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Yoanna Rubio et la déconstruction du stéréotype gitan

Où les Français vivent-ils le mieux et le moins bien en France ?

Article mis à jour le 9 juin 2023 à 15:46

« Ils engraissent leurs enfants pour les aides sociales » ; « ils cuisent leur poulet dans des pneus » ; « leurs gosses sont les rois » : les stéréotypes sur les gitans ont le vent en poupe. À tel point que, malheureusement, Yoanna Rubio en a fait un Glossaire des idées reçues sur les gitans : patriarche, clan, enfant-roi…* 

Nous avons rencontré l’auteure, métisse, et doctorante en anthropologie sociale et historique à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) . Au menu ? Son livre bien sûr, avant de parler des classes « gitanes » au collège, des traditions, de la place de la femme, des représentations.

Papa payou et maman gitane

Née d’un papa « payou** » et d’une maman gitane, Yoanna Rubio grandit avec sa famille maternelle ; « sans vivre avec eux, mais avec des relations très étroites. Dans la double culture« .

Les représentations extérieures sur les gitans l’ont poussée à travailler sur sa famille. « D’autant plus qu’il y a un racisme envers les gitans et vice-versa. Il est fort, marqué, et légitime. C’est quelque chose que j’ai vécu, je le vis encore, et ça m’a motivé. Travailler avec une partie de ma famille a été une manière d’entrer dans le vif du sujet. Mais parce que je suis moitié-moitié, comme on dit, j’ai le recul nécessaire pour garder une forme d’objectivité. Et non pas une vision sacralisée des groupes gitans ». 

« Ce racisme, je l’ai vécu dès les premiers pas à l’école.« 

Yoanna Rubio

Yoanna Rubio développe : « Je me suis posé des questions. Il y a eu une prise de conscience sur le fait que ce n’était pas quelque chose de génial : je parle de ces représentations négatives qui sont toujours là. Mon travail, aujourd’hui, n’est pas de faire changer les représentations ou quoi que ce soit. C’est simplement de montrer, et de prouver, que ces représentations sont présentes de part et d’autre. Je veux les expliquer, ainsi que leur usage ; aussi bien chez les gitans que chez les non gitans ».

Yoanna Rubio – Crédit photo Idhir Baha

De la pression du patronyme

Les patronymes tiennent une place prépondérante dans le savoir être gitan. L’anthropologue tient à l’expliquer et à l’illustrer. « L‘appartenance à un patronyme, à l’intérieur d’un même groupe, est hyper important. Un exemple simple, dans l’Aude, si on prend un groupe gitan : celui considéré comme moderne est celui qui va s’habiller à la mode, qui va avoir les derniers appareils électroménagers, qui va cuisiner ce qui passe à la télé ; à l’inverse, il y aura un patronyme qui sera considéré comme le plus ancien, et ça veut dire qu’il se rapproche des façons de faire et de dire des années soixante ».

Et de poursuivre : « Certaines façons de faire dites gitanes ont été empruntées aux non-gitans. Parfois, à peine modifiées, pour devenir des spécificités gitanes. Ce n’est pas une caractéristique gitane, mais une caractéristique tsigane ». 

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Du stéréotype du gitan perfusé aux aides sociales

Le gitan transfusé aux aides sociales qui ne travaille pas reste l’un des stéréotypes les plus persistants. Source de racisme et de malentendus, Yoanna Rubio explique : « Cette image négative est aussi bien pensée par le non-gitan, que cultivée par le gitan. Tu veux du stéréotype ? Tu en auras ! ».

Et l’anthropologue développe : « Il faut revoir la question du rapport au travail. On travaille pour avoir de l’argent et tout ce qui s’en détache est du travail. Pour les gitans, en général, le travail représente tout ce qui peut apporter quelque chose au groupe, au patrimoine, au patronyme : faire le ménage dans sa maison, c’est du travail. Pour certains patronymes, pour la femme, le travail, c’est pallier le manque ou le défaut de celui de l’homme. C’est aller travailler pour aider l’homme. Il ne faut pas négliger la question de la débrouille. Le minima social, c’est de la débrouille, bien sûr. Je suis français, j’ai le droit aux aides sociales ; et bien, ma foi, je ne vais pas me gêner. Les gitans sont parfaitement au courant de ça, et les femmes, en particulier, savent en jouer. Je parle aussi bien des représentations ». 

