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Témoignage | « Je veux faire la lumière sur le handicap invisible »

Reunion de la Premiere ministre avec le Comite Interministeriel du Handicap © Amaury Cornu / Hans Lucas

Article mis à jour le 14 mai 2023 à 13:28

En cette journée un peu particulière, Juliette a eu envie de se livrer et de nous parler de son quotidien en tant que « personne handicapée » comme elle le dit elle-même. Elle qui fait partie des 12 millions de Français aujourd’hui touchés par un handicap.

Pour rappel, ce mercredi 26 avril 2023, se tient la 6e Conférence nationale du handicap à l’Élysée. Si Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, affirme que « La CNH apportera des réponses concrètes pour améliorer la vie des personnes en situation de handicap, leurs familles et les aidants », des associations ont évoqué le boycott de l’évènement. Il est notamment reproché à Emmanuel Macron de ne pas tenir compte des manquements soulignés par le Conseil de l’Europe dans un rapport publié mi-avril. Photo de Une : Comité Interministériel du Handicap, le 6 octobre 2022 © Amaury Cornu / Hans Lucas.

Éveiller les consciences sur le handicap

« Quand tu dis que tu es handicapé(e), les gens pensent directement que tu es forcément en fauteuil roulant. Pourtant, ce n’est pas le cas ! Il y a plusieurs formes de handicap et notamment le handicap invisible qui me concerne. Et c’est difficile à vivre… Tu as l’impression que les gens sont persuadés que tu abuses quand tu dis que tu es fatiguée ou que certaines activités relèvent de l’impossible. Tu te sens un peu seul(e) avec tes problèmes de santé. Tu n’oses pas sortir de chez toi et parfois, tu te retrouves isolé(e).

Aujourd’hui, il est important pour moi de marteler que le handicap touche des millions de personnes et qu’il ne se résume pas simplement au fait de se déplacer en fauteuil roulant. Les gens doivent prendre collectivement conscience de ça. D’ailleurs, une étudiante en médecine a créé un compte Instagram drawyourfight qui en parle très bien. Et il n’est pas inutile de rappeler que 80% des handicaps sont invisibles, ce qui est mon cas. »

« Quand on me croise dans la rue, personne ne se doute de ce que je vis au quotidien. On voit juste une trentenaire avec le sourire… Quand je parle de ce que j’ai vécu, on me dit toujours que je suis courageuse et que c’est une leçon de vie. Je ne suis pas du tout d’accord avec ça ! Je ne suis pas là pour donner des leçons de vie aux gens. Il faut arrêter avec cette expression ! Mon handicap ne fait pas de moi une héroïne ! De manière caricaturale, pour la plupart des gens, soit on est des personnes exceptionnelles, soit on est des incapables. »

Des regards et des paroles qui blessent au quotidien

« Si le quotidien d’une personne handicapée est déjà compliqué, le regard des autres est également difficile à vivre. Je pourrais vous citer plein d’exemples. Dans les transports en commun l’été, on voit les cicatrices sur mes jambes, car je ne porte que des robes ou des jupes. C’est drôle, mais tout le monde ne peut s’empêcher de regarder. C’est comme si la différence attisait la curiosité. J’entends les gens qui font des messes basses et des paris sur ce qu’il m’est arrivé… En tout cas, eux, ce ne sont pas les champions de la discrétion.

Je suis titulaire de la carte d’invalidité pour, par exemple, passer en priorité aux caisses ou avoir une place assise dans les transports. Au début, je ne voulais pas me faire remarquer, alors je ne disais rien et je faisais la queue comme tout le monde. Mais maintenant, il est plus difficile pour moi de rester longtemps debout. Quand je sors ma carte, on me dévisage de la tête aux pieds pour essayer de trouver ce qui fait de moi une handicapée. Quelqu’un m’a même déjà dit « je passe avant vous car je suis plus handicapée que vous ! »

J’ai aussi la carte pour le stationnement des personnes handicapées. Et je dois dire que là, c’est le festival des gestes et des paroles déplacés. Les gens vont jusqu’à se déplacer pour aller voir sur le pare-brise s’il y a bien la carte, car oui, « une jeune qui marche ne devrait pas se permettre de se garer sur une place réservée aux personnes en fauteuil ». J’ai aussi entendu « elle est handicapée elle ? Ça m’étonnerait ! » Ou encore « elle est aussi handicapée que moi ! » ; sous-entendu je suis une personne totalement valide. Des paroles qui, sur le coup, énervent, mais blessent aussi. Si les gens savaient la galère administrative que c’est pour obtenir cette malheureuse carte. Remplir un dossier, joindre un tas de formulaire, justifier son handicap… 

Quand tu vas voir une expo, tu bénéficies souvent d’un tarif réduit – voire de la gratuité – pour toi et surtout pour ton accompagnateur. Déjà, rien que ce terme… On considère que tu as forcément besoin de quelqu’un pour sortir. Les organisateurs justifient la gratuité pour lui parce qu’il est déjà bien gentil de t’accompagner pour quelque chose qui ne l’intéresse pas forcément, donc il ne va pas en plus payer sa place. Ça me révolte ! »

« Au début, je n’avais même pas osé dire à mon employeur que je bénéficiais de la RQTH* par peur d’être stigmatisée. »

« Évidemment, il y a encore beaucoup beaucoup beaucoup de travail à faire pour que tout cela change. Le monde est encore inadapté aux personnes en situation de handicap. Moi qui suis sensibilisée, je suis consciente que quand tu es en fauteuil roulant, tout est plus compliqué ; faire ses courses, prendre les transports en commun ou le train. Les valides font ça sans réfléchir et ne s’en rendent pas compte.

Dans le monde du travail aussi c’est compliqué. Tous les postes ne sont pas adaptés et oser demander un aménagement est mal vu. Au début, je n’avais même pas osé dire à mon employeur que je bénéficiais de la RQTH* par peur d’être stigmatisée. Et je ne parle même pas des entretiens d’embauche, où certains cachent leur handicap pour éviter toute discrimination. Il est encore ancré dans les mentalités qu’une personne avec la RQTH va être moins productive, ne pourra pas tout faire, sera plus souvent absente, va se plaindre ; bref, une personne qu’il ne vaut mieux pas recruter.

Et puis, financièrement, ce n’est pas évident non plus. Tous les soins ne sont pas forcément pris en charge ; là encore des démarches à faire. Si tu ne travailles pas, tu peux toucher l’A.A.H. soit 956€ / mois. Tu ne vas pas loin avec ça. Normalement, la déconjugalisation sera mise en place en octobre. En attendant, si tu vis avec ton copain ou ta copine, ses revenus sont pris en compte dans le calcul de ton allocation. Du coup, tu peux te retrouver avec 0€ / mois pour vivre… Difficile d’être indépendant(e) dans ces conditions, tu te sens redevable de la personne avec qui tu es en couple… Encore des inégalités qui se creusent… »

*Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé

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Maïté Torres