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Entretien | Laurent Joly, garant du savoir historique au Mémorial de Rivesaltes

Entretien | Laurent Joly, garant du savoir historique au Mémorial de Rivesaltes

Article mis à jour le 2 juillet 2024 à 14:50

Le Mémorial du camp de Rivesaltes a une grande part de recherches historiques et pluridisciplinaires pour faire vivre au mieux la mémoire du lieu. Pour ce faire – et en plus de l’équipe présente continuellement sur place et dirigée par Céline Sala-Pons depuis mai 2022 – le Mémorial est doté d’un conseil scientifique d’une quinzaine de membres présidé depuis un mois par un nouveau membre : l’historien Laurent Joly.

«Directeur de recherche au CNRS, Laurent Joly est spécialisé dans l’étude de l’extrême droite, de la Shoah et du régime de Vichy» commente le Mémorial. Il a notamment connu une grande médiatisation en 2022 face à la falsification de faits historiques par le candidat à la Présidentielle Éric Zemmour. La rédaction de Made in Perpignan a souhaité s’entretenir avec Laurent Joly dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

Renforcer les connaissances liées aux différentes expériences d’internement à Rivesaltes.

Le rôle du Conseil scientifique «consiste à consolider les recherches historiques relatives à toutes les populations passées par le camp, tout en s’appuyant sur les différentes disciplines qui permettent d’éclairer l’histoire et la mémoire du lieu» – explique le Mémorial.

Laurent Joly détaille les responsabilités et missions du président : «Comme celles de mon prédécesseur – l’historien Denis Peschanski – le président aide la directrice du Mémorial à renforcer les connaissances liées aux différentes expériences d’internement à Rivesaltes ; et à continuer de cerner au plus près les dizaines de milliers d’individus, hommes, femmes et enfants, qui y sont passés. À commencer par les 17,500 internés de la période de Vichy, dont près de 2300 déportés juifs assassinés à Auschwitz, et les quelque 20,000 harkis et assimilés. L’intitulé conseil scientifique, est à prendre au sens strict et large à la fois. Allant de l’aspect proprement scientifique, à celui de la médiation vers le grand public, via des expositions, outils pédagogiques, rencontres.»

Interrogé sur ses priorités de travail, le spécialiste du régime de Vichy et de la Shoah, répond que «avec Céline Sala-Pons, nous souhaitions un conseil scientifique resserré et paritaire, à forte dominante historienne sur les thèmes couverts par la longue histoire du camp de Rivesaltes.»

Améliorer l’exposition permanente du Mémorial avec l’aide de quinze spécialistes reconnus dans leur domaine d’étude.

Il continue : «Nous avons donc renouvelé ce conseil en ciblant des spécialistes de la guerre d’Espagne et de la Retirada, de la Shoah, de l’internement des Tsiganes, de la guerre d’Algérie, des harkis ou des supplétifs guinéens ; mais aussi des spécialistes des questions mémorielles, de l’antisémitisme ou de l’art dans les camps. Soit une quinzaine de personnes. Toutes très reconnues dans leur domaine.»

Et de citer les membres : François Audigier, Fatima Besnaci-Lancou, Raphaëlle Branche, Tal Bruttmann, Geneviève Dreyfus-Armand, Sarah Gensburger, François Godicheau, Théophile Leroy, Marie-Anne Matard-Bonucci, Abderahmen Moumen, Emmanuel Négrier, Céline Pauthier, Annabelle Ténèze et Bruno Vargas.

Le président assure que l’une de ses priorités de travail «sera de voir comment améliorer l’exposition permanente. Et de concevoir un catalogue très informé, mais simple et pratique pour les visiteurs. Un tel outil n’existe pas encore.»

Négationnisme : le combat de Laurent Joly et du Mémorial de Rivesaltes pour un savoir historique authentique.

