Article mis à jour le 5 novembre 2024 à 11:58
Il serait hasardeux d’établir une norme sociale ou d’asseoir une généralité sur un particularisme. Il n’en demeure pas moins que certains témoignages peuvent s’avérer inspirants ; voire choquants ou poignants. À ce titre, vos récits enrichissent les autres formats proposés par Made In Perpignan. Voici celui d’Agathe* une aide-soignante des Pyrénées-Orientales qui vient de raccrocher sa blouse pour une nouvelle vie.
« Je n’ai pas pour habitude de me livrer sur mon parcours professionnel. Mais la période de confinement par laquelle nous sommes passés m’a aidé à réfléchir sur ma carrière. Aujourd’hui, j’ai souhaité témoigner de ce changement radical de vie à travers ces quelques lignes. Voici une partie de mon histoire : un témoignage mêlé d’interrogations, de décisions et de challenges ; mais aussi mon regard sur le métier d’aide-soignant(e) et sur toutes ces raisons qui m’ont fait quitter ce métier que j’ai tant aimé pendant plus de 10 années. »
Qu’est-ce qu’un(e) aide-soignant(e) exactement ?
À en croire les livres et nos formateurs, être aide-soignant(e), c’est être en permanence au contact des autres. Car un soignant effectue des soins de prévention, de maintien et d’éducation afin d’assurer votre bien-être tout en préservant votre autonomie.
Nous surveillons chaque jour votre état de santé tout en vous aidant dans les actes de la vie quotidienne. Se lever, se laver, s’habiller, se rendre aux toilettes ou vous aider pour le repas ; tous ces gestes rythment votre quotidien. Les soignants vous apportent également un soutien psychologique, des conseils et du réconfort ; autant aux patients qu’aux familles qui en ressentent le besoin.
Ce qui n’était pas écrit dans les livres…
Une fois plongés dans la réalité, nous apprenons qu’être aide-soignant(e), c’est surtout mener un combat de tous les jours ; lutter sans cesse avec tout le monde (au sens figuré, bien évidemment). Que ce soit avec le directeur, les cadres de santé ou même parfois avec nos chères infirmier(e)s, nous battre pour nos valeurs et nos principes ; mais aussi pour une meilleure qualité de vie au travail.
Le plus dur n’est donc pas de laver vos corps, nettoyer vos chaises percées ou bien se faire cracher à la figure (au sens propre, cette fois-ci). La difficulté du métier réside dans l’omniprésence de la mort et de la maladie ; tout en se démenant pour un minimum de reconnaissance, une paie supérieure au SMIC ou deux jours de repos consécutifs. Et dans tout ce capharnaüm, il faut réussir à garder une vie personnelle une fois la porte du vestiaire franchie.
10 années passées dans de nombreux établissements des Pyrénées-Orientales
Intérimaire, remplaçante ou titulaire d’un CDI, j’ai travaillé aussi bien de jour que de nuit ; en maison de retraite, clinique ou bien en centre de rééducation. J’ai cherché pendant 10 années, un lieu dans lequel je serais enfin épanouie ; un établissement dans lequel mon travail serait reconnu à sa juste valeur. Le paradis perdu du soignant où s’allient bon salaire, charge de travail acceptable et planning qui ne nous donne pas envie de pleurer.
Je pensais avoir trouvé cet endroit jusqu’au jour où… Du jour au lendemain, ce semblant de bonheur s’écroule tel un château de cartes. Tant d’années à poser des bases pour que tout retombe tel un soufflé. Je savais que physiquement et mentalement, je ne pourrai pas exercer ce métier toute ma vie. Mais je ne pensais pas que cela arriverait si tôt.
Je ne pensais pas en choisissant ce métier qu’on pouvait autant nous couper l’herbe sous le pied. Je pensais naïvement qu’une aide-soignante était reconnue pour son mérite. Malheureusement, la réalité nous rappelle bien trop vite à l’ordre.
Problème de planning, dissonances sur nos savoir-faire, changements arbitraires sans prendre en compte ni notre avis de soignant ou ni le manque de matériel… De (trop) nombreuses raisons m’ont poussé à me reconvertir. Il serait fastidieux de vous donner le détail de tout ce que j’ai pu entendre en 10 ans. Alors je vais tenter de vous donner quelques exemples clairs de ce qu’était mon quotidien. Loin de moi l’idée de dénigrer ce métier ; car si je l’ai exercé pendant 10 ans, c’est que je l’ai malgré tout aimé au fond de moi.
Un combat quotidien contre le manque d’effectif et les plannings épuisants
Notre métier est marqué par « l’optimisation des soins ». Pour cela, nous changeons régulièrement d’organisation et de planning. Malheureusement, le problème reste toujours le même : le manque d’effectif. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Qu’importe le sens dans lequel on aborde le problème, ce manque de personnel reste récurrent.
On nous demande de commencer plus tôt, 6 heures du matin parfois ; ou alors de finir plus tard vers 21h30. On invente des horaires absurdes du type 17h – 2h du matin. Mais au final, comment aider 93 patients dépendants à se coucher avec seulement 4 personnes ? Est-ce que réellement 30 minutes de plus vont nous aider dans notre travail ? Clairement, la réponse est non. Mis à part nous épuiser psychologiquement, nous n’y gagnons jamais rien au change.
