Article mis à jour le 19 janvier 2022 à 12:08
Plusieurs enseignements ressortent de ce premier tour de scrutin destiné à élire les conseillers départementaux des Pyrénées-Orientales. Une abstention record ; un vote extrême droite qui stagne – voire recule – malgré l’élection de Louis Aliot à la mairie de Perpignan ; une droite maladroite et une gauche qui résiste malgré les nombreuses critiques.
Ci-dessous, notre analyse du vote, puis celle de la contreperformance du vote RN par le chercheur spécialisé dans le domaine des extrêmes droites Nicolas Lebourg, et, pour conclure, une tentative de projection pour le second tour sans oublier les réactions des candidats à cette élection. Une élection qui pourrait fort bien ne pas connaître d’issue certaine au soir du 27 juin. En effet, à la faveur de la répartition des cantons, tout pourrait se jouer au moment de l’installation du Conseil Départemental et l’élection par les conseillers élus de leur président(e). Retrouvez l’ensemble des résultats officiels sur le site du Ministère de l’intérieur.
♦ Abstention record – Seulement 1/3 des inscrits s’est déplacé
Le premier, et peut-être le plus alarmant des enseignements, est celui du record d’abstentionnistes. Près de 65% des inscrits – contre 44% en 2015 – ne se sont pas déplacés en ce dimanche orageux du 20 juin. Cette désaffection pour la chose publique n’est pas nouvelle ; mais elle atteint ici son paroxysme.
Aucun parti – de la gauche à la droite, en passant par l’extrême gauche, l’extrême droite ou les écologistes – ne parvient à mobiliser derrière ses candidats ou ses idées. La campagne, certes atypique pour cause de Covid, n’a pas aidé ; mais des meetings géants auraient-ils changé la donne ? Rien n’est moins sûr. Les idées reçues qui valaient pour les précédents scrutins, telles que l’abstention qui bénéficie au Front National devenu Rassemblement National, ne marchent plus pour ce scrutin. À tel point que sur les plateaux de télévision, se sont succédés les caciques du RN pour houspiller leurs électeurs. Certains candidats leur intimant l’ordre de se « bouger » ; quand la présidente du mouvement apparaissait fort en colère. Selon un sondage Ifop, 71% des électeurs de Marine Le Pen de 2017 ne se sont pas déplacés pour aller voter.
Tous s’accordent pour dire que cette désaffection des électeurs est un danger pour la démocratie. Mais plusieurs visions s’affrontent pour tenter de ramener les électeurs aux urnes, à moyen et long terme. Louis Aliot serait favorable à un vote obligatoire ; quand la gauche tente plutôt le chemin (plus long) de la démocratie participative, via la multiplication des consultations citoyennes.
En attendant, tous appellent au sursaut de participation pour le 27 juin prochain. Mais les électeurs qui n’ont pas choisi au premier tour se déplaceront-ils pour voter contre les candidats qu’ils ne veulent pas voir arriver en tête ? Auront-ils déjà la tête dans les vacances d’été ? Réponse le 27 juin à partir de 20 heures.
♦ La contreperformance du RN analysée par Nicolas Lebourg
Pour l’historien, « il n’est pas impossible que la stratégie des «prises de guerre» et de la périphérisation du parti ait contribué aux mauvais scores. Les candidats issus d’autres partis ont fait moins bien en 2021 que les candidats parfaitement établis comme FN en 2015″.
Selon Nicolas Lebourg, la surmobilisation de l’électorat frontiste est aussi liée à la possibilité de victoire. Ainsi en 2015, la possible victoire au second tour des régionales avait dopé la participation. Au contraire, note Nicolas Lebourg, quand le RN n’a pas ou peu de chance de victoire ses électeurs se démobilisent. « Ce rapport très spécifique à la mobilisation électorale aide à comprendre les difficultés d’implantation du RN. L’an dernier, (le RN) n’a eu d’élus que dans moins de 0,8% des communes ».
Une problématique aussi de gestion des élus ? « Cette difficulté à s’insérer dans les territoires est d’autant plus forte que le management du parti est toujours resté extrêmement déficient : sur les 257 conseillers régionaux RN élus en 2015, 101 ont claqué la porte avant le scrutin de ce week-end, de même qu’un tiers des conseillers municipaux lepénistes élus en 2014 avait déjà démissionné en 2017. Cette hémorragie a un effet très pratique ; là où des élus sortants servent à normaliser le parti et à fidéliser des électeurs […] le RN, par son refus constant dans son histoire d’adopter un management raisonnable de ses élus locaux au profit de la toute puissance de sa direction nationale, lâche dans la nature électorale des dizaines de personnes amères qui n’en feront pas la publicité, pour le moins ».
