Article mis à jour le 7 février 2024 à 10:53
Dans la petite salle du tribunal de Perpignan, ce lundi de mars, se tenait une audience de comparution immédiate. Quatre prévenus attendent dans l’arrière-salle d’audience F du tribunal. Ils sont menottés et entourés par une escorte pénitentiaire. Ces hommes âgés de 26 à 55 ans ont tous passé au moins une nuit en prison, interpellés pour des faits commis pour certains il y a moins de 24 heures.
Le parquet et le juge des libertés ont estimé que compte tenu de la gravité des actes ou du profil des auteurs, il fallait une réponse judiciaire immédiate. Ils se présentent face au tribunal composé du président Laurent Dagues, de deux juges assesseurs, du procureur adjoint, Philippe Latger et d’une greffière. Quatre parcours chaotiques où accidents de vie et addictions font basculer dans la délinquance.
Alcool et conduite sans permis à la barre du Tribunal de Perpignan
Un agent de service pénitentiaire escorte Malik (1). Il déverrouille les menottes dans un bruit qui résonne. Malik s’installe sur le banc réservé aux accusés. Il n’a que 26 ans et déjà plusieurs procédures pour conduite sous l’empire de l’alcool. Deux jours avant l’audience, les policiers l’ont contrôlé à la sortie d’un bar à Perpignan. Le juge de lire le rapport du procès-verbal rédigé à l’issue du contrôle. «Nous sommes samedi à 2h15 du matin. Les policiers remarquent un véhicule BMW série 1 qui circule à vive allure alors que plusieurs piétons alcoolisés quittent le bar. Cette circulation dangereuse incite les policiers à vous contrôler. Ils constatent que votre permis est suspendu depuis janvier 2023. Vous circuliez avec 1,40 gramme d’alcool dans le sang et avec un permis suspendu !»
Le président questionne Malik. «Qu’est-ce que vous aviez bu ?». Trois ou quatre verres de vodka répond Malik. Le président de rétorquer, «vous saviez donc que vous étiez alcoolisé. Et vous prenez le volant malgré tout ?. Pourquoi ne pas vous faire transporter ? Vous pourriez boire toutes les vodkas que vous voulez. Avez-vous eu le temps de réfléchir depuis votre incarcération ?». Malik reste silencieux puis lève la tête pour s’excuser. «Je n’aurai pas dû faire ça, j’avais déjà fait la connerie, c’était une erreur. J’étais conscient des dangers, je ne sais pas pourquoi je l’ai fait. J’ai pas envie de retourner là-bas, c’est la première fois que je rentre en prison.» Le président de lever les yeux au ciel comme s’il avait déjà entendu ces propos. Malik travaille, il a un CDI, et il est hébergé chez ses parents.
«Vous percevez 1.651€ par mois, avec 0 charge hormis le prix de vos bières et votre vodka.» Malgré les excuses répétées de Malik, le juge s’agace. «Vos explications sont un peu limite Monsieur !» avant de rappeler le parcours judiciaire du jeune homme. «En 4 mois, vous vous êtes rendu coupable de quatre faits délictueux. Ce qui a conduit le parquet à vous faire comparaître aujourd’hui.» Le président de tourner les pages du dossier s’adressant au prévenu, «ça devient sérieux monsieur !» Les paroles du juge restent en suspens. «Je suis désolé» répond Malik dans un souffle.
Le Procureur d’interpeller le prévenu. «Ce n’est pas parce qu’on a une situation insérée, un logement, un travail qu’on peut se permettre de conduire dans ces circonstances ; et avec les risques que cela représente pour vous et les autres usagers de la route.»
Malgré la sévérité de ses paroles, le procureur adjoint ne requiert pas d’incarcération, mais une peine aménageable de 4 à 6 mois.
L’avocat commis d’office pour Malik sollicite l’indulgence du tribunal. «Depuis un an, monsieur boit. Quand on boit d’une manière abusive, c’est qu’il y a un problème. Le tribunal peut très bien envisager un sursis probatoire avec obligation de soins. D’autant que monsieur est déjà convoqué le 16 juin prochain.» L’avocat de faire référence à sa dernière affaire de conduite en état d’ébriété. Dans ce dossier, l’accusé a opté pour la procédure dite du plaider-coupable et sera entendu le 16 juin 2023.