Laurent Joly préfère utiliser le terme de «relativisation – de la minoration – des crimes de Vichy que l’on observe. Plus que du négationnisme. Il est certain que – sur fond de confusion des valeurs et de savoirs alternatifs diffusés sur les réseaux sociaux – la connaissance scientifique est davantage remise en cause de nos jours qu’il y a vingt ou trente ans.»

Et de revenir sur son rôle au sein d’un établissement comme le Mémorial de Rivesaltes : «D’où l’attachement à produire et à diffuser un savoir historique de fond, soucieux de faire ressortir toute la complexité des situations étudiées. Restituer avec clarté et pédagogie les faits et les logiques d’action des acteurs historiques, dans leurs contextes précis, c’est en somme la seule arme des chercheurs face aux manipulations du passé à des fins politiques.»

En 2022 Laurent Joly a été invité par de nombreux médias français pour être interrogé sur le discours d’Éric Zemmour – alors candidat extrême-droite aux élections présidentielles – au sujet du Maréchal Pétain et le régime de Vichy. Une mission vitale pour l’histoire de la France, puisque le directeur du CNRS s’est retrouvé à recalibrer un discours mensonger, et de récupération, quant à ses années les plus sombres.

« Aucun autre acteur politique en France n’assume à ce point de réécrire l’histoire. Et quelle histoire (…) »

Le journal Le Monde écrivait en janvier 2022 : «Dans son dernier livre, La Falsification de l’histoire : Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs (Grasset, 140 pages, 12 euros) ; il (Laurent Joly) montre comment le candidat polémiste construit, dans la plus pure tradition de l’extrême droite française depuis plus d’un siècle, un projet politique de persécution des étrangers et de suspension des libertés, quitte à en passer par une révision mensongère de l’histoire de Vichy.»

Mais est-ce que Éric Zemmour est actuellement la personnalité publique française qui tient le plus dangereux discours ? Laurent Joly en est persuadé. Et pour une simple raison : «aucun autre acteur politique en France n’assume à ce point de réécrire l’histoire. Et quelle histoire : le drame de la déportation des juifs sous l’Occupation ; dont la plupart ont été assassinés du fait de la complicité criminelle du régime de Vichy à la politique génocidaire des nazis – afin de légitimer un projet politique attentatoire aux libertés publiques.»

Avant de clarifier les propos du polémiste d’origine algérienne et connu pour ses années de plateaux TV : «Faut-il rappeler que Zemmour – qui promettait d’expulser un million d’«indésirables» s’il était élu – estime que le gouvernement de Vichy ne s’est rendu coupable d’aucun «crime», en livrant, aux nazis, des dizaines de milliers de juifs promis à la mort. Et que ce qui est «criminel» c’est la reconnaissance du rôle de l’État français dans la Shoah, par le président Chirac, lors de son fameux discours du 16 juillet 1995.»

Laurent Joly l’assure : il n’a pas été motivé par le contexte politique des Pyrénées-Orientales pour son nouveau poste.

Laurent Joly poursuit en citant les propos d’Éric Zemmour : « ‘On essaie de culpabiliser le peuple français en permanence pour qu’il se soumette à l’invasion migratoire et l’islamisation du pays’, s’indignait-il sur Europe1 en septembre 2021. Une telle paranoïa falsificatrice de l’histoire n’a, je crois, aucun équivalent. C’est vraiment propre à Zemmour.»

Le chef-lieu des Pyrénées-Orientales, et ses quatre circonscriptions, sont dotés d’élus du parti d’extrême-droite Rassemblement National. Était-ce, pour l’historien, un facteur qui l’a motivé à travailler avec le Mémorial ? Il assure le contraire.

Laurent Joly de conclure «La chose principale qui m’a motivé à accepter la proposition (…) c’est l’histoire, et le lieu, conçu par un architecte génialement inspiré, Rudy Ricciotti. C’est l’un des établissements mémoriels les plus impressionnants que j’ai jamais vus. J’ai été marqué par la force et l’intelligence de l’ensemble. Tout le reste est donc venu naturellement, sans penser au contexte politique local, que je sais délicat.»

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Idhir Baha