Article mis à jour le 28 avril 2021 à 11:44
Au programme la semaine dernière pour la classe 305 du collège Jean Moulin de Perpignan : le consentement sexuel. La vingtaine d’élèves de troisième a été invitée – par leur enseignante de français Marie-Laurence Mestres – au visionnage du film documentaire « Sexe sans consentement » ; un échange-débat s’en est suivi. Une action animée et en partenariat avec l’Institut Jean Vigo.
Le sujet est primordial pour les adultes de demain ; à l’heure où de nombreux scandales sexuels remontent. Récit de trois heures inhabituelles de classe.
♦ Un film épuré pour un problème primordial
Ce matin-là du jeudi 1er avril, les plus jeunes s’en extasient, les adultes s’en inquiètent : les nouvelles mesures annoncées la veille au soir par le président Macron sont encore fraîches dans les têtes de tout le monde. Mais il est 9 heures et chacun prend place dans la salle de classe. Marie-Laurence Mestres annonce le but de la séance, présente le film et avertit les plus agités. « Quand on parle de citoyenneté, on parle aussi de ce qu’on n’a pas le droit de faire aux autres« , martèle l’enseignante de français.
Place aux cinquante minutes réalisées par Delphine Dhilly et Blandine Grosjean en 2018. Quand la forme est simple, la problématique est puissante : le film fait témoigner, face caméra, Natacha, Célia, Juliette, Floriane, Louise et Mary, sur leur expérience sexuelle forcée. La dernière a été victime dans les années 60 ; quand les autres ont la vingtaine au moment du tournage.
Le documentaire « Sexe sans consentement » met quelques chiffres en exergue : 63% des Français pensent que les hommes ont du mal à contrôler leurs désirs sexuels ; 22% des hommes et 17% des femmes pensent que par non, les femmes dans cette situation, veulent dire oui ; 21% des Français pensent que si la personne cède par la force, à un rapport sexuel, ce n’est pas un viol.
♦ Briser l’image stéréotypée du viol
Les élèves sont concentrés. Le silence est de notoriété. Seuls de grands « oh« , « ah« , « mais quel abruti« , se détachent sur certaines réponses d’hommes interrogés par les réalisatrices : « Lorsqu’une fille me dit non, c’est motivant. Alors c’est un petit travail, et, au petit matin, j’ai ce que je veux » ; « De peur de ne pouvoir me contrôler, je ne prends pas le risque de dormir avec une fille si elle ne m’a pas clairement dit qu’elle voulait faire l’amour ».
« Sexe sans consentement » a le mérite de briser le stéréotype du viol émané des films. Comme dans la majeure partie des cas : les interviewées ont toutes été violées par un homme qu’elles connaissaient déjà ; et non par un inconnu qui a surgi en pleine nuit d’une petite ruelle sombre.
Et c’est donc, au fil de leurs témoignages, que la notion délicate de « zone grise » qui se détache. Était-ce un viol ? Nacera de la classe 305 souligne que « les victimes du film étaient toute dans une ambiance de confiance. À peu près ». Mais élèves garçons comme filles ont bien saisi : un viol est un rapport sexuel non consenti. Point. Que ce soit avec un.e conjoint.e, un.e ami.e, ou la rencontre du soir.
Lila relève un détail important du film : « On dirait que certains hommes qui ont commis le viol, sur ces femmes, ne s’en sont même pas rendu compte sur le moment. J’ai l’impression qu’il faut encore plus communiquer clairement ». Mais le film touche à un autre point délicat : un certain doute éprouvé par les victimes après les faits ; la difficile tâche de s’accorder le fait d’être victime de viol.
♦ La génération Z déjà observatrice de ces faits
« Pour moi, j’étais la fautive car il me plaisait les jours précédents, se confie Natacha, l’une des six femmes interrogées. Il y a toujours cette question : est-ce que c’est mal ? Car j’avais l’impression d’usurper une place de victime. Oui il m’a forcé. Mais c’est encore dur mentalement à gérer ». Ou encore Célia : « Quand on m’a dit pour la première fois que ce garçon n’avait pas le droit, après lui avoir dit non, ça m’a soulagé. Je me suis rassurée : je ne suis pas folle, je ne fabule pas. C’était libérateur ».
Des doutes qui peuvent provoquer – davantage encore – de dégâts à terme : Célia et Natacha ont toutes deux pâti de trouble mental conséquent. « Vous voyez, si on n’éduque pas les gens, les dangers de la sexualité peuvent impacter une vie », rappelle Marie-Laurence Mestres à ses élèves.
La projection touche à sa fin et les échanges dans la classe fusent. Même les élèves connus pour être turbulents se concentrent et s’investissent. Effets positifs de l’accès de plus en plus facile aux médias ? Ou résultats d’un travail de sensibilisation entrepris depuis quelques années ? La vingtaine d’ados est déjà à l’aise avec les notions de consentement, d’agression, de harcèlement et de viol. Ou est-ce le résultat d’une parole qui se libère bien plus d’années en années ?