Puis le tribunal se retire pour délibérer. On entend à nouveau le bruit des menottes, cette fois qui se referment sur les poignets de Malik. Les juges reviennent, les personnes dans la salle se lèvent, et Malik reste debout pour écouter le verdict. «Le tribunal vous condamne à six mois d’emprisonnement à effectuer sous bracelet électronique, avec annulation du permis, interdiction de le repasser avant 10 mois et confiscation du véhicule.» Le président explique la sentence. «Si le tribunal n’a pas prononcé de peine de prison, c’est que vous avez un travail en CDI. Il faut que ça vous fasse réfléchir. Sachez qu’au bout d’un moment, la machine répressive reprend le dessus. Prenez conscience de ce problème, et prenez-vous en main !»
Du rugby à la prison, une lente dérive sur fond d’addiction à la cocaïne
Taille moyenne, corpulence mince, Alain (1) porte un pull-over visiblement trop petit et semble marqué par ses dernières nuits en cellule. À 55 ans, cet ancien rugbyman est tombé dans l’enfer de la cocaïne depuis plusieurs années. Ses premiers rails le furent lors des troisièmes mi-temps, la cocaïne festive comme il la qualifie. Et puis Alain n’a cessé d’augmenter les doses. D’un gramme en soirée, il en consomme désormais entre 5 et 10 par jour. Il comparaît devant le tribunal pour vol d’équipements portatifs dans le local technique d’une petite commune des Pyrénées-Orientales.
Le jeudi précédant l’audience de comparution immédiate, un employé de la mairie a déposé plainte pour cambriolage. Objet du larcin ? Une tronçonneuse, un taille-haie, des ciseaux électriques, des affûteurs de tronçonneuse, et une visseuse ; le tout d’une valeur totale de 3.560 euros et 18 centimes précise l’avocate de la commune. Après visionnage des caméras, Alain est reconnu et les gendarmes l’interpellent à son domicile.
Le juge de poursuivre : «Vous avez déclaré que depuis plusieurs années vous êtes consommateur de cocaïne et que c’est pour des raisons matérielles que vous avez commis ce vol. Que ce jour-là vous aviez pris trois grammes de coke avant de partir, que vous avez commencé à ressentir un manque et vous avez commis le vol.» Et ensuite ? Questionne le président. «Je me rappelle pas de tout car j’étais défoncé.»
Le juge de lire ses précédentes déclarations inscrites dans le procès-verbal. «Ensuite vous êtes allé à la Place Cassanyes pour revendre le tout en cinq minutes contre deux grammes de cocaïne que vous avez consommés immédiatement.»
Après le rappel des faits, le président du tribunal plonge dans le passé d’Alain et notamment dans son casier judiciaire. Le juge de lire la longue liste des condamnations du prévenu. Février 2019, novembre 2020, octobre 2021, pour chacune de ces condamnations pour vol avec destruction, ou menaces, Alain écope de trois à six mois de prison, des décisions toujours prises en son absence. Car rappelle le juge, «vous ne venez jamais quand le tribunal vous convoque !»
Le procureur adjoint rappelle que le casier d’Alain comporte d’autres mentions datant de 2022, pour vol ou recel. Des faits pour lesquels Alain a été condamné, toujours en son absence, à trois ou six mois de prison. Bref, le parcours judiciaire d’Alain est chargé.
«Vous ne venez pas au tribunal quand vous recevez des convocations ? Ça ne vous intéresse pas monsieur ?» Alain de tenter une réponse, «non c’est pas ça, mais quand je suis sous l’empire de la cocaïne, que je suis défoncé, je ne me souviens pas où j’ai mis les convocations. Et je ne me souviens pas qu’il faut que je vienne.» Le juge de demander, «la cocaïne explique tout ?». «Non, mais quand vous avez pris cinq ou dix grammes, vous n’êtes plus vous-même. C’est pour ça que je veux me faire soigner», tente d’expliquer Alain. Le juge de le questionner sur sa motivation. «Et il faut attendre que vous soyez devant ce tribunal à 55 ans pour vous entendre dire, je veux me faire soigner ?» Le prévenu de rétorquer, «le problème c’est que j’ai un mal-être.» «Depuis combien de temps consommez-vous ? Depuis 20 ans» répond Alain.
