Article mis à jour le 19 septembre 2023 à 16:35
Les Pyrénées-Orientales traversent une période critique dans la gestion de la ressource en eau. Outre le différend juridique autour du fleuve « la Têt » qui oppose divers syndicats agricoles et France Nature Environnement, les habitants du département doivent faire face à un climat semi-aride et une situation des nappes phréatiques extrêmement dégradée.
Une situation de sécheresse préoccupante, comme le rappelle le journal Libération, ainsi que Nicolas Garcia, président du Syndicat Mixte pour la protection et la gestion des nappes de la plaine du Roussillon dans un entretien accordé à notre rédaction. Celui qui est aussi vice-président du Département met en avant l’état de santé catastrophique des ressources souterraines locales, les solutions à penser, et un contentieux avec la mairie de Perpignan.
De la vue angoissante du niveau d’eau du lac de la Raho
À titre d’exemple, jamais, depuis plusieurs décennies, le niveau d’eau du lac de Villeneuve-de-la-Raho n’avait été aussi bas qu’actuellement. Une vue qui pousse à l’interrogation ; si ce n’est à l’éco-anxiété.
Comment – cette retenue gérée depuis les années 70 par le Département – en est-elle arrivée là ? « Tout simplement parce qu’on y a pompé cinq millions de mètres cubes, via les Associations Syndicales Autorisées d’Irrigation (ASAI), et pour l’agriculture professionnelle et amateure. L’ASAI est en contrat avec nous pour quatre millions de mètres cubes. C’est normal. Mais on a donc prélevé un peu plus cette année. Cela s’additionne à l’évaporation. »
Dans un précédent article, Nicolas Garcia s’était positionné en soutien à la mobilisation générale du mardi 25 janvier à Perpignan, où plusieurs aiguadiers étaient présents.
« La mairie de Perpignan n’est pas sur la même longueur d’onde que nous »
Nicolas Garcia continue avec un troisième point de réponse, en citant la mairie de Perpignan* – gestionnaire d’un des principaux canaux qui alimentent le lac de la Raho : « Pour des raisons de mésententes avec elle, depuis mars 2022, plus une goutte d’eau de Las Canals ne vient au lac. Mais nous voulons construire un aqueduc entre Vinça et la Raho, et avec ce canal. »
Toujours d’après le vice-président des Pyrénées-Orientales, une « vieille convention est en renégociation depuis 2020, année de prise de fonction de l’actuel maire. Pour l’instant, nous n’arrivons pas à la concrétiser. Chacun doit avoir l’usage de l’eau pour une utilité vitale. (La mairie de) Perpignan n’est pas sur la même longueur d’onde que nous, et alors qu’il n’y a pas d’utilité agricole à ce niveau. Et la basse coule bien ! »
*Pour répondre à ce troisième point, avancé par Nicolas Garcia, la mairie de Perpignan n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Quelles solutions d’avenir pour gérer le précieux or bleu ?
Même si le préfet des Pyrénées-Orientales, Rodrigue Furcy, a fait appel, la décision du Tribunal de Montpellier – qui a donné raison à FNE sur les prélèvements agricoles dans la Têt – marque un important tournant juridique sur la problématique de la gestion de l’eau. Les Pyrénées-Orientales comptent nombre d’agriculteurs, maraîchers, et professionnels qui dépendent de cet or bleu. Pourtant, le territoire connaît un climat semi-aride. Et des restrictions sont encore à respecter en plein hiver. Quid de l’avenir ?
L’échange avec Nicolas Garcia se poursuit. Sa réponse se fait en trois points; mêlant réflexions et coups de gueule. De le citer :
– Il y a insuffisamment de travail collectif ! Ça ne peut plus durer. Bien sûr, il faut poursuivre les économies et délaisser le non-essentiel. L’agricole doit se faire avec des compteurs : il faut savoir ce qui est prélevé dans les nappes. À ce sujet, il y a déjà eu de gros efforts concernant l’irrigation.
– Avec la Chambre d’Agriculture, il faut faire un schéma départemental de l’eau brute. Nous ne sommes pas toujours obligés d’apporter de l’eau aux agriculteurs : parfois ils doivent aller vers l’eau. Nous avons lancé les études pour un canal de Vinça à Villeneuve-de-la-Raho. En cas de pluie, on pourra renflouer le lac ; et surtout, à l’aval de Villeneuve, nous avons un périmètre d’irrigation possible, mais dont un tiers est en friche. Pourtant, aux alentours, ils manquent d’eau. Pourquoi ne pas bousculer des principes jusque-là intouchables ? Pourquoi ne pas déplacer les agriculteurs dans ces terrains en friche, et où l’eau pourrait ne pas être puisée dans les nappes ?
– Nous avons des ressources alternatives. Mais pour les optimiser, il faut faire un travail de maillage entre les zones qui ont de l’eau et celles en manque, en fonction des périodes.
Pour le vice-président du Département, « aucune organisation ne peut le faire seule.»