Parmi les autres aberrations, certains établissements vous refusent les congés en période estivale ; interdiction de poser des jours en juillet ou août. Construire une vie de famille en tant qu’aide-soignant(e) ? Bonjour les contraintes ! Et si, qui plus est, vous êtes une maman célibataire, c’est la croix et la bannière.
Le plus souvent, les soignants font tout leur possible pour ne montrer ni cette fatigue quotidienne, ni leurs difficultés. Ce marathon pour que les patients ne manquent de rien pousse inlassablement les soignants à ignorer leurs propres besoins essentiels. Beaucoup trop fréquemment, nous gardons ces émotions emprisonnées ; jusqu’au jour où tout éclate. Après 10 ans, je peux vous assurer qu’un véritable magma bouillonnait en moi. Alors imaginez-vous au bout de 40 années de métier ? Tout cela engendre, entre-autres, des arrêts maladie ; des soignants fatigués, blasés, usés par le métier autant physiquement que psychiquement.
Vous avez dit bienveillance ?
Dans ces oppositions quotidiennes, les arguments auxquels nous faisons face sont parfois difficiles à avaler. Toujours la même rengaine culpabilisante : « vous êtes indisciplinés, jamais contents… » ; des réflexions que j’ai maintes fois entendues pendant ces 10 années.
Quel que soit notre point de vue, le responsable hiérarchique a toujours réponse à tout ; et ne met pas toujours les formes. « Mais pourtant tout le monde adore travailler le dimanche pour gagner plus d’argent ». Là voilà, la triste réalité. Nous faire travailler plus, pour gagner plus. Est-ce qu’un jour, un soignant travaillera normalement pour un salaire qui valorise tous ses efforts au quotidien ? Permettez-moi d’en douter. Bien que le problème soit d’ordre national, les établissements du département manquent tout de même de bienveillance à ce sujet.
Franchir le pas, prendre la décision de tout quitter
J’ai donc passé les cinq dernières années à m’investir dans un établissement avec pour seul épilogue la phrase assassine : « Si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à partir, la porte est grande ouverte ; et ce n’est pas du chantage ». Et bien, ce n’est pas tomber dans l’oreille d’une sourde.
Chaque jour, revient l’évocation médiatique de la maltraitance envers les patients ou les personnes âgées. Mais est-ce que quelqu’un s’est posé la question sur la maltraitance du personnel ? Parce que croyez-moi, tous ces décisionnaires ne ramassent pas des selles 50 fois par jour pour la modique somme de 1 150 €. Car, oui, si vous vous posez la question, il y a encore des établissements qui paient leurs aide-soignant(e)s au SMIC avec 3 dimanches de travail par mois.
J’ai quitté le milieu médical pour tous ces contrastes saisissants qui n’ont ni queue ni tête. Je ne supporte plus qu’un médecin me prenne de haut sous prétexte qu’il a fait plus d’études que moi ; ou qu’on me demande de laver un patient avec une chaussette, car nous n’avons plus de gants. Malgré cet amour immuable pour ce métier, il y avait trop de choses sur lesquelles je ne pouvais plus fermer les yeux.
Se débarrasser du sentiment de culpabilité et suivre ses rêves
Après toutes ces années à en découdre pour maintenir ce « trois fois rien », j’ai décidé d’arrêter ce métier pourtant si merveilleux à mes yeux. Difficile de prendre une telle décision. Une fois de plus, comme durant toute ma carrière, j’ai ce sentiment de culpabilité. Et si tout le monde abandonnait le navire, comment ferions-nous ? Ou peut-être que l’État ouvrirait enfin les yeux sur les vrais problèmes ; et pas seulement en période de crise sanitaire ? Ou peut-être pas…
Je suis loin d’être la seule à décider de tout plaquer. Nous sommes des centaines, voire des milliers qui chaque année jetons l’éponge et raccrochons nos blouses. Un ras-le-bol du système actuel de santé. Oui, j’ai clairement perdu tout espoir. Il est vrai que le travail d’équipe me manque parfois ; ainsi que ces patients si adorables avec moi et si respectueux de mon travail.
Et bien que ces moments me manquent, je n’ai plus la force, je n’ai plus l’envie de me battre. J’ai atteint le point de non-retour. Pas de burn-out, non ; juste une envie de prendre le large.
Une reconversion professionnelle possible, mais pas sans peine
Se lancer et réussir sa reconversion professionnelle, c’est une remise en question chaque jour. Je ne vais pas vous mentir, tout n’est pas rose. Néanmoins, c’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie. Chaque jour, je fais le tri dans ces milliers d’idées qui me traversent l’esprit. Trouver ce projet ; celui qui me passionne tout en étant viable à long terme.
C’est un nouveau combat de tous les jours. À l’heure où je vous écris ce témoignage, je ne sais pas encore de quoi demain sera fait. Mais j’ai appris une chose : c’est qu’il vaut mieux partir que rester dans un monde qui ne nous ressemble pas ou plus. Gardez toujours vos valeurs et croyez en vous comme j’ai pu croire en moi et en mes choix.
« Parfois des petits pas, deviennent des grands pas dans la vie… »
*Le prénom a été changé
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