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«Paroles de juges» : quand les juges de Perpignan font appliquer les peines

Juge application peines

Article mis à jour le 4 août 2023 à 11:37

Lors d’une immersion au cœur de la machine judiciaire des Pyrénées-Orientales, nous avons rencontré plusieurs juges, greffiers, greffières mais aussi ceux que le garde des sceaux a qualifiés de «sucres rapides.» Pour ce troisième volet de notre série «Paroles de juges», échange avec le pôle exécution des peines tribunal de Perpignan.

Une tranche d’information qui dévoile l’état d’esprit, la manière d’aborder le métier de juge aux affaires familiales (JAF), de l’application des peines ou de greffier. Quelles sont les difficultés, les espoirs de ces hommes et femmes qui rendent la justice au nom du peuple français. Lire ou relire, le premier volet : «Paroles de juges du Tribunal de Perpignan. Le président se confie». Et le deuxième volet de ce triptyque «Paroles de juges : les JAF du tribunal de Perpignan»

Selon Pierre Viard, président du tribunal de Perpignan, le service des juges d’application des peines (JAP) a une configuration correcte compte tenu du nombre de personnes condamnées et du seul établissement pénitentiaire des Pyrénées-Orientales. Actuellement, à Perpignan, quatre juges sont chargés du suivi et de l’application des peines ; qu’il s’agisse de personnes condamnées en milieu ouvert (bracelet, travaux d’intérêt généraux…) ou fermé (centre pénitentiaire de Perpignan).

Rencontre avec une magistrate heureuse du tribunal de Perpignan

En franchissant la porte du service d’application des peines de Perpignan, nous avons été surpris de rencontrer une juge aussi enjouée et passionnée par sa fonction. D’autant plus que Florence est JAP à Perpignan depuis 2013, elle fera valoir ses droits à la retraite en fin d’année 2023. «Je fais partie des magistrats heureux. Heureuse d’être en poste, mais aussi heureuse de partir en retraite.» Florence a la passion pour son métier contagieuse, elle aime partager son quotidien, transmettre aux juges en formation, les «bébés juges» comme elle les nomme. Mais ce qu’elle aime avant tout c’est l’humain et le contact.

La «japerie», ainsi appelé dans le milieu des juristes, le travail consiste à suivre les personnes condamnées, qu’elles le soient en milieu ouvert ou fermé. Florence est en charge des personnes condamnées en milieu ouvert. Et loin d’être blasée après dix ans de japerie, elle a encore de l’espoir, elle y croit encore. Sur les presque 800 dossiers dont elle a la charge, elle en connaît au moins 600. Derrière chaque dossier, il y a toujours un vécu différent insiste-t-elle.

«Vous savez, si on arrive à mettre en place un bon suivi socio-judiciaire, le nombre de récidives plonge. Je me souviens de ce gamin de 18 ans. Il avait fait pis que pendre. Il avait écopé de deux sursis avec mise à l’épreuve de deux fois deux ans. Eh bien il a trouvé un boulot, une petite copine. Un jour, il est arrivé ici tout fier avec son bébé. Parfois il suffit d’une petite copine qui visse un peu.»

Des exemples comme celui-là Florence en a plein sa sacoche de juge, et elle n’est pas peu fière de se les remémorer pour montrer que le métier de juge d’application des peines ne se cantonne pas au strict suivi des mesures, il s’agit avant tout de l’humain.

Florence a demandé à être juge honoraire de la cour criminelle des Pyrénées-Orientales

Même après son départ en retraite, Florence n’en aura pas fini avec la robe noire, ni avec le tribunal. Florence a demandé à devenir juge honoraire et à être affectée environ une semaine par trimestre à la Cour criminelle. Depuis janvier 2023, les Cours criminelles départementales visent à désengorger les Cours d’assises. Les Cours criminelles de justice dérogent au principe du jury populaire, elles ne sont composées que de magistrats professionnels. Et Florence a demandé à en faire partie.

Les juges de Perpignan sont 90% de leur temps affectés à leur poste ou leur fonction, et accordent 10% de leur temps au service général. Et notamment lors des audiences collégiales en comparution immédiate entre autres.

Les murs de la prison de Perpignan séparent le milieu ouvert du milieu fermé 

S’il est aussi juge d’application des peines depuis bientôt dix ans, Radzan suit quant à lui entre 500 et 600 personnes définitivement condamnées du centre pénitentiaire de Perpignan. En ce moment, le juge a entre 180 et 200 demandes d’aménagement de peine en cours. Les demandes d’aménagement des peines sont le quotidien de Radzan. Deux fois par mois, se tient au centre pénitentiaire de Perpignan une audience. Le détenu accompagné ou pas d’un avocat plaide son dossier devant Radzan, un représentant du ministère public, du Spip* et un représentant de l’administration pénitentiaire.

«Le condamné doit donner des gages de sa volonté de se réinsérer. Il me présente son projet d’aménagement de peine, promesse d’embauche ou de formation par exemple. Nous allons étudier son parcours en détention, a-t-il été actif, formations, emploi, scolarité, d’éventuels incidents disciplinaires. Puis, je rends ma décision dans les deux semaines.» Le juge insiste, les textes sont clairs, il faut un projet de réinsertion concret. Parfois, le juge voit arriver des demandes d’aménagement qui ne sont justifiées par aucun document.

«Je ne comprends pas, je crois qu’ils se disent qu’ils peuvent avoir de la chance, un peu comme s’ils allaient jouer au tiercé. Mais ça ne fonctionne pas comme ça, le projet d’aménagement de peine est très encadré par la réglementation.»

Au-delà de l’aménagement des peines, Radzan préside aussi la commission de réduction des peines. Dans ces commissions, avec autour de la table, le ministre public, le Spip, et la direction de la prison, l’enjeu est d’examiner les réductions de peine accordées ou pas aux détenus. Un régime totalement modifié depuis le 1er janvier 2023. Désormais, le détenu condamné à plus d’une année** de prison peut bénéficier d’une réduction de peine de six mois par année de détention. La commission va étudier le dossier de la personne condamnée, et selon son comportement en détention, pourra accorder six mois de réduction de peine par année de peine maximum.

En 2024, Radzan aura passé dix ans à l’exécution des peines, un maximum pour cette fonction. À presque 60 ans, le magistrat envisage de se tourner vers la justice civile.

*Spip, service pénitentiaire d’insertion et de probation.
** Pour des peines inférieures à une année, la réduction de peine peut aller jusqu’à sept jours par mois de détention.

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Maïté Torres