Article mis à jour le 27 septembre 2023 à 11:16
Chaque mois, notre rubrique Ici comme ailleurs met en lumière des initiatives du monde entier ; avec cette particularité qu’elles font écho à des problématiques présentes sur notre territoire. Ce nouvel article évoque le premier règlement sur l’éco-conception qui entrera en vigueur en mars 2021 en Europe. Les fabricants de machines à laver, de lave-vaisselle, de réfrigérateurs et d’écrans devront veiller à ce que les composants soient remplaçables par des outils courants. Une histoire relatée par Klaus Sieg de Reasons to Be Cheerful.
Roman Hottgenroth est entouré de lampes, de lave-vaisselle et d’aspirateurs.
Les ordinateurs, les smartphones et les récepteurs de télévision sont empilés sur des étagères en fer-blanc derrière lui. Un groupe de machines à laver cliquettent bruyamment en mode test ; un bruit de fond un peu noyé par le son des basses d’une chaîne hi-fi qu’un employé est en train de vérifier. Aucun de ces produits ne fonctionne correctement, et c’est bien là le problème.
Photo © Département sanitaire de Hambourg
Ici, à Stilbruch, le grand magasin de Hambourg, en Allemagne, géré par le service d’hygiène de la ville, seuls les produits que d’autres ont jetés sont mis en vente. Mais avant d’être vendus, ils sont vérifiés et, si nécessaire, réparés dans l’atelier de 2km carrés de Roman Hottgenroth. Le processus est une sorte d’art moribond. « Malheureusement, la réparation n’est plus prévue pour la plupart des appareils », déclare Roman Hottgenroth, le directeur des opérations de Stilbruch.
Mais cela pourrait changer. Dans toute l’Europe, la législation s’oppose à une économie fondée sur le gaspillage et redonne aux citoyens ce que les entreprises leur ont progressivement retiré : le droit de réparer ce qu’ils ont acheté.
Réparer ou oublier
Roman Hottgenroth voit chaque jour le nombre d’appareils qui se retrouvent à la poubelle. Quand souvent tout ce dont ils ont besoin est une batterie ou un récepteur neuf. « Les pièces de rechange sont difficiles à trouver, et tous les composants sont soudés, collés ou rivetés », dit-il. C’est pourquoi, si ses employés peuvent réparer de nombreux produits, beaucoup d’autres sont irrécupérables. « En raison de leur conception, les appareils se cassent souvent juste quand on essaie de les ouvrir ». En outre, il n’est généralement plus possible de mettre à niveau et d’adapter les appareils aux nouvelles normes techniques. « Cela devrait être interdit », s’insurge le technicien.
Certains dirigeants politiques soutiennent la position de Roman Hottgenroth. En novembre, le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de rendre les réparations de routine des produits courants plus faciles, systématiques et rentables. Le Parlement a déclaré que les garanties devraient être étendues ; et que les pièces de rechange devraient être améliorées et rendues plus accessibles ; tout comme les informations permettant une réparation et un entretien général.
Photo © Département sanitaire de Hambourg
La réglementation européenne actuelle en matière d’éco-conception pourrait être un instrument permettant d’atteindre ces objectifs. Ces mandats ont été établis il y a des années pour améliorer l’efficacité énergétique des produits vendus dans l’UE.
Mais en mars 2021, le premier règlement sur l’éco-conception qui définira les normes de réparation et de durée de vie entrera en vigueur. Les fabricants de machines à laver, de lave-vaisselle, de réfrigérateurs et d’écrans devront veiller à ce que les composants soient remplaçables par des outils courants. Les manuels d’instructions doivent être accessibles aux entreprises spécialisées. Et les producteurs doivent fournir des pièces de rechange dans un délai de 15 jours.
L’exception des téléphones portables, ordinateurs et tablettes
Les téléphones portables, les ordinateurs et les tablettes ne sont toutefois pas encore régis par une directive européenne sur l’écoconception. Qui plus est, ils constituent certains des déchets de consommation les plus nocifs. C’est pourquoi les États membres ont adopté leur propre réglementation.
Au mois de janvier, la France a introduit une loi anti-déchets avec un indice de réparation. Une note de 1 à 10 figurera sur les étiquettes des machines à laver, des ordinateurs portables, des smartphones, des téléviseurs et des tondeuses à gazon. Cet indice sera calculé sur la base de critères tels que la facilité de démontage, l’accès aux informations sur les réparations, ainsi que le prix et la disponibilité des pièces de rechange. Le gouvernement français encourage également la conception modulaire des produits et vise à ce que 60 % des équipements électroniques en France soient réparables d’ici 2026.