«Au début, quand je jouais au rugby c’était festif, c’était un trait ou deux traits. Et puis je me suis séparé de ma copine et au lieu de prendre un ou deux grammes, j’en prenais cinq ! Avant je travaillais, j’avais ma maison, mes enfants, j’avais des voitures.» Le juge encourage Alain à poursuivre, «et maintenant ?». «Je ne travaille plus depuis la séparation en 2018. Je fais les saisons, les abricots, la vigne.» Puis Alain se projette, «j’aimerais être avec ma femme, me promener au Canigou, à la Massane comme je faisais avant. Pas aller faire le con à voler une tronçonneuse à 55 ans, tout ça c’est pas moi ! C’est pas mon truc, avant j’étais respecté et respectueux, tout ça c’est pas moi.
Je suis addict à la coke, mais veux me faire soigner, je veux rentrer à Théza avec des gens compétents pour me soigner.» La juge assesseur de questionner Alain sur les démarches entreprises pour décrocher. Alain de répondre : «je n’ai rien fait parce que je me sentais capable de me sevrer moi-même. Et je m’aperçois qu’il me faut de l’aide.» Le juge hausse le ton, «j’ai l’impression que vous prenez le tribunal pour ce qu’il n’est pas. Quand on a 55 ans qu’on snife des rails de cinq grammes par jour, qu’on touche le RSA et qu’on fait des petits trucs à côté… On dirait bien que cette petite vie vous convient. Si vous aviez eu la volonté de vous en sortir, il y aurait plus que ces belles paroles.!» Alain de répondre avec une pointe d’arrogance, «excusez-moi maître, moi je vois les choses comme ça !»
Le procureur de prendre la parole, «c’est un peu facile de se retrancher derrière cette excuse de la drogue. Ça n’est pas moi, mais si ce n’est pas moi, c’est qui ? À un moment il faut assumer !» Pour le vol, le procureur réclame une peine 18 mois d’emprisonnement dont 8 mois de sursis probatoire avec obligation de soins durant 2 ans et un maintien en détention.
La parole est à l’avocate d’Alain qui s’insurge contre les propos du Procureur. «Il est facile de se retrancher derrière la consommation de stupéfiants pour justifier ces délits, voilà ce que nous dit le procureur ! Est-ce que c’est facile de vivre au point ou vous consommez entre cinq et dix grammes de cocaïne par jour ? Alors oui, le premier gramme il l’a bien voulu, mais on connaît le mécanisme de l’addition. Est-il facile de vivre avec une telle addiction ? On en voit défiler des dizaines, des centaines de personnes ici chaque année. A-t-on l’impression qu’ils mènent une vie facile ? Qu’ils nagent dans le bonheur, qu’ils sont heureux ? Moi j’estime que ce n’est pas une vie facile.» Après son ardent plaidoyer, l’avocate réclamera un sursis probatoire avec une obligation de se soigner de façon sérieuse.
Alain de tenter également de plaider sa cause, «je m’excuse auprès de tous ceux a qui j’ai causé un préjudice. J’aimerais qu’on me tende la main et je suis prêt à faire des travaux généraux pour rembourser la mairie.» Après délibération, le tribunal décide le maintien en détention et condamne Alain à 10 mois de prison ferme.
Étranger en situation irrégulière et double peine
Yanis (1) a 34 ans, il est d’Alger et a perdu son emploi de designer dans une usine de textile suite à la crise du Covid-19. Il est venu en France pour trouver un emploi, avoir une meilleure vie. Mais depuis 2021, il survit, aide les commerçants à déballer les cartons sur la Place Cassanyes, vit dans un squat dans le quartier Saint-Jacques et consomme du shit. Lors d’une patrouille de la police municipale, Yanis a pris peur et a fui en jetant sa sacoche. Les policiers l’ont retrouvée, elle contenait «une savonnette» de plus de 100 grammes de résine de cannabis. Quant à Yanis, il détenait sur lui une capsule de 1,42 gramme et 130€ en espèces. Outre l’infraction administrative, Yanis est sur le coup d’une obligation de quitter le territoire français, il est poursuivi pour vente et possession de drogue. Yanis justifie la détention pour sa consommation personnelle, il dit être consommateur depuis l’âge de 12 ans.
Le procureur de lancer, «on peut abattre les immeubles, mais malheureusement on ne met pas fin aux points de deal.» Le procureur fait référence à la destruction en septembre 2021 de l’immeuble Bétriu à Saint-Jacques. Pour le procureur adjoint, pas de doute possible, Yanis est bien coupable «d’offre et de cession» de stupéfiants et les 130€ sont le fruit de la vente de résine de cannabis.
Le procureur de demander une peine de six mois de prison et le maintien en détention compte tenu de l’absence de domicile.
