Article mis à jour le 24 décembre 2023 à 09:58
Petits commerces, librairies, restaurants, jardineries, boutiques de vêtement, en centre-ville comme en périphérie ; chacun essaie de s’adapter au retour du confinement. Pour une majorité d’entre eux, la deuxième vague est synonyme de crise financière.
Pour tenter de survivre, certains ouvrent leurs portes via le monde du web. D’autres, créent des menus spéciaux, et partent bichonner leurs clients à domicile. Parfois, ils n’arrivent pas à se projeter dans le virtuel, ou refusent ce mode de consommation. Les plus fatalistes ne montent pas leur rideau et ne se lancent pas dans la vente à emporter. Rencontres avec Charlotte, Elisa, Amélie, Nicole, Frédéric, Jean-François, Markus et Alex, dans les rues de Perpignan.
♦ La librairie Torcatis remercie la vague de soutiens
L’une des cogérantes de Torcatis, librairie du centre-ville de Perpignan, nous reçoit dans son rayon privilégié : la Bande Dessinée. « Lors du premier confinement, nous avons beaucoup fonctionné grâce aux ventes via notre site internet. Un site que nous avons depuis longtemps, et qui fonctionne bien. Nous communiquons aussi grâce à des newsletters, ou sur les réseaux sociaux« . Alors que la libraire avait accusé une baisse de chiffre d’affaires durant le premier confinement, pour celui-ci, Elisa se dit confiante.
« Nous avons des ouvrages qui boostent les ventes« . L’ultime opus de Riad Sattouf est une réelle locomotive pour la boutique. Alors qu’en temps normal, pour une dernière parution, Torcatis vend 10 exemplaires par semaine, « le Tome 5 de « L’Arabe du futur » s’est vendu à plus de 70 exemplaires en 5 jours« .
Pour ce reconfinement, Torcatis n’a mis aucun de ses salariés en chômage partiel ; malgré une baisse du chiffre d’affaires de 15%. « Nous avons juste adapté nos horaires ». La jeune cogérante tient à remercier les clients, les journalistes, les éditeurs, et tous ceux qui ont pris fait et cause pour les librairies. « Nos clients sont derrière nous et nous suivent ».
Élisa revient sur les enjeux financiers de la période de Noël qui approche à grands pas ; car la saison littéraire se cale souvent sur cette période de fin d’année. « Contrairement au printemps dernier, c’est un peu anxiogène. Est-ce que les gens descendront à Perpignan pour passer Noël en famille ? Viendront-ils acheter leurs cadeaux chez nous ? ». La libraire fait face à l’inconnu ; mais chez Torcatis, les libraires préparent déjà leur mise en place pour les fêtes.
♦ Le grand flou des réductions des tarifs postaux
Le gouvernement a annoncé sa volonté de réduire les tarifs postaux pour les libraires. L’enjeu ? Mis à part le soutien des commerces indépendants face aux géants de la toile ; Matignon tente d’apaiser la polémique liée aux fermetures de ces boutiques et des rayons livres en grandes surfaces. Le 2 novembre, Roselyne Bachelot, ministre de la culture, déclarait vouloir « diviser les tarifs postaux d’envoi des livres; au moins par 3 ou 4 ». Objectif affiché : rivaliser avec les tarifs postaux d’un centime affichés pour Amazon.
Mais pour Élisa; tout comme pour Jean-François, responsable de Bédé en Bulles, rue de la Cloche d’Or ; il s’agit d’un effet d’annonce. « Pour le moment, rien n’est prêt, rien de très concret sur ce point ». Jean-François a fait le test auprès de la poste. « J’ai demandé le tarif spécial pour les libraires auprès du guichetier et il m’a regardé avec des yeux ronds ».
Pour Jean-François, qui accuse une baisse de 80 à 90% de son chiffre d’affaires depuis le début du reconfinement, « nos clients ont envie d’être militants. Mais il faut leur faciliter les choses ».