L’Europe est l’un des plus grands marchés du monde ; ce qui signifie que les nouvelles directives européennes en matière de conception et les mandats de droit de réparation pourraient contraindre les fabricants du monde entier à fabriquer des produits plus durables. Avec plus de dix millions de tonnes par an, les déchets électroniques constituent le flux de déchets qui connaît la croissance la plus rapide en Europe. Rien qu’en Allemagne, deux millions de tonnes sont produites chaque année.
La réparation des produits et l’allongement de leur durée de vie pourraient jouer un rôle essentiel dans l’atténuation des conséquences environnementales de tous ces déchets. Et c’est exactement ce que souhaite une grande majorité des citoyens européens. Près de 80% d’entre eux préfèrent réparer leurs appareils plutôt que de les remplacer. Et une majorité pense que les fabricants devraient être légalement tenus de faciliter la réparation des appareils numériques ou le remplacement de leurs différentes pièces.
De Fairphone et Shiftphone au programme de réparation d’Apple
De tels produits existent depuis un certain temps ; à l’image des smartphones durables et réparables conçus par Fairphone et Shiftphone. Mais avec les nouveaux mandats législatifs de l’UE qui se profilent à l’horizon, des acteurs plus importants prennent de l’avance.
Apple a lancé un programme de réparation pour les entreprises indépendantes ; programme dans le cadre duquel les entreprises peuvent obtenir des pièces, des outils, des formations, des guides de service, des diagnostics et des ressources Apple pour effectuer diverses réparations hors garantie. L’année dernière, la société allemande d’articles de plein air Vaude a commencé à fournir à ses clients un index indiquant le degré de réparation de chacun de ses produits. Electrolux, l’un des principaux fabricants d’appareils électriques en Europe, s’est préparé à la directive ; et sera prêt à s’y conformer dès son entrée en vigueur en mars.
« Nous allons maintenant nous assurer que les pièces spécifiques, conformément à la législation, seront directement disponibles pour les consommateurs ». « Et nous mettrons les informations de réparation à la disposition des réparateurs indépendants pour les catégories demandées ».
Viktor Sundberg, vice-président des affaires européennes et environnementales chez Electrolux
Ces mesures seront-elles suffisantes ?
Pour Dorothea Kessler, de iFixit Europe, le Parlement européen a en effet envoyé un signal fort ; indiquant que le continent doit adopter une économie circulaire plus durable. Mais ce n’est qu’un début. « Nous devrons certainement attendre encore quelques années pour que des mesures réalisables apparaissent pour les catégories de produits les plus importantes », dit-elle. Ce faisant, elle estime qu’il ne sera pas facile pour l’UE de tenir tête aux lobbies des fabricants.
Les organisations de consommateurs et de défense de l’environnement ont également accueilli la résolution du Parlement européen avec un optimisme prudent. « Le droit de réparer était déjà un mot à la mode dans le Green Deal de décembre 2019 », déclare Elke Salzmann de la Fédération des organisations de consommateurs en Allemagne ; en référence à l’engagement de l’Europe à devenir le premier continent neutre sur le plan climatique. « Mais nous devons veiller à ce que cette promesse soit contraignante ».
Entre-temps, iFixit attribue depuis des années une cote de réparabilité à chaque nouvel appareil sur le marché. Le site Internet coopératif fournit gratuitement des instructions étape par étape pour les réparations à faire soi-même ; en 11 langues et pour 70 000 produits. Son forum en ligne permet aux utilisateurs d’échanger des idées avec d’autres bricoleurs. Fondée en Californie, cette communauté en ligne compte aujourd’hui trois millions d’utilisateurs mensuels en Europe ; et dix millions dans le monde. Pour Dorothea Kessler, c’est un mouvement qui a autant à voir avec le changement des mentalités qu’avec la réparation de gadgets. « Notre philosophie est que quelque chose ne vous appartient pas si vous ne pouvez pas l’ouvrir », conclut-elle.
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« Cette histoire fait partie du programme SoJo Exchange du réseau Solutions Journalism Network ; une organisation à but non lucratif qui se consacre à des reportages rigoureux sur les réponses aux problèmes sociaux ».
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