« Il faut absolument créer une entité départementale gérée par les différents acteurs de l’eau »
Pour répondre au défi, selon Nicolas Garcia, « il faut absolument créer une entité gérée par les différents acteurs de l’eau et à l’échelle départementale. » Il se réfère au type de fonctionnement du Sydetom 66 – un syndicat dédié à la gestion des déchets.
« Le Conseil Départemental ne voudrait pas y être, mais voudrait le financer en partie. Il n’y a pas de problème et on est prêt. Il faut financer toutes les solutions de faisabilité. Arrêtons d’être individuels. Si on ne travaille pas ensemble, on trouvera ni solution, ni financement. L’eau aujourd’hui en nécessite, et seul, personne n’a tout ça. »
« Situation dégradée sur l’ensemble de la ressource en eau souterraine »
Le témoignage de Nicolas Garcia – président du Syndicat Mixte pour la protection et la gestion des nappes de la plaine du Roussillon – prend fin sur une note alarmante : « La santé des nappes phréatiques est catastrophique ! »
Dans la plaine du Roussillon, Nappes-Roussillon.fr explique « qu’on distingue deux entités :
– À quelques mètres de la surface, dans les alluvions des cours d’eau, se trouvent les nappes du Quaternaire (ère géologique actuelle).
– Situées dans des terrains plus profond, et jusque 200 m de profondeur, se trouvent les nappes du Pliocène (fin de l’ère géologique tertiaire).»
Nicolas Garcia développe : « Le premier est superficiel, entre cinq et trente mètres de profondeur. Il se renouvelle surtout grâce à la pluie. Le Pliocène est captif et se renouvelle sur des siècles. Il ne faut pas pomper dessus. On doit le préserver et le réserver pour les générations futures. Mais par endroits, il est descendu de quinze mètres.»
Le 15 janvier 2023, le Syndicat a publié son bulletin de situation. En voici le rapport synthétisé : « Situation dégradée sur l’ensemble de la ressource en eau souterraine. Dans un contexte particulièrement sec depuis huit mois, la situation des nappes est extrêmement dégradée : elle est largement déficitaire sur l’ensemble de la plaine du Roussillon. Dix piézomètres se trouvent sous le niveau de crise : Torreilles, Le Barcarès PN3, Alénya, Argelès-sur-Mer, Millas (C2-1 et C2-2), Bompas, Ortaffa, Sabirou et St-Hippolyte.
Il s’agit d’un contexte exceptionnel : c’est la première fois – depuis l’instauration des niveaux de référence de gestion des nappes – que la situation est autant dégradée sur de si nombreux points. Les unités de gestion (U.G.) Vallée du Tech et Agly Salanque, sont classées en crise ; les autres U.G. en alerte renforcée. Étant donné le contexte actuel, de dégradation de l’état de la ressource en eau souterraine, il est particulièrement important de mettre en place tous les moyens nécessaires permettant d’économiser l’eau et d’éviter les gaspillages.»
La situation en temps réel sur les ressources en eau du département est consultable sur Visieau 66.
Ajout du 30 janvier : Rodrigue Furcy, l’actuel préfet de Perpignan, a finalement donné raison à la mobilisation générale du mardi 24 janvier dernier
Il fera bel et bien appel du jugement du Tribunal de Montpellier contre son jugement en faveur de la plainte de France Nature Environnement. Dans un communiqué publié ce lundi 30 janvier, la Préfecture rappelle que « dans une décision du 29 novembre 2022, le Tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision implicite du préfet des Pyrénées-Orientales, de relever la valeur des débits réservés de la Têt fixée dans un arrêté de septembre 2017 ». Et elle commente : « Le juge s’est prononcé en pleine juridiction en déterminant lui-même le débit réservé ».
Rodrigue Furcy a donc pris deux décisions. De le citer :
1/ « Faire appel de la décision, à des fins de sécurité juridique des décisions administratives. Le tribunal a pris sa décision cinq ans après la prise des arrêtés, alors que ceux-ci n’avaient pas été contestés dans le délai de recours.
2/ Proposer à l’ensemble des acteurs une série de rencontres pour préparer la saison 2023 et sortir par le haut de cette situation. L’appel, qui n’est pas suspensif, donnera lieu à une décision au plus tôt pour l’été 2024, et doit s‘accompagner d’un travail pour tirer les conséquences de cette décision juridique en 2023, et au-delà. »
Toujours d’après le préfet, pour ce deuxième point, les rencontres auront pour objectif :
– définir un cadre d’instruction pour la saison 2023 ;
– finaliser les études en cours pour actualiser, sur des bases techniques incontestables, les conclusions de l’étude sur les volumes prélevables de 2012 ;
– engager un plan d’action sur les fuites et les rendements des réseaux (y compris eau potable) ;
– lancer une démarche plus globale sur la gestion de l’eau, en tenant compte de l’ensemble de ses usages, dont agricoles, sur le bassin de la Têt.
La situation sur les prélèvements agricoles de la Têt n’a donc pas finit de faire parler. Elle symbolise parfaitement la tension liée à l’eau dans le département.