Article mis à jour le 19 janvier 2023 à 17:32
Le ministre Gabriel Attal était en déplacement ce 5 décembre au Boulou et à la frontière franco-espagnole. Hauts points de passage de la contrebande, il a divulgué un nouveau plan d’actions contre le trafic illégal de tabac. Un « fléau » qui symbolise aussi bien une perte fiscale pour l’État que les difficultés populaires liées au pouvoir d’achat.
À Perpignan, le 31 octobre 2022, la Police nationale faisait part d’une impressionnante saisie dans la voiture d’un individu suspecté : 351 cartouches de cigarettes, et 63 paquets de tabac, provenant d’Andorre, et destinés au commerce illégal. Une mainmise de taille mais qui ne se fait plus rare.
Une augmentation de presque 400 tonnes en cinq ans
Le ministre des comptes publics chargé des douanes, Gabriel Attal, dans une interview donnée au Journal du Dimanche, étayait cette évolution rapide avec les chiffres des saisies nationales et annuelles :
– 238 tonnes en 2017
– 285 tonnes en 2020
– 402 tonnes en 2021
– 600 tonnes en novembre 2022
Il développe dans son interview : « Cette criminalité représente, en outre, une perte fiscale de 2,5 à 3 milliards d’euros pour l’État. Elle pénalise aussi lourdement les buralistes (…). Je veux donc frapper fort ».
Manuel est gérant du bureau de tabac-presse Le Place R’ep à Perpignan. Interrogé sur la question, face à cette concurrence déloyale, et sans grande surprise, il concède le manque à gagner pour son commerce de proximité. « Le trafic illégal joue beaucoup sur nos chiffres puisqu’on peut s’y approvisionner quand on veut. Ici, tout le monde s’y met. Avec les frontières si proches, c’est tellement facile et lucratif. Et c’est moins risqué que le trafic de drogues ».
Autre facteur risque de ces ventes illégales : la possibilité pour les mineurs de se fournir facilement en cigarettes.
Une surveillance et des moyens accrus sur plusieurs plans
« Pour saisir plus, la coopération européenne et internationale est primordiale. Aux frontières, il faut aller plus loin, avec la mise en place d’équipes communes d’enquête ».
Gabriel Attal, ministre des comptes publics chargé des douanes.
Gabriel Attal veut donc s’y attaquer. Il met au même niveau le trafic de tabac et celui des stupéfiants.
Le ministre promet la création de trois cents postes de douaniers, en plus, et d’ici 2025. Quarante-cinq millions d’euros doivent être débloqués pour le déploiement d’une dizaine de scanners mobiles à rayons x supplémentaires.
Il prévoit également, dès 2023, et sur le plan de la proximité cette fois, la formation et le déploiement d’équipes spécialisées dans le démantèlement de réseaux de vendeurs à la sauvette, dans plusieurs villes de France, dont Perpignan. Sur le plan pénal, Gabriel Attal assure être en réflexion avec Éric Dupond-Moretti, le ministre de la justice, pour hausser les sanctions. Celles-ci devraient passer de trois à cinq ans d’emprisonnement pour importation illégale et contrebande ; et d’un à trois ans pour vente illégale.
Une différence de prix de cinq euros en moyenne
Pour Manuel le buraliste, c’est « une bonne chose d’augmenter les sanctions pénales. Sinon, peut-être allons nous observer les mêmes schémas liés au trafic de drogues. Les choses tournent mal avec les réseaux de stupéfiants ; nous le voyons bien à Perpignan, où il y a de la violence et une guerre de territoire. Hausser les sanctions peut déjà démotiver certains à vendre du tabac illégal. Même si cela va quand même se poursuivre. Toujours ».
Mais le buraliste de revenir au coeur du problème : « Pour moi, la réelle source du problème, c’est la différence très forte du prix du tabac en France et avec nos pays voisins, comme l’Espagne, la Belgique et l’Allemagne. C’est la racine du problème. Il faut se mettre à niveau, et actuellement, il y a trop d’écarts de prix. Sinon, forcément, ça motive la contrebande et le trafic ».
Il poursuit et conclut en rappelant les difficultés économiques actuelles : « Il n’y a pas de profil type d’acheteur de cigarettes de contrebande. C’est monsieur tout le monde, et le jeune du coin, qui n’ont pas beaucoup de budget. C’est tout à fait normal de vouloir économiser cinq euros sur un paquet de cigarettes. Je comprends absolument. Surtout en cette période ! ». Pour rappel, en France, les fumeurs sont davantage des personnes en situations précaires.
Manuel, gérant du bureau de tabac-presse Le Place R’ep à Perpignan.
« Les inégalités sociales face au tabagisme sont marquées »
Santé Public France explique dans un bilan d’étude réalisée en 2019 et 2020 : « Les inégalités sociales qui ne s’accroissent plus depuis 2016, restent très marquées. On observe un écart de 12 points de prévalence du tabagisme quotidien entre les plus bas et les plus hauts revenus. Et un écart de 17 points entre personnes au chômage et actifs occupés. La lutte contre les inégalités sociales face au tabagisme reste encore un des enjeux majeurs pour les années à venir ».
Ainsi, d’après ces données, les fumeurs sont (source Santé Public France) :
– plus souvent des hommes (54%) ;
– des personnes de moins de 55 ans (81 %) ;
– des personnes en situation de précarité socio-économique : moins diplômées (26% possèdent un diplôme supérieur au baccalauréat contre 33% chez les non-fumeurs), deux fois plus souvent au chômage (14% contre 7%) ; et dans une situation financière perçue comme « difficile » (22% contre 12,5%).
Quelques chiffres :
– 100 millions d’euros : c’est le budget de l’État français en 2018 alloué au Fonds de lutte contre le tabac (source Ameli).
– 75.000 décès par an : le tabagisme est la première cause de mortalité évitable en France.
– 1.800 euros : c’est ce que coûte annuellement le tabac à chaque citoyen français.
– 26 milliards d’euros : tel est le montant annuel des soins de santé liés au tabagisme contre les quelque 16 milliards d’euros qu’il rapporte à l’État.
– 1,6 milliard de dollars : c’est ce qu’ont payé Phillip Morris International et Japan Tobacco International à la Commission européenne et 10 États pour éviter un procès à leur encontre dénonçant une «machination mondiale visant à faire la contrebande de cigarettes».
– 61% des Français sont en faveur d’une hausse de la taxation sur le tabac.
– 43,6% des fumeurs estiment que l’augmentation du prix du tabac est une motivation pour arrêter de fumer.