Article mis à jour le 26 juin 2023 à 16:30
Dès 8 heures ce mardi 23 mai, élus, agriculteurs et services de l’État étaient réunis à la station d’épuration de Saint-Cyprien. Objectif, opération communication autour du transport par camion des eaux usées traitées pour arroser les vergers des Albères.
Alors que seulement 2% des eaux usées sont réutilisées en France, face à la sécheresse inédite, les autorités mènent une expérimentation pilote dans les Pyrénées-Orientales.
Chaque jour la station d’épuration Sud Roussillon pourrait fournir 2.000M3 d’eau
Sortie de terre depuis trois décennies, la station de traitement des eaux usées de Saint-Cyprien peut traiter les eaux de 90.000 personnes. Selon le maire et président de l’agglomération Sud Roussillon, depuis dix ans, la collectivité a investi pour améliorer la qualité des eaux rejetées dans le port de Saint-Cyprien. Ainsi, après traitement biologique, et décantation, l’eau est encore assainie via une série de filtres à ultraviolets et à sable. Chaque jour, 2.000M3 d’eau sont ainsi réutilisables. Ce 23 mai, les rotations de camion achemineront 90M3 vers le canal des Albères. Un coût de 950€ pour trois rotations pris en charge par le département. Autant dire une goutte au regard des enjeux…
Il aura fallu batailler du côté administratif et sanitaire pour que les conditions soient optimales pour une réutilisation agricole des eaux. «C’est une phase expérimentale. (…) En amont, il fallait s’assurer de la qualité des eaux. L’ARS* et la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) sont venues contrôler la qualité des eaux depuis plusieurs semaines», détaille Rodrigue Furcy, le préfet des Pyrénées-Orientales.
Les arbres fruitiers des Pyrénées-Orientales consomment 5.000M3 d’eau par hectare et par an
Pour bien comprendre, Nicolas Garcia, président du syndicat des nappes du Roussillon, précise que pour irriguer un hectare de pêches il faut 5.000M3 d’eau par an. Par ailleurs, et compte tenu de la situation, les arboriculteurs des Pyrénées-Orientales sont soumis à de lourdes restrictions d’arrosage. Bruno Vila, président de la Fédération Départementale du syndicat des exploitants agricoles se félicitait du changement de braquet dans la politique de réutilisation des eaux usées. Rappelant au passage, que nos voisins espagnols réutilisaient 14% de leurs eaux, bien loin de nos pratiques locales.
L’arrêté préfectoral précise les modalités d’application. La réutilisation des eaux usées est autorisée pour la seule irrigation des arbres fruitiers, excluant le maraîchage et l’élevage.
Coup d’épée dans l’eau pour l’expérimentation ?
«On est sur une autorisation temporaire jusqu’à la fin de l’année», précise le préfet, une mise en œuvre que tous espèrent pérenne. En clair, ce mardi matin, l’eau a été transportée par le département mais dès mercredi 24 mai, les agriculteurs devront eux-mêmes mettre en place un dispositif pour acheminer l’eau jusqu’à leurs exploitations. Une logistique impossible selon Baptiste Cribellet, président de l’Asa des Albères et arboriculteur. Selon ce dernier, les besoins quotidiens du canal (5.000M3) ne permettent pas d’organiser les rotations de camion nécessaires.
Après les Albères, deux autres stations pourraient être concernées par un dispositif similaire selon le préfet. Ces deux stations sont celles de Canet-en-Roussillon et de Sainte-Marie-la-Mer. « Sur les autres, il faut qu’on monte en puissance sur la qualité». Nicolas Garcia de rappeler que d’autres stations, et notamment celle d’Argelès-sur-Mer, pourraient enclencher ce dispositif à la condition d’améliorer la qualité de leurs eaux.
Le Golf de Saint-Cyprien réutilise les eaux usées pour son green
Le golf de Saint-Cyprien – qui avait déjà fait la demande pour utiliser l’eau de la station d’épuration pour l’arrosage de son site – peut, depuis l’arrêté préfectoral, venir s’approvisionner en eau. Au quotidien, le golf a besoin de 150M3 d’eau pour l’arrosage de ses terrains. Une alternative vitale, depuis l’interdiction d’arroser avec l’eau potable. Le golf de Saint-Cyprien dispose de son propre camion-citerne et récupère l’eau de la station gratuitement. Pour le maire de Saint-Cyprien, il s’agit de solidarité territoriale. Mais une gratuité jusqu’à quand ? Un technicien sur place rajoute qu’à terme le coût du traitement de l’eau devrait être réparti selon les usagers.
Ballet de camions ou labyrinthe de tuyaux ?
Si l’utilisation totale des 2.000M3 d’eau venait à se concrétiser, son transport mettrait sur les routes des Pyrénées-Orientales pas moins de 66 camions-citernes au quotidien pour cette seule station. Mais comment gérer cette question de l’acheminement de l’eau pour plusieurs sites ? Concernant la création de nouveaux réseaux, canaux d’irrigation et du financement, l’État devra-t-il et pourra-t-il subvenir à ces besoins ? C’est en tout cas la demande du président du syndicat des nappes du Roussillon, Nicolas Garcia. Toujours en rappelant l’état «catastrophique» des nappes phréatiques en ce moment, il interpelle le préfet sur cette question de financement : «Si cette solution marche, il faudra débloquer plus de financement et notamment du côté de l’État».
Créer un réseau pour acheminer l’or vert de la station d’épuration vers les bénéficiaires, du golf aux agriculteurs en passant par le terrain de football, aurait un coût certain. Mais le préfet espère être «un département pilote» avec un «objectif de réutilisation d’eaux usées de 10 à 15% sur le territoire national».
*ARS, Agence régionale de santé.