Article mis à jour le 16 mars 2021 à 11:58
Camille*, la trentaine, est aide-soignante dans les Pyrénées-Orientales. En semaine, elle est étudiante en école d’infirmière. Dans le contexte sanitaire actuel, elle a accepté de venir renforcer le personnel d’un EHPAD confronté au virus Covid-19. De retour de son service, elle nous explique sa mission, et nous partage son point de vue de professionnelle de santé.
Retour sur la question épineuse des EHPAD avec Camille ; ainsi qu’Yves Barbe, directeur de l’association Joseph Sauvy qui a accepté de jouer la carte de la transparence.
♦ Dixit Camille, « le personnel est heureux d’accueillir du renfort »
Quand ses études lui laissent un peu de temps, Camille est aide-soignante en intérim. Jamais cette tache en EHPAD ne lui avait été demandée auparavant. « Ils m’ont proposé de faire un renfort Covid d’après les directives de l’Agence Régionale de Santé. J’avais beaucoup d’appréhension. Je ne connaissais pas les établissements. Tu ne sais pas où tu vas mettre les pieds, ni dans quel état va se trouver l’équipe que tu intègres. Tu entends partout que les conditions sont compliquées. Mais j’ai été accueillie par un personnel heureux de voir arriver du renfort« .
La jeune soignante détaille qu’elle a travaillé dans un EHPAD des Pyrénées-Orientales avec « un très grand nombre de Covid positif. Ce n’était pas pareil lors de la première vague. Aujourd’hui, c’est clairement un cluster« . Elle estime la proportion de résidents touchés entre la moitié et deux tiers dans cet établissement précis. Quant au personnel, « beaucoup sont en arrêt maladie, mais continuent en télétravail, s’ils le peuvent. Et quand tu vois la hiérarchie enfiler les gants, ça fait chaud au cœur, ça motive ! «
Yves Barbe, directeur de l’association Joseph Sauvy – structure qui gère plusieurs établissements dans les Pyrénées Orientales – nous confie que sur l’EHPAD de Sorède, « il y a une douzaine de cas Covid graves sur un total de soixante-dix résidents. Nous avons deux autres Ehpad placés en alerte rouge, qui totalisent quelques cas positifs pour l’instant« .
Contactée au sujet des EHPAD du département, sur le nombre de cas Covid et des renforts soignants mobilisés, l’ARS n’a pas répondu à nos sollicitations. D’après les chiffres fournis par Santé Publique France et compilés par le site Covid-Tracker, les Pyrénées-Orientales comptabilisaient 1.218 nouveaux cas de Covid-19 chez les plus de 60 ans.
♦ La crainte d’un effondrement total du personnel soignant
Les résidents Covid de Camille, sans symptômes graves, sont isolés dans leur chambre. « Nombre d’entre eux sont tout de même sous aide respiratoire, appuie Camille. « C’est triste à dire, mais vu l’âge, c’est la balance bénéfice-risque qui prévaut. N’y a-t-il pas plus de risques si le résident est transféré à l’hôpital ? Et au niveau mental et psychologique ?« .
Selon Camille, au-delà du cas par cas, l’équipe médicale préfère souvent « que le résident Covid reste dans un environnement familier, dans sa chambre ; et qu’il y bénéficie des soins du personnel et des visites régulières du médecin. Il faut savoir aussi qu’on n’est pas tous égaux face à ce virus ; je me suis occupée d’une résidente positive de 92 ans qui n’avait aucun symptôme« .
Bien avant la Covid-19, Camille déplorait déjà le manque de moyens matériels et humains. Et par conséquent une précarité humaine face à la tâche. « C’est la course ! J’ai fait un stage infirmier où certains jours, ils étaient trois, pour gérer une centaine de résidents. Les goûters, les toilettes, les habillages, les couchers, etc. Le travail est faisable. Mais il faut parfois commencer à coucher certains résidents dès 14 heures pour la nuit« .
♦ Des EHPAD perfusés à l’entraide et au sens du devoir
Selon Yves Barbe, au sein de l’association Joseph Sauvy, « nous avons une petite dizaine de soignants positifs sur le département. Nos équipes sont à cran bien sûr ; depuis le mois de mars, tout le monde est fatigué. Il y a des phases de découragement, et à la fois nous restons très solidaires. »
« Nous avons l’avantage d’être un réseau. Nos équipes tournent en interne et s’entraident sur des EHPAD en crise. Même si l’ARS nous le propose, nous n’avons pas encore sollicité de renfort. Ce qui me préoccupe, ce sont les EHPAD privés qui ont de petits moyens. Certains confrères doivent faire travailler du personnel positif au Covid-19, pour éviter les absences. Oui c’est légal« .
La plus grande crainte semble en effet, autant au sein des hôpitaux que des établissements sanitaires, l’effondrement total du personnel. À noter que ; d’après le gouvernement ; neuf réservistes sont actuellement mobilisés dans les EHPAD d’Occitanie. La Réserve Sanitaire est animée par Santé publique France face à la pandémie. Elle regroupe professionnels de santé et cadres, et se mobilise à la demande du ministère de la santé ou des ARS.