Pour l’avocate de Yanis, rien ne prouve la culpabilité de son client. «Dans ce dossier, il n’y a rien, pas de caméras, pas de témoignages, aucun élément. Alors que, d’habitude, on a au moins trois ou quatre vendeurs, et acheteurs qui témoignent. Nous n’avons aucune image de vidéo surveillance où l’on voit mon client en train de vendre. (…) Quant à la somme de 130€ ce n’est pas énorme, il travaille au black, il aide les commerçants à s’installer, à vider les caisses. Il charge et il décharge et on le paye pour cela.» Pour l’avocate de Yanis, le tribunal doit le laisser libre afin qu’il puisse rentrer dans son pays par ses propres moyens.
Yanis tente également de plaider sa cause. «S’il vous plaît donnez-moi une deuxième chance, laissez-moi repartir au bled. Mon père est très malade, quand il va savoir que je suis ici, ça va le rendre encore plus malade.» Après délibération, Yanis sera conduit en détention pour purger une peine de quatre mois de prison.
Jean-Pierre 47 ans de galère et d’addictions coupable de plusieurs délits routiers
Jean-Pierre (1) est sans domicile fixe depuis que sa mère âgée de 74 ans l’a mis dehors début mars. Il s’est réfugié dans sa voiture. Voiture qu’il n’a plus le droit de conduire puisque son permis lui a été retiré. Le président du tribunal rappelle les faits en s’adressant à Jean-Pierre. «Dimanche à 3h14 du matin, les gendarmes voient une voiture qui ne s’arrête pas au cédez le passage et qui roule trop vite. Ils décident de le suivre, enclenchent le gyrophare. Mais vous ne vous arrêtez pas. Finalement, quand les gendarmes s’approchent, vous refusez de leur ouvrir. Ils procèdent finalement à votre interpellation.» Jean-Pierre de donner sa version. «Je venais de me faire renvoyer de chez ma mère le jour anniversaire du décès de mon père. J’avais passé deux jours dans ma voiture. J’ai consommé 1 gramme de cocaïne. Et j’ai vu des choses qui ne sont pas réelles. J’étais assis sur le parking, et j’ai vu des inspecteurs qui tournaient, alors qu’il n’y avait personne.»
Le président du tribunal de qualifier de «complexe» le parcours de vie de Jean-Pierre. «Enfant, vous faites un passage en famille d’accueil, vous avez un niveau CAP et vous avez travaillé comme marin pêcheur. Votre dernier emploi déclaré date de 2022 dans la cueillette d’olives. Et vous percevez le RSA.» Le procureur rappelle le parcours judiciaire de Jean-Pierre. «Vous cumulez 26 condamnations de 1996 à 2022 dont 12 pour des faits routiers.» Défaut de permis, d’assurance. «Il y a des réalités qui doivent être rappelées» insiste le procureur adjoint. «Moi, ce qui me sidère c’est de voir comment vous mettez tout en échec ; alors que vous avez une promesse d’emploi, un suivi par le juge d’application des peines, et que vous êtes accompagné par le service pénitentiaire d’insertion et de probation ! Comment malgré tout cela, vous êtes encore devant nous aujourd’hui !»
L’avocate de Jean-Pierre de tenter une explication. «En préparant la défense, je me suis demandée pourquoi monsieur persévérait dans la délinquance. Il y a une explication circonstancielle, une enfance, des difficultés de vie, mais il y a aussi une explication chimique. (…) Monsieur est sous méthadone, ce qui suppose que c’est un ancien toxicomane, et qu’il manque de sérotonine, la molécule du bonheur. Quand on consomme ces drogues, le cerveau n’arrive plus à produire cette hormone. On est dans un état de mal-être permanent. Puis on se rappelle que l’on redevient heureux quand on prend ces substances. Quand il se fait virer de ses chez sa mère, il est malheureux et il se rappelle que quand il prend de la cocaïne, ça produit l’effet du bonheur, pas longtemps, mais quand même. Il s’est pris un shoot de cocaïne qui l’a mis dans un état de paranoïa.»
Finalement, le tribunal condamnera Jean-Pierre à six mois de prison ferme avec maintien en détention compte tenu de l’absence de domicile. Le juge de conseiller. «Commencez d’ores et déjà à préparer votre sortie de détention. Votre famille est là, elle vous soutient, c’est inespéré, saisissez cette chance !»
(1) Afin de préserver l’anonymat, les prénoms ont été modifiés.