♦ Les élèves soulignent le rôle de l’alcool dans les viols
Interrogé à chaud sur ce qu’il pensait du film, Mathéo de la classe 305 répond : « C’est logique et choquant. Parce que du moment où quelqu’un dit non, c’est non ! Certains devraient aussi éviter d’être trop bourrés. Ou alors qu’ils évitent d’être enfermés seuls avec une fille s’ils n’arrivent pas à se contrôler ou à être conscients ». L’alcool est impliqué dans quatre des viols – sur six – racontés dans « Sexe sans consentement ». C’est l’un des premiers sujets de discussion entre les ados et l’enseignante.
Kylian partage : « Avec l’alcool, les gens peuvent être dans un état second et donc, ils ont moins de libre arbitre ». Et Lila de renchérir : « On est moins conscient de la situation ».
Autre sujet à discussion : l’avancée des mentalités en France. Les observations s’attardent sur le cas de Mary : lycéenne dans les années 60, non sensibilisée à la sexualité ; elle tombe enceinte de son petit-ami après des relations forcées. Elle est alors obligée de se marier et se voit exclue de son lycée.
Les élèves du jour ne comprennent pas ces conséquences. « Ce n’était pas accepté, explique Sylvie Sidou, responsable du service éducation à l’image de l’institut Jean Vigo. N’oubliez pas que l’avortement n’était pas légal à cette époque. Sa famille, avec celle du garçon, a donc dû trouver un arrangement de mariage. C’était comme ça. Si l’avortement avait été autorisé, peut-être, sa vie aurait été toute autre aujourd’hui ».
Autre point de la maturité de ces collégiens d’aujourd’hui : les potentiels abus de pouvoir ; et a contrario, les potentiels abus d’accusation.
♦ Cosima : « Il y a des gens très connus jamais inquiétés »
Les élèves passent un à un au tableau raconter des histoires entendues à droite à gauche. Robin* explique : « Il ne faut pas généraliser : les hommes aussi peuvent être violés par les femmes ». Tout le monde d’acquiescer sans réticence. Et Robin de poursuivre : « Je connais un homme, un adulte, qui m’a raconté avoir été forcé par trois femmes. Il ne voulait pas. Il l’a très mal vécu. Encore aujourd’hui ». Et Émilie souhaite nuancer : « En général les hommes sont plus forts physiquement : il est beaucoup simple pour eux, que pour nous les femmes, de forcer quelqu’un. La plupart des viols sont commis par des hommes ».
Les élèves rebondissent sur l’actualité des dernières années avec son lot de suspicions et d’accusations : Harvey Weinstein PPDA, Ménès, Polanski, Darmanin, des influenceurs, des youtubeurs, etc. Salma s’en emporte : « Il y a des gens très connus qui ne sont jamais inquiétés alors qu’ils sont soupçonnés ». Marie-Laurence Mestres et Sylvie Sidou expliquent certaines obligations du fonctionnement de la justice. Et les élèves de dénoncer collectivement « le retard de la justice, et ses délais beaucoup trop long. Aussi, pourquoi faut-il attendre qu’il y ait des témoignages de plusieurs femmes pour prendre l’affaire au sérieux ? »
La synergie du groupe poursuit sur ce chemin, tout en relevant de potentiels abus de femmes envers des stars. « Il y en a peut-être qui veulent du fric et du buzz« , commente Amine.
♦ Choix du sujet pour l’oral de brevet : le consentement sexuel
Marie-Laurence Mestres nous explique que c’est la troisième année consécutive que cette action de sensibilisation est organisée. Toujours en collaboration avec les voisins de l’institut Jean Vigo. « L’an dernier, une cinquante d’élèves de 3e ont participé à cette journée. Le matin, on avait projeté le film « Connexion intime », qui parle de l’addiction au porno ; puis l’après-midi on a fait des débats. Il y a deux ans on a reçu Natacha et Célia qui ont témoigné face aux élèves ».
L’enseignante de français poursuit : « On s’est demandé si ça allait être possible cette année. L’institut Jean Vigo n’a pas le droit d’ouvrir sa salle de cinéma, même pour des scolaires ; contrairement aux autres années. Alors on s’est rabattu en classe« .
Pendant la pause, émue, elle nous partage un souvenir : « Une année – pendant les échanges débats et devant plein de camarades – une élève s’est levée, a raconté avoir été forcée et comment, avant de quitter la salle. Quel courage ça lui a fallu ! »
Elle nous apprend aussi que ces trois dernières années, c’est « une trentaine d’élèves du collège qui ont choisi ce thème pour leur oral de brevet ». Il est midi et la sonnerie de la récréation sonne.
Le 22 mars dernier, et inspirés de l’actualité australienne, des députés français ont adressé une lettre au président de l’Assemblée ; comme le relève le magazine Elle. Au centre de la demande ? Une formation obligatoire pour les parlementaires sur le consentement sexuel.
*Prénom d’emprunt.
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