, par diverses actions communes, nous voulons contribuer à la lutte contre l’exclusion, le communautarisme, et favoriser la paix sociale à Perpignan et dans le Roussillon« . Le tout par « des gens de bonne volonté, membres de différentes confessions religieuses (bouddhiste, chrétienne, juive, musulmane, etc), et même, non croyants« .
Interrogée sur la problématique, ou non, de rester dans l’interreligieux, Samia Selmani dévoile ses projets à venir : « Dans le mot interreligieux, il y a déjà une exclusion. On peut dire que c’est un monologue entre religieux. Un dialogue entre convaincus. Mais pour moi, c’est important d’ouvrir les horizons. Dernièrement, nous avons invité deux chercheurs de l’Université de Barcelone. Un anthropologue et un théologien. Ils ont une association qu’ils ont appelée inter religieuse et inter convictionnelle. Je trouve cela très bien. Pour l’AIR 66, nous devons continuer d’inviter croyants et non-croyants. C’est important ». Et de conclure : « Tout le monde peut devenir membre de l’Association, dans la mesure où ils respectent la liberté d’expression, et les croyances. Il faut travailler ensemble« .
Libertés de croyance et d’expression. Quand l’expression offense-t-elle la croyance ? Quand la croyance s’offusque-t-elle de l’expression ? Est-ce de l’ordre du dosage ? Ou est-ce de l’ordre des autorités religieuses ? Ces questions seront abordées dans nos deux prochains volets.
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