Article mis à jour le 14 avril 2021 à 13:46
Mohammed Chirani*, auteur, essayiste et consultant en prévention de la radicalisation religieuse a tenu une conférence à l’invitation de l’association Méditerranée Plurielle. Ce samedi 18 janvier à Perpignan, une soixantaine de personnes est venue débattre avec le spécialiste de l’islam radical. Depuis l’attentat du mois d’octobre 2019 à la préfecture de police de Paris, Emmanuel Macron et le gouvernement s’interrogent sur la meilleure stratégie pour lutter contre la radicalisation. Pour Sébastien Lecornu et Stanislas Guerini**, « à l’approche des municipales, il faut empêcher la menace de prospérer ».
♦ Des signes avant-coureurs propices à la radicalisation dès 2013
Entre 2009 et 2013, durant sa mission auprès du préfet pour les quartiers sensibles, Mohammed Chirani avait pris conscience que « le vivre ensemble était menacé ». Il avait choisi de coucher ses réflexions dans un ouvrage paru en 2014 : « Réconciliation française, notre défi du vivre ensemble ».
« À la veille des attentats de Charlie Hebdo, je disais à mes amis que ça allait tirer à coups de kalachnikov à Paris ». Mohammed Chirani se défend d’être un devin. Ce sont des éléments constatés sur le terrain dans les quartiers sensibles qui l’ont alerté.
L’essayiste s’interroge alors sur ces personnes qui peuvent dire Allahu akbar et tuer au nom de Dieu. C’est d’ailleurs à cette période que Mohammed Chirani s’est intéressé plus particulièrement au discours salafo-djihadiste. À ce qu’il porte en lui, et à la réponse à lui apporter.
« J’étais dans des quartiers où le taux de chômage est de 25%, 50% pour les jeunes. Des jeunes exclus de tous les dispositifs d’insertion professionnelle. Des problématiques de drogue, de squats d’immeuble, de délinquance… Et surtout ce qui m’inquiétait, c’était de voir des gens tenant des propos de rupture très inquiétants ».
♦ Radicalisation de l’islam ou islamisation de la radicalité ?
Mohammed Chirani a expliqué les deux notions. La première qui voit naître dans un quartier une atmosphère, des pratiques de plus en plus rigoristes, de moins en moins de cafés mixtes, de plus en plus de boucheries halal ou d’habillements religieux… Dans la seconde hypothèse, il s’agit de gens radicaux, qui sont déjà en rupture avec la société et qui utilisent l’islam pour justifier leur radicalité. Après avoir rencontré pas moins de 300 personnes radicalisées, le chercheur est catégorique. Les deux notions sont nécessaires pour qu’un individu se radicalise. Si l’idéologie salafo-djihadiste est présente, elle ne peut prospère que sur des territoires où la République a failli et notamment en termes d’intégration.
L’essayiste et consultant a aussi été frappé par la problématique de l’absence de père très fréquente parmi les personnes qu’il a rencontrées. « Ce sont des jeunes sans cadre qui vont aller pratiquer le courant le plus rigoriste qui est le salafisme. Un courant qui règle toute leur vie. Du lever jusqu’au coucher, il faut faire comme ci, il faut faire comme ça. On passe de l’absence de cadre à un cadre totalement rigide« .
Selon Mohammed Chirani, les délinquants fanatisés ont aussi cette capacité à tout halaliser. Ils rendent licite ce qui est interdit par la loi ou la religion. « Ils halalisent le vol à travers le butin de guerre des mécréants. Mais le pire, c’est qu’ils halalisent le fait de tuer et de se faire tuer. J’ai rencontré des personnes qui voulaient mourir en martyr, mais en fait, ils voulaient se suicider. Je ne peux pas me suicider parce que c’est interdit. Mais je peux trouver une sortie honorable en me faisant tuer, en portant une fausse ceinture d’explosif ».
