Article mis à jour le 15 novembre 2022 à 18:45
Des enfants pinceaux à la main décorant les marches d’une place aux couleurs tricolores ; le jour de la fête nationale circulait sur les réseaux sociaux cette vidéo de jeunes de la communauté gitane du quartier Saint-Jacques. Nous avons souhaité rencontrer les élus à l’initiative de la démarche et des membres de la communauté gitane de Saint-Jacques. Ce quartier historique de Perpignan entame-t-il une mue durable ? Ou s’il s’agit de bonnes résolutions aussi éphémères que celles de la Saint Sylvestre ?
♦ Vers un nouveau vivre ensemble au Quartier Saint-Jacques ?
Une longue campagne municipale, des méthodes électorales objets de polémique, le quartier Saint-Jacques est désormais dans l’après-élection. Alors que la distanciation sociale s’opère dans les rues, un rapprochement politique avec la nouvelle équipe du maire Louis Aliot semble se dessiner. Le 14 juillet dernier, une vidéo publiée sur Facebook par Lino Gimenez, dit « Nounours », montrait plusieurs enfants du quartier, arborant des T-Shirts de la ville de Perpignan, peindre en bleu-blanc-rouge les quelques marches de la Place Berton.
Seulement quelques jours après la mise en place de l’équipe Municipale, nous avons rencontré les personnes à la tête du projet.
« C’était une action spontanée » affirment David Tranchecoste, délégué au cadre de vie, et Christelle Martinez*, Conseillère Municipale affectée à Saint Jacques, Saint Mathieu et la Réal. « C’était pour marquer le coup et montrer que l’on pouvait effectuer des actions rapides avec l’aide des habitants. » Isabelle Bertrand, maire de quartier ajoute « J’ai délivré les autorisations, nous avons distribué les masques et avons puisé dans des stocks de peinture ».
♦ Saint-Jacques, un quartier au fort potentiel selon les élus
L’équipe municipale voit en Saint-Jacques un fort potentiel et souhaite s’investir durablement dans la concertation avec les habitants, le service jeunesse et les animateurs de quartiers. « Nous souhaitons mettre en avant les talents de Saint Jacques et les accompagner ». Pour verdir le quartier, quelques solutions sont envisagées : « Il est prévu que nous plantions des mûriers platanes pour pallier le manque d’ombrage». Cet arbre présente la particularité de pousser vite en conférant un rayon d’ombrage important ; même s’il cause également quelques dégâts aux surfaces bétonnées avec ses racines.
Ces arbres seront plantés par les enfants des quartiers ; une plaque viendra même valoriser leur implication dans la vie de Saint-Jacques. La ville souhaite également faire nettoyer les rues et les graffitis. « Nous ne sommes pas contre le Street Art. Nous souhaitons nettoyer les murs pour ensuite permettre aux artistes de s’y exprimer avec des projets encadrés par la municipalité ».
Dans les cartons, il est également prévu de créer un Centre Civique, comme l’a proposé Nicolas Caudeville. « Les jeunes du quartier sont désireux de nettoyer le quartier » confie Christelle Martinez. « Lors de la fête nationale, nous étions surpris de voir que 4 grands sacs-poubelles de 100 litres avaient été remplis. Nous passons régulièrement et c’est resté propre. »
♦ Effet Aliot ou effet d’annonce ?
Pour Gino Cargol, bientôt prédicateur évangélique de l’église Vie et Lumière, cette nouvelle équipe prend le temps d’écouter la communauté ; alors que la précédente municipalité avait tendance à vouloir opposer les uns aux autres selon lui. Pour ce médiateur du quartier que nous avions croisé lors des distributions alimentaires en période de confinement, il est important de travailler avec la communauté, d’entendre ses propositions.
Signe de l’attention portée à ce quartier du cœur de ville, Gino nous déclare avoir rencontré le nouveau directeur de cabinet de Louis Aliot. Ancien directeur-adjoint de cabinet de la présidente socialiste du département, Stéphane Babey et Gino avaient déjà été en contact ; par exemple pour des actions conjointes avec le Secours Populaire.
Malheureusement, après plusieurs passages dans le quartier, la propreté durable s’est peu à peu estompée. C’est sur la place du Puig que nous rencontrons Nounours, auteur de la vidéo du 14 juillet. Il déclare militer pour la défense du quartier depuis 2005, gérer une association des citoyens de Saint-Jacques qui compte, selon lui, 400 membres et un collectif de quartier.
« Nous avons été beaucoup déçus de l’ancienne équipe, et par celles avant elle. Après avoir abandonné le quartier, ils ont souhaité le détruire et nous disperser dans le département » constate tristement Nounours. « Avant, nous ne connaissions pas les lois et nos droits. Mais grâce à ces histoires, nous avons appris, nous nous sommes montés en association. Nous sommes aidés par des architectes qui souhaitent protéger le quartier et le patrimoine ; mais aussi par des avocats. Nous ne nous laisserons plus faire ». Relire notre article sur l’arrêt du chantier de démolition de l’ilot du Puig.