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De la drague politique pour le vote gitan

Le vote gitan est convoité à chaque élection municipale. Secret de polichinelle, le candidat qui ne drague pas ce vote se tire une balle dans le pied. Interrogée sur son point de vue, et sur cette danse rituelle, la métisse partage : « Il y a de plus en plus de gitans qui votent FN. Notamment là où je travaille. Le premier argument que j’entends c’est le fait d’être français ; et donc d’avoir les mêmes droits que tout le monde.« 

« C’est aussi en opposition avec les Arabes. Le discours reste cliché : ils viennent prendre le travail. Cette population qui vote FN s’en vante. Il y a même parfois des propos négationnistes ; alors qu’il y a eu pourtant des déportations dans la famille. »

« Mais on revient encore au patronyme, ses caractéristiques, et la façon dont il se désigne : les dits modernes auront tendance à voter à droite et à l’extrême droite ; les plus anciens, ce sera à gauche. On pourrait penser le contraire« . Interrogée si ce jeu politique cultivait les stéréotypes gitans, et amplifiait la fracture gitans et non-gitans, Yoanna Rubio relativise : « Ce système est fait avec tous les groupes. Ce n’est pas typiquement gitan. C’est quelque chose qui est fait par tous, et avec tout le monde. Malheureusement, souvent, quand on voit un gitan impliqué dans la politique via ce genre de situation, c’est toujours parce que cela est intéressant d’avoir un gitan sous la main ». 

Municipales 2020 – Altercation entre Lino Gimenez dit Nounours et le candidat Olivier Amiel

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Quid de ces classes gitanes dans les collèges ?

Nombre de collèges du sud de la France disposent de classes dites « gitanes ». Ceux du centre-ville perpignanais ne sont pas dispensés.

« Ces classes ne sont pas l’idéal. Il faut s’attarder sur la question du rapport au savoir et à l’école. Car dans ces classes gitanes, il n’y a pas que des petits, ou des petites, qui ne savent pas lire. Il y en a aussi qui ont 18 de moyenne. Mais ces derniers veulent aller dans un collège précis, simplement pour suivre les cousins et les cousines, par exemple.« 

« Finalement, il n’y a pas de notion de réussite scolaire, et donc pas de notion d’échec scolaire. Le rapport au savoir est différent d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Je pense que c’est un problème de l’école de la République qui veut tendre la main à ces pauvres petits gitans. Ce n’est pas le même rapport. Il faudrait donc arrêter ces classes adaptées, aux thèmes adaptés. Je voyais mes cousines passant des journées à noircir leur cahier d’écriture, mais une fois sur les bancs de l’école, elle n’aime plus écrire : leur enseignant de français leur demandait des rédactions sur le voyage ; ou alors, il leur projetait une image de caravane au bord de l’eau, avec 3 chevaux ».

// Lire aussi notre article : Perpignan | Le collège Jean Moulin à l’heure de la lutte des classes… adaptées

La femme gitane : garante des traditions qui évoluent

Pour Yoanna Rubio, la femme est le pilier, la garante, de traditions gitanes qui se réinventent sans cesse. « Quand on est extérieur au groupe gitan nous avons une fausse idée de la place de la femme gitane . Ce sont les jeunes femmes de 14 à 20 ans, c’est-à-dire jusqu’au moment du mariage, qui font aujourd’hui les traditions : avec les nouvelles façons de se marier par exemple.« 

« Encore une fois, soit ce sont des choses empruntées à la société environnante et réadaptées à la manière gitane ; soit ce sont des traditions remises au goût du jour. On reprend ces coutumes oubliées, mais on va les transformer, les associer à la modernité et en faire de nouvelles traditions gitanes. Tout ça, c’est l’effet des femmes et des jeunes femmes. Elles réinventent sans cesse. D’où la complication du travail de terrain, d’anthropologue, à ce sujet. Ces traditions changent tellement rapidement qu’un moment donné, on est perdu ; et il va falloir se contenter d’une photographie de cet instant, tout en sachant que ça va évoluer« .

25/04/2020, Perpignan, France, l’atelier de confection Père Pigne prône l’économie sociale solidaire et emploie des nombreuses femmes issues de la communauté gitane © Arnaud Le Vu / MiP

Bientôt la « Gitane du futur » dans les librairies ?

La discussion touche à sa fin après quelques questions sur l’évolution de la mixité des couples payou-gitan. « Cette mixité a toujours existé et j’en suis la représentation. Je ne vois pas forcément d’augmentation. Par contre, ce que j’ai pu observer, c’est le développement des mariages gitan-arabe. Ils ont notamment participé à la mise en place de nouvelles normes, de par l’impossibilité de se marier à l’église, par exemple. »

« Les filles ont réinventé le mariage, pour pouvoir justement se marier, avec des personnes qui n’ont pas la même religion. Bien sûr, un discours super raciste s’en suit avec des actions assez violentes venant de la famille. Mais sinon, en général, c’est très bien accepté et ces enfants grandissent avec une double culture« .

Après Glossaire des idées reçues sur les gitans, à quand la publication du recueil La gitane du futur ? « Ce n’est pas prévu, mais ce serait une bonne idée ! Je veux d’abord publier ma thèse ».

*Glossaire des idées reçues sur les gitans, de Yoanna Rubio, aux éditions Trabucaire.
** Un payou désigne une personne n’appartenant pas à la communauté gitane.

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Idhir Baha