♦ L’effet Aliot fait pschitt sur les 6 cantons perpignanais
Durant la campagne des municipales, depuis sa permanence du centre-ville, le candidat Louis Aliot déclarait vouloir faire de Perpignan « la place forte de la reconquête« . Il semble avoir perdu son pari. En effet, non seulement le département – compte tenu des forces en présence – ne tombera pas dans l’escarcelle du RN, mais le parti sort affaiblit de cette élection : les binômes RN ne seront présents que sur 14 des 17 cantons, contre 16 en 2015.
• Canton 6 : Perpignan I, Le Vernet
Le binôme de la droite Benoit Castanedo et Annabelle Brunet – dont cette dernière est sortante – part avec un handicap certain face au binôme Rassemblement National (21% contre 43%). Ce dernier obtient le double de voix. Comment avait voté ce canton en 2015, sous l’ère de l’ancien maire Jean-Marc Pujol ? À l’époque déjà, l’ancienne maire de quartier avait 1.000 voix de moins que le binôme RN (38% contre 24%). Et pourtant, ce binôme de droite avait réussi à mobiliser contre le Front National, en multipliant son score par 2,2. Les électeurs de gauche accepteront-ils de jouer le front républicain ? Ou choisiront-ils de faire encore plus gonfler le chiffre déjà énorme de l’abstention ? Ils sont 73% vernetois à avoir boudé les urnes. En 2015, ils n’étaient que 52% à l’issue du 1er tour.
• Canton 7 : Perpignan II, Bompas, Ste-Marie-la-Mer, Villelongue-de-la-Salanque
Dans ce canton, le combat des chefs attendus se confirme entre le sénateur Jean Sol, chef de file de la droite et du centre, et Alain Cavalière, binôme RN. Le premier passe le premier tour en tête de peu avec 36,47% des voix ; seulement 100 bulletins de plus que son challenger. Alain Cavalière et Katia Lucas ont obtenu 35,18% des suffrages. En 2015, le binôme RN arrivait largement en tête avec plus de 5 points d’avance sur le binôme UMP, devenu Les Républicains. Malgré cette avance confortable, le front républicain avait joué à plein, permettant au binôme de la droite de l’emporter avec près de 12 points d’avance.
• Canton 8 : Perpignan III, Cabestany
Dans ce canton très à gauche, c’est le binôme RN qui sort en tête de seulement 42 bulletins devant le binôme sortant. Outre l’abstention, les réserves de voix sont chez les votants du binôme LR et ceux de la gauche. Les électeurs de la très communiste ville de Cabestany vont-ils se surmobiliser pour faire barrage au RN ? En 2015, le binôme sortant de gauche l’avait emporté face au RN de plus de 17 points. Le binôme de la droite et du centre renvoyant dos à dos « l’immobilisme », « le clientélisme » et « l’incompétences » de la gauche et du RN de Louis Aliot.
• Canton 9 : Perpignan IV, Moulin-à-vent
Ce canton est le seul des 17 qui compte un candidat En Marche. En 2015, le binôme sortant composé de Romain Grau et Isabelle De Noell de Marchesan fut élu, déjà face au RN, sous la bannière de la droite. Dimanche 20 juin, le binôme Jacques Bartoli et Huguette Diés arrive largement en tête avec 12 points d’avance. Particularité, la part féminine de ce binôme figurait sur la liste de Romain Grau, candidat En Marche aux municipales 2020. Depuis elle a choisi de rejoindre le RN. Quoi qu’il en soit, le retard du binôme Grau/De Noell de 2021, est certes plus important qu’en 2015 (12 points contre 8 à l’époque), mais pas insurmontable. En 2015, Romain Grau et Isabelle De Noell étaient sortis vainqueur à 56% contre 43%.
• Canton 10 : Perpignan V, Canohès
Ce canton serait le plus susceptible de tomber dans l’escarcelle du RN. Le second tour verra le binôme RN (36 % des voix) affronter le binôme de gauche (26,88% des voix). Spécificité de ces résultats, le binôme arrivé en 3e est éliminé d’une seule petite voix (1052 voix contre 1053). En 2015, le duel du second tour se jouait déjà entre la gauche et le RN. Sauf qu’en 2021, le vainqueur du RN de 2015 (Jean-Louis Chambon) a choisi de changer d’écurie ; se faisant au passage éliminer sous les couleurs de la droite.
Le rapport de force dans ce canton semble favorable au binôme RN face à celui investi par la gauche. Et pourtant, il pourrait subir une annulation du scrutin du fait de l’inéligibilité d’un des candidats RN. En effet, selon l’article du code électoral L195 alinéa 17, “Ne peuvent être élus membres du conseil départemental […] Les directeurs et chefs de service régionaux des administrations civiles de l’État dans les départements où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins d’un an”. L’article ci-dessus ne pourrait lui être opposable si monsieur Dionet avait “été admis à faire valoir [ses] droits à la retraite”. Or, Jean-Marie Dionet apparaît encore à ce jour dans l’annuaire du service public avec le titre de Directeur Régional et le décret paru au journal officiel du 5 mai 2021 indique que son homologue n’entrera en fonction que le 1er juillet 2021.