♦ Retour sur les enjeux du « vote gitan » lors de la campagne des Municipales
La communauté gitane de Perpignan a été au cœur de l’attention médiatique durant la campagne municipale. En effet, le candidat En Marche Romain Grau avait inclus la colère des habitants du quartier Saint-Jacques à l’encontre du maire sortant dans sa stratégie électorale. Durant l’entre-deux tours rallongé exceptionnellement suite à la crise du Coronavirus, la communauté gitane a été particulièrement touchée par la maladie. Mais aussi stigmatisée, chacun y allant de son commentaire sur leur style de vie.
Après le désistement de leur « champion » en 4e position, les gitans du Perpignan historique ont choisi de faire campagne pour le « Tout sauf Pujol » ; et donc de favoriser Louis Aliot dans les urnes.
« Lors des élections municipales, c’était Tout sauf Pujol. Nous nous sommes naturellement tournés vers Aliot. Ici, nous voulons des terrains de sport pour nos gamins. Des centres de formations pour nos jeunes adultes. La rénovation des bâtiments plutôt que la destruction. Et une mairie qui soit enfin à l’écoute de Saint-Jacques. Avec l’arrivée d’un nouveau maire, on a grand espoir et on attend les résultats » affirme Nounours avant de poursuivre. « On ne souhaite plus se laisser acheter. Et la jeune génération l’a très bien compris et agit pour le quartier ; quitte à ne plus obéir à leur père. »
Au soir du 29 juin…
La ferveur gitane a été moins évidente pour l’élu frontiste qu’elle ne l’a été en faveur de Romain Grau. Au premier tour, Romain Grau obtenait dans le bureau de vote 803 son meilleur score 47,39% ; loin des 13,17% obtenus sur l’ensemble des bureaux. Quand Louis Aliot capitalisait 55,22% des suffrages face à Jean-Marc Pujol ; score proche de celui qui lui a permis de remporter l’élection.
Le quartier Saint Jacques, bastion de stratégie politique est donc en phase de débuter une transition avec les acteurs et élus locaux, après des années d’étouffement et de repli.
♦Habitat indigne, scolarisation, éducation, précarité, santé, emploi – Des problématiques multiples au-delà du ripolinage
L’enseignant-chercheur de l’université de Perpignan, David Giband, rappelait récemment que le quartier Saint-Jacques est le plus pauvre de France cumulant les difficultés ; une statistique Insee de 2015-2016. “Au-delà de la pauvreté, on est au-delà de l’économie de la pauvreté qui s’auto-entretient”.
- Un revenu annuel par foyer fiscal de 2.310€ (hors aides sociales) ; pour des foyers composés en moyenne de 3 ou 4 personnes. À titre de comparaison, le quartier voisin Saint-Mathieu affiche un revenu annuel de 6.745€ ; et celui de Perpignan est de 13.939€ par an et par foyer (contre 19.000 au niveau national). « Plus que des quartiers pauvres, ce sont des quartiers qui ont décroché, dans les revenus, mais aussi dans leur isolement ».
- Un taux de foyers monoparentaux de 39%, près du double de la moyenne nationale.
♦ Saint-Jacques, cible privilégiée des marchands de sommeil … parfois internationaux
Perpignan concentre 67% de l’offre de logements sociaux de l’agglomération. Et l’offre dans le secteur est particulièrement dégradée. David Giband avance un chiffre de 4.000 logements indignes en cœur de ville. Ce qualificatif indigne signifie que les logements, outre d’être dégradés, sont aussi susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique des habitants. Pour le chercheur, il s’agit d’une double peine pour les habitants ne pouvant accéder au parc social ; et qui risquent leur santé en occupant des logements dangereux.
Des logements qui peuvent avoir une rentabilité de 20% par an. Des taux particulièrement alléchants, non seulement pour le profil habituel du marchand de sommeil ; mais aussi pour certains retraités qui voient dans ces investissements le moyen de compléter leur maigre retraite.
Selon une étude récente du chercheur, ce nouveau type de marchand de sommeil spécule en toute connaissance de cause. L’évolution de la situation conduit même, depuis peu, des investisseurs étrangers tels que des banques à vouloir profiter de ce marché d’aubaine. “Au-delà de la pauvreté, on est au-delà de l’économie de la pauvreté qui s’auto-entretient”.
♦ Saint-Jacques, une pauvreté teintée de ségrégation et de folklore
Pour David Giband, les enjeux sont multiples. “Derrière la pauvreté du logement social et de l’accès à la propriété, résident aussi les questions de la mixité sociale et de l’urgence scolaire. Quelle est la place de l’école dans la ville ? Comment une ville peut répondre à cette urgence ?”