À titre de comparaison, les envois postaux d’un livre s’élèvent à 5 ou 6 euros. Pour Élisa, il faudrait pérenniser ce soutien. Un peu à l’image des envois postaux vers les pays hors de France. « Envoyer un livre en Australie coûte moins cher que de l’envoyer à Quimper« . Il s’agit de l’offre « Livres et brochures » qui vise à « promouvoir la culture française dans le monde », précise le site de la Poste.
♦ La présence numérique contrainte et forcée ?
Jean-François est libraire depuis 23 ans, et sa vision est synonyme de proximité, au bénéfice du conseil. « Je n’ai jamais voulu développer le volet numérique » soupire-il. Pour autant, le chantier du moment chez ce quadra est de lancer un site pour s’ouvrir au monde du web. « Mais je n’en suis qu’aux balbutiements », concède-t-il. Pour le moment, ses clients commandent par mail, ou par téléphone, et viennent récupérer leur BD en mode « drive« .
Mais Jean-François « regrette un peu de ne pas avoir pris le virage numérique avant« . Il constate « la différence, entre ceux qui l’ont fait, et les autres. Même si ce mode de vente n’est pas forcément satisfaisant« .
Également installés rue la Cloche d’or, Nicole et Frédéric n’envisagent pas de se lancer sur internet. Outre le frein des compétences, ils assurent que « leur clientèle ne peut pas se passer d’un contact en boutique. Parfois, les gens ont besoin de venir plusieurs fois pour se décider sur l’achat d’un de nos produits ».
✒︎ Pour Markus, disquaire bien connu des adeptes des vinyles, la vente par correspondance est un réflexe depuis plus de 20 ans.
Le propriétaire de Cougouyou Music vend ses disques via la plateforme discorgs.com ; sans pour autant compenser la baisse de vente en magasin. Autre corde à sa guitare, Markus a créé un label comptant plus de 150 références. Effet inattendu du confinement, le disquaire de la rue de l’Ange nous évoque l’accroissement de l’audience sur les plateformes musicales de streaming : ses références se sont plus vendues. « 0,1 centime sur Deezer, plus 0,1 autre sur Spotify multiplié par mes références, ça peut aider. »
Néanmoins, Markus comme de nombreux commerçants craint la période de Noël sans clientèle. Le chiffre d’affaires lié au shopping de Noël et à l’animation du centre-ville lui permet de multiplier ses ventes par 2 ou 3 par rapport au reste de l’année. Quant aux réseaux sociaux, même si les réactions ne sont pas immédiatement concrétisées en ventes, cela permet de garder le contact avec les clients.
♦ Charlotte et Ragnar, la communauté de la jardinerie
Charlotte a créé sa jardinerie en centre-ville depuis trois ans. « Dès le début, j’ai construit la communauté de Cactus et Succulentes sur les réseaux sociaux« . Si vous êtes une victime addict de Facebook ou Instagram, impossible de passer à côté des plantes mises en lumière par la jeune femme.
La jeune entrepreneuse, toujours accompagnée de son chien Ragnar, tire pleinement le potentiel des réseaux sociaux. Une seconde vitrine, qui permet aux adeptes de cactus et autres plantes vertes, de recommander les mains vertes de Charlotte. Néanmoins, pas de vente en boutique ; les plantes se trouvent à l’extérieur, afin de ne pas contrevenir à la loi, et d’éviter d’éventuelles contaminations à l’intérieur des locaux. Vous pouvez donc y acheter votre bouquet, ou votre sapin, au pied de la porte.
♦ Le web entraîne pour certains un changement de métier
Pour Amélie, responsable de la Villa Duflot, la vente à emporter est un glissement : celui du métier de restaurateur vers celui de traiteur. « Les clients ne nous connaissent pas en tant que traiteur, et du coup, ne pensent pas forcément à nous et nos plats à emporter. Pourtant, Amélie et Antoine, Chef du restaurant, n’ont pas lésiné ; ils ont imaginé un menu digne du meilleur des gastros.