♦ Des réactions vives à l’allocution d’Emmanuel Macron
Le 28 octobre, le président Macron a décrété le maintien des visites en EHPAD ; avec les précautions sanitaires habituelles. Camille s’en étonne : « Par rapport à la situation actuelle, je ne comprends pas cette décision. D’accord, il faut maintenir le lien social, c’est important pour la santé mentale, pour éviter les dépressions par exemple ; mais ce n’est pas facile aujourd’hui de gérer ça !« .
Yves Barbe partage la même opinion : « Son discours sur les EHPAD était contradictoire. Ces établissements représentent la plupart des clusters dans les territoires. En tant que représentant d’EHPAD, cela nous met dans l’embarras. On peut nous faire passer pour les méchants ; notamment dans le cas où nous prendrions des mesures plus strictes avec le soutien de l’ARS. »
« J’aurais aimé que le président nous laisse davantage de liberté ; qu’il nous fasse plus confiance, afin de nous permettre de nous adapter aux situations dans nos établissements. Je préfère que les directeurs aménagent leurs propres solutions en bonne collaboration avec les familles. Les EHPAD sont à contre-courant ; et nous avons du mal à tout comprendre depuis les premières mesures de mars« .
♦ Autoriser ou non les visites – Un choix cornélien
Le directeur de Joseph Sauvy d’insister : « Nous pouvons toujours solliciter l’ARS, et la préfecture, si nous devons renforcer la sécurité de nos établissements et interdire les visites. Nous sommes aidés. Ce qui m’inquiète davantage, ce sont les petits Ehpad privés et démunis, ainsi que les personnes âgées isolées et dépendantes. Dans ces cas-là, les aides à domicile sont les premiers rideaux. Malheureusement le président n’en a pas parlé hier soir.«
Rares sont les résidents qui viennent par choix. La culpabilité des familles peut être un sujet tabou. Le directeur de l’association Joseph Sauvy en parle déclare à ce propos : « Tous ces paramètres refont surface en ce moment. À nous de les accompagner. Cet été, les visites étaient organisées sous des tentes, dans les jardins. Les familles se parlaient à plusieurs mètres de distance. C’était irréel. Mais bon, qu’est-ce qui est mieux ? « .
Les Ehpad sont donc face à une problématique commune : travailler les axes de la sécurité sanitaire tout en tentant de maintenir le lien social et familial. Un équilibre difficile à établir pour nombre d’établissements.
♦ Les EHPAD des Pyrénées-Orientales avaient été épargnés par le coronavirus au printemps
Il semble aujourd’hui que la situation des EHPAD du département est plus critique qu’au printemps dernier. « Jamais je n’ai entendu parler de renforts de ce type lors de la première vague dans les Pyrénées-Orientales« , commente Camille avant l’allocution. « De ce que j’ai vu, la première vague a bien été gérée dans les EHPAD ; ils avaient réussi à créer une bulle. Il y a peut-être eu un loupé au moment de réouvrir les établissements et d’autoriser à nouveau les visites des familles ».
Interrogé sur l’évolution de la situation, entre la première et la deuxième vague, Yves Barbe accuse le retard pris dans le tracking du virus. « On n’a jamais pu rattraper le retard pris dans le traçage des cas contacts en France. »
« La vivacité de la circulation du virus en septembre n’a fait qu’aggraver la tache des équipes qui ont perdu pied depuis cet été. »
♦ « J’ai envie parfois de foutre des claques »
Avec du recul, Camille témoigne de sa vocation de soignante ; et ce en dépit des difficultés qu’affronte le milieu médical. En dehors de l’environnement de son travail, l’étudiante infirmière ne cache pas pour autant ses frustrations.
« Ton esprit de soignant t’ordonne de rester là. On est tous dans le même bateau. Les équipes sont fatiguées et énervées en ces temps de pandémie. J’ai l’anecdote d’une collègue qui s’est retrouvée bloquée sur la route avant 6 heures du matin … par des gens qui commençaient à organiser un vide-grenier sur l’espace public. C’est frustrant de constater que certains ne respectent pas les protocoles. Ils n’avaient rien à faire là à cette heure-ci (couvre-feu) ».
♦ Santé ou économie ? Deux mondes que tout oppose ?
Ce sont deux mondes qui ne se parlent pas et ne s’écoutent pas nous confie en substance Camille. « Des soignants qui n’en peuvent plus et des gens qui ne respectent pas les mesures sanitaires. Le comportement des gens laisse à désirer. Parfois, j’ai envie de foutre des claques. En tant que soignante, ça me fout la rage. Je vis mal qu’on ne se rende pas compte de la situation. Quand vous y êtes confrontés, c’est différent« .
Camille de conclure : « Je pense que les gens respectent les soignants en France. Mais face aux nouvelles mesures gouvernementales, ils crient tout de suite à la dictature. Regardez les commentaires sur les réseaux sociaux. Tant qu’ils ne sont pas touchés directement, beaucoup sont dans le déni. Je ne peux pas acquiescer à ce type de propos. »
« Personne n’a la solution universelle. Mais je ne comprends pas que l’on puisse faire passer l’économie avant la santé. Comme je ne comprends pas que l’on veuille faire des économies sur la santé. On doit attendre une pandémie, ou un prof décapité, pour faire un Ségur de la santé ou un grenelle de l’éducation !« .
* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.
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