Article mis à jour le 26 janvier 2021 à 01:19
Au centre de la discussion que l’on vous présente en quatre épisodes ? Laïcité, communautarisme, autorités religieuses, inaction de l’État, ghettoïsation, crise et interprétations de l’Islam. Place au dernier volet de ce format magazine.
Pour ce faire, une parole unique est donnée : celle de la Perpignanaise Samia Selmani. Cette docteur, en littérature et civilisation comparée, était consultante du Fait religieux auprès du Ministère de la justice. Élue en janvier dernier, et ce pour un mandat de deux ans, elle a été intronisée en octobre présidente de l’Amitié Inter-Religieuse du Roussillon (AIR66). Samia Selmani est également la créatrice du magazine interdisciplinaire Méditerranée-Plurielle.
Musulmane de confession, première femme de France à occuper son poste actuel, elle ne se fait pas attendre pour invectiver et commenter certaines pratiques de l’Islam dans l’Hexagone. De même à l’égard des gouvernements successifs.
♦ De la crise identitaire de l’Islam du 21e siècle
L’échange avec Samia Selmani, arrivant à sa fin, débouche sur des questionnements. Dans le viseur ? Les interprétations et pratiques de la religion du prophète Muhammad.
« Au fil du temps, et c’est le cas pour toutes les religions monothéistes, nous nous sommes éloignés du message de l’Islam du 7e siècle« , rapporte Samia Selmani. Les invasions et guerres de religion ?
La native d’Oran nuance : « Nous avons fabriqué une religion, où se mêlent 80% de politiques, d’us et coutumes, et 20% de religieux ! Les musulmans du 21e siècle sont en crise dans leur façon de pratiquer notre religion. Il y a un écart entre ce qui est écrit et la pratique. Mais, il en est de même pour la religion catholique. Sauf que cette dernière est davantage structurée : il y a des synodes et un Pape. Et cela cadre les pratiques, mais aussi les réflexions« .
Samia Selmani s’appuie des récentes prises de position du chef de l’Église Catholique. « Dans la population musulmane, personne ne peut trancher sur des sujets de société avec autant d’aura et de crédibilité que le Pape. Comme sur de possibles adaptations face à la société qui évolue« .
♦ L’interprétation : une problématique temporelle ?
La présidente de l’AIR 66 ne se reconnaît plus dans cet Islam du 21e siècle. Son Islam, à elle, passe notamment par une meilleure condition de la femme.
« La première imame dans l’histoire a été nommée par le Prophète lui-même ! Aujourd’hui, Kahina Bahloul, qui est imame à Paris, rame encore la pauvre. Donc il y a un décalage, et malheureusement, on n’avance plus. Je me reconnais davantage dans ma religion du 7e siècle, qui me dit que je suis l’égale de l’homme, que dans cet Islam actuel ; dans lequel certaines pratiques priment plus que le spirituel« .
Les schismes façonnent les religions. Les hommes, les écoles de pensées. Samia Selmani martèle que sa religion, et sa pratique, sont de l’ordre du spirituel. « L’islam ne se transmet, malheureusement plus par la connaissance, mais par l’héritage des pratiques. Certains font la prière juste parce qu’ils ont vu leur père la faire ».
♦ La femme musulmane : une problématique d’hommes ?
Figure hypermédiatisée, parfois mal comprise : la femme musulmane, en France, se retrouve souvent au centre des débats politiques. Intentionnellement ou non, le foulard intégral, la burka ou le jilbab, ont fait couler de l’encre ces dernières décennies.
Mais certains musulmans dénoncent une acculturation de la mode religieuse, et radicale, venue du Moyen-Orient. Et paradoxalement, des protagonistes féminines de la religion, déjouent des idées préconçues de la femme musulmane. Khadija bint Khuwaylid peut incarner ce contraste ; elle fut la première femme du prophète Muhammad, considérée comme « mère des croyants ». Des écrits rapportent qu’elle avait sous ses ordres des hommes pour s’occuper de ses commerces. L’occasion de rencontrer Muhammad, son cadet de quinze ans. D’autres récits évoquent même le fait que Khadija bint Khuwaylid avait épousé deux hommes avant de se marier avec le natif de La Mecque, Muhammad.
Samia Selmani n’en reste pas de marbre : « C’est quand même un combat, malheureusement, dans toutes les religions : les femmes ont tendance à y être stigmatisées. On ne voit pas encore de femmes prêtres. Mais encore une fois : il y a la religion des Hommes, et la religion de Dieu. La première enchaîne, l’autre, libère« .
♦ « Si on faisait la dichotomie, on y verrait mieux »
Et de poursuivre : « Quand je lis ce qu’il y a dans les textes saints, rien ne me dit que je suis inférieure, en tant que femme. Bien au contraire, je suis bien l’égale de l’homme. Le mot femme, dans le Coran, est utilisé 24 fois. Le mot homme exactement autant. Dans ma dernière publication, Initiation à l’Islam*, j’ai consacré le dernier chapitre à la moralité. J’y cite, par exemple, tous les versets coraniques qui parlent de la femme dans le Livre. Et là, quand tu lis, tu comprends bien qu’il y a un problème : c’est sublime, mais la réalité est toute autre ! «
Et au sujet du foulard ? : « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi se couvrir la tête serait-il un acte de soumission ? Par contre, si cela est imposé par mon père, mon mari ou mon frère, oui c’est bien une soumission. On parle de la religion des hommes. Mais le foulard est un choix à partir du moment où ce choix est fait en liberté. On parle de la religion de Dieu et lui nous a donné le choix d’adhérer, ou non. Alors si Lui ne l’a pas fait, pourquoi les hommes me forceraient-ils à croire, ou à pratiquer ? Si on faisait bien cette dichotomie, on y verrait plus clair ».
Et la présidente de l’AIR 66 de conclure par un questionnement : « Qu’est-ce qui est de l’ordre du spirituel, et qu’est ce qui est de l’ordre de l’être humain ? Qu’est ce qui est de l’ordre de l’instrumentalisation ou de la régulation ?«
* Initiation à l’Islam de Samia Selmani, éditions Benmerabet, 2017.
// Notre dossier spécial Islam en France :
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