Article mis à jour le 4 décembre 2020 à 01:14
À Perpignan aussi, ces petites phrases lourdes de sens nous les avons entendues sur le terrain. « Vous ne prenez pas les forces de l’ordre en photo compris ?! Vous flouterez les images ! » . Vendredi 20 novembre au soir, l’Assemblée nationale a voté l’article 24 de la loi dite de « Sécurité Globale ».
Comme les grandes rédactions françaises, Made In Perpignan s’inquiète de la « volonté répétée du ministre de l’Intérieur de porter atteinte à la liberté d’informer dans le cadre des manifestations ». Nous réaffirmons à leur côté notre attachement à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et notre vigilance quant à sa préservation.
♦ Tribune des directrices et directeurs de rédactions françaises
« Responsables de rédaction, nous nous inquiétons de la volonté du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, de porter atteinte à la liberté de la presse dans le cadre des manifestations.
La volonté exprimée d’assurer la protection des journalistes revient à encadrer et contrôler leur travail. Ce dispositif s’inscrit dans un contexte particulièrement inquiétant avec la proposition de loi sur la « sécurité globale » qui prévoit la restriction de la diffusion des images de policiers et de gendarmes.
Les journalistes n’ont pas à se rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestation. Il n’y a pas d’accréditation à avoir pour exercer librement notre métier sur la voie publique.
Nous refuserons, pour cette raison, d’accréditer nos journalistes pour couvrir les manifestations. Nous réaffirmons notre attachement à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et serons vigilants pour qu’elle soit préservée. »
♦ Les signataires de la tribune :
20 Minutes, AFP, BFM-TV, Le Canard enchaîné, Challenges, Charlie Hebdo, CNews, Courrier International, Europe 1, les rédactions de France Télévisions, le HuffPost, La Croix, La Croix hebdo, La Vie, LCI, Le JDD, Les Jours, Le Pèlerin, Les Echos, L’Express, Le Figaro, Le Figaro-Magazine, Le Point, Le Monde, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Libération, L’Obs, M6, Marianne, Mediapart, Paris Match, Politis, Slate, Télérama, France 24, RFI, Monte Carlo Doualiya (MCD), les rédactions des antennes de Radio France, RMC, RTL, TF1, L’Alsace, Le Bien public, Le Dauphiné libéré, Les Dernières nouvelles d’Alsace, L’Est républicain, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, Vosges Matin, la Nouvelle République du Centre Ouest, Centre-Presse, La Montagne, La République du Centre, L’Eveil de la Haute-Loire, L’Echo républicain, L’Yonne républicaine, Le Berry républicain, Le Populaire du Centre, Le Journal du Centre, Le Pays Roannais, La Ruche, Le Régional de Cosne, La Gazette de Thiers, La Voix du Sancerrois, Le Courrier du Loiret, L’Eclaireur du Gâtinais, Le Journal de Gien, L’Eveil hebdo, le Journal de la Haute- Marne, la Provence, la Marseillaise, Sud Ouest, La République des Pyrénées, L’Eclair, Charente Libre, Dordogne Libre
♦ « Je n’ai jamais eu peur d’exercer mon métier en France. Mais… »
Photojournaliste chez Hans Lucas, Mathias Zwick témoigne : « Je n’ai jamais eu peur d’exercer mon métier en France. Mais pour la première fois de ma vie, je crains d’aller faire des photos sur une manifestation. En effet, si l’article 24 de la loi sécurité globale ne nous interdit pas juridiquement, en tant que journalistes, de faire des photos de policiers ni de les diffuser, il en sera bien différemment dans la pratique. »
« Mon expérience de terrain m’a fait constater avec regret que bon nombre de membres des forces de l’ordre ont une connaissance très limitée, voire erronée, des textes de loi. Un problème de manque de moyens pour leur apporter une bonne formation juridique, très certainement. Je crains donc leur interprétation très personnelle de cet article 24. Quand ce dernier n’existait pas, nous avions déjà du mal à faire des photos sans en être empêché. »
Mathias Zwick
« Bien que je doute que des photographes soient condamnés par les tribunaux, l’interprétation très large de « l’intention de nuire psychiquement » est un blanc sein donné aux policiers pour arrêter des journalistes sur le terrain et les placer en garde-à-vue. Certains membres des forces de l’ordre analyseront même cet article comme une interdiction pure et dure de les filmer ou de les photographier. L’exercice de notre métier sera entravé. Votre droit à une information libre et éclairée risque d’être bafoué. »
♦ Ce que dit l’article 24 de la loi dite de « Sécurité Globale »
« Art. 35 quinquies. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Les diffusions en direct par les chaînes de télévision seront de fait interdites, à moins que les journalistes réalisent les prises de vues de suffisamment loin pour ne pas rendre les policiers identifiables. Diffuser pour informer, ces reportages pourraient être séquencés et diffusés par la suite sur les réseaux pour porter atteinte aux forces de l’ordre.
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi
♦ Une loi à peine votée et déjà amendée ?
Jeudi soir, veille du vote, Jean Castex a réuni ce soir, à l’Hôtel de Matignon, en présence du ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin, les présidents de groupe et les responsables de la majorité concernés par l’examen de la proposition de loi dite « Sécurité globale ».
Dans un communiqué de presse, le Premier ministre a affirmé au sortir de cette réunion « la volonté du Gouvernement de préserver l’équilibre du texte et de lever toute ambiguïté sur son intention de garantir le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression, tout en protégeant mieux celles et ceux, policiers et gendarmes, qui assurent la protection de la population ».
« Ainsi, sur la proposition du ministre de l’Intérieur, l’article 24 de la proposition de loi fera l’objet d’un amendement gouvernemental visant à préciser que les dispositions envisagées ne feront nul obstacle à la liberté d’informer et que le délit créé par le texte visera uniquement le fait de diffuser des images dans le but qu’il soit manifestement porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie nationale. »
Jean Castex
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