Pour la mise en place, la chef d’entreprise se confronte – comme nombre de ses confrères – aux écueils du numérique ; mais ne baisse pas les bras pour autant. Amélie déborde d’idées originales à l’image de sa « formule famille ». Du côté d’Antoine et des cuisines ? Des produits de qualité et un menu gustatif réfléchi en tenant compte de réchauffement nécessaire. Le restaurant la Villa Duflot a également intégré la plateforme « Les Livreurs » pour proposer un service de livraison à domicile en plus de celui à emporter.
Même si tous ces efforts ne compensent pas la perte d’activité, Amélie espère que cette présence numérique se répercutera sur les premiers jours du déconfinement. Car « quand nous avons eu l’autorisation de réouvrir le 2 juin, il a fallu une bonne quinzaine de jours pour que la clientèle revienne normalement. » Un déconfinement en décembre source d’espoir mais aussi de remise en question : « En cette période, où nous préparons habituellement les fêtes de fin d’année, difficile de se projeter. Dois-je préparer un repas de Noël ? Nos clients auront-ils envie de venir durant les fêtes ?« .
Autant d’inconnues pour la cheffe d’entreprise qui mise pour l’instant sur le succès de la vente à emporter.
♦ La vente à emporter, un dispositif vital pour Alex du restaurant La Droguerie
La vente à emporter, Alex, du restaurant italien La Droguerie au corner entre les rues des Augustins et de la Cloche d’Or, l’expérimente aussi depuis ce printemps. « C’est vital ; notamment pour ne rien jeter. La première semaine de ce reconfinement a été très bonne via les repas à emporter. J’ai pu faire une vingtaine d’assiettes par service. Mais ça s’essouffle. Aujourd’hui, j’en suis plutôt à cinq environ ; et c’est compliqué« .
Pourtant, lui aussi cultive sa communauté sur les réseaux sociaux, et déroule sa page Facebook aux 1000 followers. « C’est une aide à la visibilité. Les clients peuvent y retrouver les derniers menus et les dernières informations du restaurant. Habituellement, je ne mets pas autant à jour la page Facebook. J’aurais dû y mettre davantage d’énergie auparavant. Pour autant, est-ce que ça suffit ? ».
Alex, qui a dû mettre son employé en chômage partiel, estime ne pas atteindre actuellement 10% de son chiffre d’affaire habituel. Le jeune restaurateur italien se pose des questions. Est-ce que les centaines d’euros d’inscription aux services de livraison sont en adéquation avec le potentiel démographique de la ville ? Est-ce que ça vaut le coup de continuer l’activité en période de confinement ?
♦ Les dispositifs d’aide à la numérisation
- À l’image de la plateforme dédiée aux commerces alimentaires TousOccitariens.fr, la présidente de la Région Occitanie lancera le 12 novembre “Dans ma zone” ; un site dédié aux commerces de proximité et ceux produisant des produits 100 % Occitanie tels les jouets, vêtements, artisanat d’art…
- La Chambre de Commerce et d’Industrie des Pyrénées-Orientales a également mis en place un portail de géolocalisation Géo’Local66 ; référençant les professionnels proposant un service de vente en ligne ou un drive.
- L’État met en place un site qui compile des solutions, les aides en fonction de la demande et de la typologie des besoins et des commerçants. CliqueMonCommerce.Gouv.fr
- L’État propose également un chèque numérique de 500 € pour aider les entreprises fermées administrativement ; et leur permettre de s’équiper en solutions de vente à distance.
- Mis en place d’un soutien financier de 20.000 € par commune pour accompagner les collectivités locales dans la mise en place de solutions numériques pour les commerces de leurs villes.
- Les Chambres de commerces s’allient à des fédérations du commerce adhérentes du CdCF pour accompagner les commerçants indépendants dans l’accélération de leur transformation numérique et la mise en place de solutions immédiates.
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