Article mis à jour le 28 août 2022 à 18:21
Il s’en passe des choses en cinq siècles. Cinq siècles, c’est au moins l’âge de la corrida cérétane. À Céret, la tauromachie est héritée d’une longue tradition d’élevage boucher. Dans les années 20-30, de nombreux villages du Vallespir avaient leur “place de toros”. Mais Céret était la place forte de la saison ; Céret la catalane, avec ses arènes en dur, ses “toros d’épouvante”, sa lumière crue “de tarde” et ses artistes*. La corrida à Céret, c’est 5 siècles d’une tradition interrompue seulement par des guerres.
Un photoreportage signé Marielle Rossignol.
Les premières archives mentionnant un spectacle tauromachique à Céret remontent au XVIème siècle ; mais la tradition est certainement encore plus ancienne. (Source : “Histoire de la tauromachie à Céret”, Claude Sabathié – Ed. Union des bibliophiles taurins de France, 1993).
D’abord tradition bouchère puis fête votive (mélangeant jeux taurins, course camarguaise et même sardanes…), la corrida telle qu’on la connaît aujourd’hui a été encadrée et développée dans les années 20-30 avec l’avènement du tourisme en Vallespir. Cœur du Vallespir, Céret est une ville de tradition. Ici, aficion et catalanisme ne sont pas si éloignés.
◊ Chaque année, la féria divise Céret en deux camps…
Mais si elle ne fait pas l’unanimité, elle n’en est pas moins un événement structurant de la vie locale. C’est une immense fête populaire au sens le plus strict du terme ; un espace de liberté où l’ordre établi peut être inversé. Dans les arènes ou dans les rues, la symbolique taurine est partout, devenant pour certains l’expression d’un sentiment d’appartenance.
Les arènes de Céret sont réputées dans le monde aficionado, pour leur approche “torista” de la corrida ; une école traditionaliste où l’animal, sa bravoure et sa dangerosité, sont au centre de tout. Locaux et aficionados de l’Europe entière y convergent chaque année.
Toros de José Jaquim Moreno Da Silva, élevage de sang pur “Saltillo”. Les arènes de Céret sont fréquentées par un public exigeant, qui “sélectionne” ses arènes, cherche des toros “bravos” et vient de loin pour voir concourir des encastes anciennes.
◊ Le Covid annoncera-t-il la fin de la tauromachie ?
Alors quand l’ADAC (une association fondée dans les années 80 par un groupe de passionnés et qui porte haut et fort l’aficion catalane) a annoncé que, pour la première fois depuis plus de 70 ans, il n’y aurait pas de corridas cet été, on ne pouvait s’empêcher de penser à la mort annoncée d’une pratique déjà mise à mal par l’opinion publique. La saison était déjà entamée pour les toreros qui ont stoppé net leurs tournées. Du côté des éleveurs dont la majorité sont en Espagne, deuxième pays le plus durement touché par le virus, l’impact économique a été particulièrement important, aucune bête n’ayant pu prendre le chemin des arènes. Le confinement est à peine consommé que les annonces fleurissent déjà, promettant une reprise des spectacles pour la fin de l’été. Mais le secteur pourra-t-il se relever ?
Entraînement, recueillement, habillement… Les heures qui précèdent l’entrée en piste sont celles d’un sport de haut niveau. La “saison” des corridas court du printemps à l’automne. Il n’y a pas de spectacles, donc pas de contrat en hiver. Cet année, le confinement a stoppé net tout le début de la saison.
En chef d’équipe, le matador signe un contrat de cession avec les organisateurs. En France, les toreros peuvent être intermittents du spectacle. Le montant de la prestation couvre le défraiement complet (habits, hôtel, trajets, repas…) ; mais aussi les salaires de l’intégralité de la “quadrilla”. Chaque annulation de contrat entraîne donc un manque à gagner pour près de 10 personnes.
◊ Le témoin d’un nouveau monde en marche ?
Se réveille-t-on vraiment dans un nouveau monde ? Cette interruption va-t-elle nous apprendre que l’on peut (doit) vivre sans la tauromachie ? À l’inverse, va-t-on abandonner 5 siècles de tradition sans aucune autre forme de procès ? Dans un monde où le bien être animal entre en politique, directement lié à l’impact de l’Homme sur la planète, la question ne peut plus être éludée.