• Canton 11 : Perpignan VI, Toulouges
Le RN arrive en tête avec 30,15 % des voix, talonné par le binôme de la gauche Toussainte Calabrèse et Jean Roque. En tête du scrutin, Quentin Moulard nous partageait la mission de séduire la partie toulougienne du canton. Malgré « un accueil loin d’être hostile », le candidat se montrait néanmoins déçu de ne pas être élu dès le premier tour. Il calculait déjà le potentiel front républicain contre lui. Et se disait satisfait de sa campagne et de son résultat.
En 2015, c’est la gauche qui sortait du 1er tour en tête avec un peu moins de 5 points d’avance. Au final, le canton restait à gauche avec la victoire sur le binôme RN avec 13 points d’avance.
♦ Canton 15, l’Agly, Foxonet pourrait perdre son pari du ralliement au RN
Même si sur le papier l’écart entre le binôme sortant de gauche et le binôme investi par le RN semble faible (58 voix), la réserve de voix est en faveur de la gauche. Charles Chivilo et Lola Beuze ont 2768 suffrages (37%) contre 2710 pour Gilles Foxonet et son binôme (36,86%). En 2015, la triangulaire (Gauche, droite, RN) avait permis au binôme de la gauche de l’emporter avec 36,95% des voix.
♦ La gauche présente sur 11 cantons, et en tête sur 8
La gauche est qualifiée au second tour sur les cantons : des Aspres, le Canigou, la Côte Salanquaise, Perpignan III Cabestany, Perpignan V Canohés, Perpignan VI Toulouges, la Plaine de l’Illibéris, les Pyrénées Catalanes, l’Agly, la Vallée de la Têt et les Albères-Vallespir. Et en tête sur 8 de ces 11 cantons.
♦ La droite et le centre présents sur 9 cantons, en tête sur seulement 4 cantons
Si l’on considère que le binôme En Marche sur le canton 9, (à l’origine à droite), et celui de la côte Vermeille (Canton 5), plus proche de la droite et du centre que de la gauche pourraient faire partie de l’attelage de Jean Sol, le groupe porté par ce dernier est présent sur 9 cantons. Les binômes de la droite et du centre sont présents sur le Canton 3 (côte sableuse), la côte Vermeille (canton 5), le canton 6, Perpignan I, Le Vernet, Perpignan II, Bompas (canton 7), le canton 14, celui du Ribéral, et enfin le canton 16, celui de la vallée de la Têt.
Si Le Rassemblement National remportait 2 cantons (le 6 et le 9 ou le 10 et le 11), il pourrait jouer les arbitres lors du 3e tour de scrutin. Celui qui voit les conseillers départementaux élire le président du département.
♦ Réactions des candidats
Hermeline Malherbe, présidente sortante lançait un appel dès le soir du 1er tour. « Un appel à tous les électeurs de gauche, écologistes, progressistes, attachés à notre territoire, au Pays catalan ». Selon Hermeline Malherbe, sa majorité est « la plus à même de défendre l’identité et la mise en valeur de notre culture« . Mais aussi de « porter la solidarité, la transition écologique et la citoyenneté ».
Le sénateur Jean Sol appelle quant à lui : « tous les électeurs qui partagent nos convictions et à tous nos candidats d’aller les rejoindre sur le terrain pour transformer l’essai dimanche ». Pour Jean Sol, l’abstention « prouve qu’il nous reste beaucoup de travail à faire pour faire revenir les citoyens aux urnes et leur prouver que leurs voix comptent plus que jamais ».
« Le Pays Catalan, c’est nous » déclarait : « Le patriotisme local que nous défendons, basé sur la promotion économique et touristique d’un territoire identitaire, a séduit une proportion d’électeurs jamais acquise par un mouvement régionaliste dans notre département« . La formation régionaliste recueille selon les cantons entre 3,53, et 8,58% des suffrages.
Pour Louis Aliot, la contreperformance est liée à l’abstention, et de tenter de mobiliser son électorat pour le 2nd tour. Il répétait au micro d’Yves Calvi les propos tenus aux électeurs. « Si vous ne votez pas comment voulez-vous que ça change. Certains ont dû se dire que ces élections ne changeraient rien. Et que le gros enjeu était celui de la présidentielle ». Mais pourquoi ont-ils eu cette impression ? Peut-être les électeurs ont écouté le discours de nombreux parti, dont le RN, qui faisaient de ces élections locales un enjeu national, et surtout un préambule aux élections de 2022.
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