♦ Le salafo-djihadisme a besoin d’un terreau spécifique pour germer
Cette radicalité est la plus violente, mais, elle ne peut pas s’expliquer par le seul fait religieux. « C’est une combinaison de facteurs. Si vous prenez le salafo-djihadiste et vous essayez de l’implanter dans le XVIème arrondissement de Paris, ça ne va pas marcher ! ». Pour Mohammed Chirani, le salafo-djihadiste a besoin d’un terreau. Il explique aussi le choix de Raqqa comme capitale de Daech. « Parce que c’était la ville la plus pauvre de Syrie, avec un taux de fécondité de 7 à 8 enfants par femmes. Raqqa était la ville la plus jeune, et elle faisait partie des territoires les moins développés économiquement ».
Pour l’écrivain et spécialiste de la radicalité, chacun peut œuvrer pour le vivre ensemble. Il a conclu son intervention en citant Martin Luther King : « Si on n’apprend pas à vivre comme des frères, on mourra tous comme des imbéciles ». Laissant ensuite place au débat avec la salle.
♦ « L’islam de France ne peut se réformer seul ! »
Louis Aliot, député Rassemblement National et candidat favori des sondages à la mairie de Perpignan était présent. Il a pris la parole en fin de débat. « Vos propos m’ont beaucoup inquiété. Nous connaissons tous des musulmans qui ne demandent rien à personne. Mais moi, je n’ai pas le temps de m’intéresser à la théologie, en revanche, je m’intéresse à la France. Et elle a un livre qui s’appelle la Constitution française, et des lois. Les habitants de France peuvent être de toutes les confessions pour peu qu’ils respectent ces lois. Mais si l’idéologie présente sur notre sol conteste le livre qui doit organiser le vivre ensemble, là ça pose un sérieux problème ! »
« Quand vous dites que la République a échoué, je crois qu’elle a intérêt à se ressaisir, et d’une manière énergique. Non pas en enfermant tous le monde dans la même concept, mais au moins en interdisant ces écoles de pensée et les financements qui viennent l’alimenter. Moi, j’aimerais qu’on m’explique pourquoi ce n’est pas fait. Aujourd’hui, nous sommes dans une course contre la montre. Et l’affrontement peut arriver plus vite que notre capacité à convaincre les gens à se parler ! Moi, je vous demande comment devons-nous faire ? ».
Mohammed Chirani a pris le temps de répondre au député rappelant le titre de son livre était « Islam de France, la République en échec » (éditions Fayard). « Cet échec est multifactoriel. Néanmoins, j’ai dit aux responsables gouvernementaux que l’Islam de France ne pouvait pas se reformer seul. Et qu’il y avait un enjeu énorme lié au pouvoir de l’argent. En face de nous, il y a l’Arabie saoudite, le Maroc, l’Algérie, la Turquie, et il faudrait créer des associations ! Mais avec quoi, comment ? Nous, on sait, comment faire. Mais il faut qu’il y ait une volonté politique, que quelqu’un tape sur la table ! ».
♦ Méditerranée Plurielle, organisatrice de la conférence-débat
La présidente de l’association, Samia Selmani, a rappelé le prochain rendez-vous de Méditerranée Plurielle. Le 22 février se tiendra à Perpignan une conférence autour du thème de la gestion de la radicalisation religieuse en Catalogne durant les 10 dernières années.
Le magazine en ligne Méditerranée-Plurielle.com est un espace d’échange et de dialogue entre les 22 pays de la Méditerranée autour de la culture, de la société, de la politique et de la gastronomie.
*Mohammed Chirani est ancien délégué du préfet pour les quartiers sensibles de la Seine-Saint-Denis. Il a également participé aux travaux du réseau européen de déradicalisation RAN (Radicalisation Awareness Network). Il est l’auteur de Réconciliation française « notre défi du vivre ensemble » (2014) et Islam de France (2017).
**Respectivement, ministre chargé des collectivités territoriales et délégué général de La République En Marche
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