Si la tauromachie représente un pan de l’histoire régionale, si son impact somme toute très local ne fait pas le poids face à celui de l’élevage intensif mondialisé, elle “grince” quand même. Car la corrida“symbolise”. Et tant qu’à faire, puisque nous traversons une époque où l’on s’attaque aux symboles, il est facile de penser qu’elle n’y a plus sa place.
Le cheval est le principal protagoniste du “tercio de pique” ; le moment le plus important du spectacle. La qualité de son dressage et celle du picador qui le monte sont fondamentaux : le toro, le cheval l’affronte masqué. Ses yeux sont ceux de son cavalier. À l’époque des corridas Goyesques, les chevaux n’étaient pas protégés. Aujourd’hui, ce sont d’immenses chevaux de trait, habillés d’une épaisse protection.
Chaque arène a sa chapelle. Dans le monde de la corrida, la religion et la superstition sont omniprésentes. Avant d’entrer dans l’arène, certains vont prier, d’autres touchent le bois de l’arène. C’est une manière d’entrer dans le rituel. Dans cette chapelle, ils prient devant un christ en bois qui appartenait initialement au tribunal de la ville. Il a été déposé aux arènes suite à la séparation de l’Église et de l’État.
Chaque toro est différent. Ici plus qu’ailleurs, face à des animaux imprévisibles, toréer demande une grande capacité d’analyse et une grande connaissance de l’animal. Les aficionados locaux attendent des toreros qu’ils sachent observer et comprendre l’animal. Selon eux, plus ils respectent ses spécificités, plus ils l’aident à donner le meilleur de lui-même.
◊ Et lorsque le sujet vient sur la table, la question qui revient systématiquement est la suivante : “Es-tu pour ou contre la corrida ?”
Et si la question était un peu ailleurs ? Si la tauromachie, dans ce qu’elle donne à voir, mettait en exergue une profonde transformation dans notre rapport au monde animal ? Au spectacle vivant ? À la religion ? À la vie et donc, évidemment, à la mort ? Et si elle représentait un véritable repère identitaire ? Si elle disait notre besoin de ritualité dans un monde de pertes de repères ?
Et si le fait qu’elle existe encore, témoin de notre époque, toujours vivace finalement dans des “places” sanctuarisées, disait aussi quelque chose sur notre besoin d’être Hommes, de se confronter, à travers le spectacle, à la réalité de la mort ? À Céret, la tauromachie a au moins 5 siècles et que l’on soit pour ou contre, comme tout ancien, elle a peut être tout simplement des choses à nous apprendre sur nous même.
Fin de féria, les membres de l’ADAC nettoient les arènes. La Société des Arènes de Céret, qui en est propriétaire, les loue pour d’autres types d’événements comme des festivals de danse et de musique… Dans quelques jours, se déroulera ici le festival international de la sardane.
*Dans les années 20, Pablo Picasso et ses amis étaient des habitués des arènes de Céret. Ses célèbres coupelles tauromachiques sont un des fleurons de la collection permanente du Musée d’Art Moderne de la ville.
◊ La photographe Marielle Rossignol
Communicante de métier et photographe autodidacte, Marielle Rossignol situe sa pratique à mi-chemin entre photographie d’auteur et documentaire. La corrida, elle connaît bien, puisqu’elle a grandi avec la passion dévorante de son père, aficionado passionné et co-fondateur de l’ADAC (Association des Aficionados Cérétans).
C’est en 2013, dans les arènes de Céret où elle a grandi, qu’elle a commencé à photographier la corrida. « À travers ce projet, je tente de répondre à la pression sociale qui me demande de me positionner radicalement pour ou contre la tauromachie. La réalité est plus complexe ; j’ai grandi avec elle, elle fait partie de ma culture et de mon identité. Pour autant, je considère que la corrida n’a plus d’avenir face aux tendances actuelles et qu’elle va forcément soit évoluer, soit disparaître. »
Avec L’irrémédiable est un immense spectacle, Marielle Rossignol tente de poser un regard « ni pour, ni contre » la tauromachie. Loin de la piste et des paillettes, elle en documente les coulisses les plus intimes. Cette série s’intègre dans un projet au long cours, comprenant des photos, mais aussi des interviews et des sons.
Photo de Marielle par © Muriel Haaz
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