Pour le chercheur, cette pauvreté est aussi illustrée par la surreprésentation des bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle (CMU) ; un ratio pouvant atteindre sur le centre-ville de Perpignan une personne sur deux. La question scolaire est aussi un indicateur mesuré par le chercheur. « Ici, on voit que la pauvreté glisse d’un volet purement technique à une question de ségrégation ».
Un autre aspect de cette pauvreté en cœur de ville est l’aspect « folklorique de la pauvreté ». Le chercheur citant pour illustrer son propos des groupes de touristes danois rencontrés Place du Puig, en train de regarder la misère ambiante. Questionné sur les mutations telles que le retour de l’Université en centre-ville, David Giband temporise. « L’arrivée de l’université, avec un apport de nouvelle population, est une tentative de changer l’image du quartier. La gentrification, on n’en est pas encore là ! C’est peut-être l’intention, mais pas encore la réalité ».
♦ Le quartier Saint-Jacques, une énigme pour les politiques ?
Dans une étude du sociologue Alain Tarrius, l’ancien maire Jean-Paul Alduy déclarait « “Saint Jacques a toujours été pour moi une énigme”. Malgré une expérience pléthorique dans de nombreux bidonvilles, de Pikine à Dakar, en passant par les banlieues de Bombay ou certains quartiers de Beyrouth, « JPA » l’avoue : “à Saint-Jacques, j’étais mis en échec”. Tout d’abord urbanistiquement, un véritable “château de cartes” qui menace de s’effondrer à chaque démolition.
“Un quartier d’une extrême fragilité : des appartements en alcôves sombres, sans puits de lumière et une multipropriété enchevêtrée, inextricable. […] Dans cet habitat indigne s’entasse une multitude bruyante qui, faute de place dans les logements, vit dans la rue. […] Mais cette rue est un dépotoir. […] On jette tout par les fenêtres, les services municipaux essaieront de rendre propres les ruelles mais peine perdue. Saint-Jacques s’identifie dans la ville comme un quartier à part, où l’habitat est délabré, les copropriétés irresponsables et l’espace public couvert d’immondices…”
♦ Pour Alain Tarrius, Perpignan est un laboratoire social et urbain
Alain Tarrius s’interroge. Comment rapprocher dynamiques d’aménagement urbanistique et dynamiques sociales ? Comment passer de l’urbanisme à l’urbain par le social ? Dans son ouvrage intitulé « Perpignan , laboratoire social et urbain« , paru aux éditions aux éditions de L’Aube en 2018, le chercheur et sociologue déclare :
« Monnaie d’échange électorale dans divers villages ou au cœur même de Perpignan pour le canton recouvrant le quartier Saint-Jacques, l’immobilisation de cette communauté, comme sa fracturation par rapport à la population globale, sont une nécessité pour l’exercice clientélique : ces deux processus s’exercent malgré la réalité du lien communautaire, exacerbée pour les besoins jusqu’à aboutir à une stigmatisation radicale par ghettoïsation dans les zones d’habitat.
« Lorsque le conseil général passa à gauche, à la fin des années 1990, la première visite du nouveau président dans le quartier Saint-Jacques, relatée par le journal local, illustra grossièrement les joutes politiques des exécutifs locaux pour la domination clientélique. Entouré de responsables d’associations gitanes proches de la municipalité et verbalement contesté, le président s’écria que ce seraient « les autres, là-bas », qui auraient les subventions.
Ce « là-bas des autres » désignait la partie maghrébine, surtout algérienne, du quartier Saint-Jacques. Les rivalités clientélistes sont pagnolesques, grossières, mais hélas confèrent un statut de quasi-officialité aux mises sous dépendance des Gitans roussillonnais. Altérité radicale dont est imprégnée une société locale, la spirale, si bien décrite par Albert Camus, des rapports de « maîtres à esclaves », selon ses termes, se nourrissant de divers événements où figurent des Gitans, tels les arbres qui cachent la forêt des conduites semblables de payos. Le Gitan est devenu l’étranger, l’alter radical. C’est pourtant un des plus anciens résidents de ce département, de cette Catalogne Nord ».
* Le Canard Enchaîné – « Perpignan, l’habitat pas très digne d’une colistière d’Aliot »
Christelle Martinez a récemment été épinglée dans un article du Canard Enchaîné. Le journal indique que Christelle Martinez se trouverait « sous le coup d’une procédure pour avoir profité d’un habitat… pas très digne ». Le Canard précise que la colistière de Louis Aliot serait, via une SCI, propriétaire d’un immeuble rue des quinze-degrés sous le coup d’un arrêté préfectoral d’insalubrité depuis 2007. Contactée dans le cadre de cet article, Christelle Martinez a souhaité nous convier à une interview sur le sujet en compagnie de son avocat. Nous sommes à ce jour en attente d’un rendez-vous.
Nous avons également questionné Louis Aliot sur le sujet. Le maire nous a invités à nous renseigner sur le fond de l’affaire : « En voyant Christelle et la vieille dame locataire, vous verrez qu’on est très loin des allégations parisiennes ».
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