Article mis à jour le 21 février 2023 à 09:02
Rendez-vous était pris à l’école Simon Boussiron de Perpignan. Les 25 garçons et filles de la classe de Katia Karpoff attendaient avec impatience l’arrivée de Matthieu, juriste auprès de France Victimes 66 et Tiffany, psychologue. Au programme de ce vendredi matin, le harcèlement scolaire et les conséquences sur la vie des victimes.
« Dans mon cœur, je vis toujours le harcèlement »
Diego* a été victime de cyberharcèlement et de harcèlement physique alors qu’il était en CE2. « J’avais 9 ans et demi, des personnes sur les réseaux sociaux me menaçaient et me demandaient de faire des choses. Et à l’école, ils me tapaient ». Plusieurs enquêtes révèlent qu’en France 1 enfant sur 10 est victime de harcelement à l’école. Devant l’ampleur du phénomène, Pierre Viard, Président du tribunal de Perpignan a mis en place une action de sensibilisation auprès des enfants en primaire.
« Le but est de faire s’exprimer les enfants sur le harcèlement et le cyberharcèlement via l’art postal après avoir vu un juriste de France victime et un psychologue ». En 2021, le Conseil départemental d’accès au droit des Pyrénées-Orientales (CDAD66) avait déjà réalisé cette action auprès de 180 enfants du département. En 2022, 356 enfants du CM1 à la 6e de 16 classes ont été sensibilisés dans les Pyrénées-Orientales, mais aussi l’Aude et l’Ariège.
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Une feuille blanche froissée à jamais, comme un cœur marqué pour toujours
Tiffany questionne la classe sur les conséquences du harcèlement sur les victimes. « Qu’est-ce-qui se passe dans votre corps ? Qu’est ce que ressent la victime ? ». Les doigts se lèvent en nombre et les réponses fusent.
« On ressent de la peine, de la tristesse. Ça peut aussi faire mal au ventre ». Et un camarade de rajouter, « on peut avoir la boule au ventre, ça fait mal. Ça peut aussi faire mal au cœur, ou nous empêcher de respirer ».
C’est là que le jeune Abdel* propose une expérience. Madame Karpoff accepte, « vas-y montre nous ». Le petit garçon s’enquiert d’une page blanche et y dessine un bonhomme. Abdel passe ensuite auprès de ses camarades pour qu’ils disent des mots méchants au bonhomme sur la feuille. « T’es nul ; t’es moche ; t’es trop gros ; tes lunettes sont laides… ». Pour chaque insulte ou raillerie, Abdel froisse un peu plus la feuille jusqu’à tenir une boule de papier dans sa main. Désormais, Abdel dit des mots gentils à la boule de papier. « Tu es beau, tu es gentil et intelligent ».
La boule se défroisse jusqu’à reprendre sa forme initiale. Abdel de conclure, « vous voyez les plis restent ». Et la maîtresse de rajouter, « même en la repassant, les traces restent ». Parce que oui, les blessures causées par le harcèlement scolaire peuvent avoir des conséquences très graves. Et Idriss* de renchérir, « ça peut même aller jusqu’au suicide comme dans la vidéo ». Idriss fait référence à la vidéo diffusée par Matthieu. Une vidéo qui conclut par une statistique effrayante. « En France, un adolescent fait une tentative de suicide toutes les 10 minutes ».
Que faire pour éviter le harcèlement et ses conséquences sur Diego, Lisa ou Abdel ?
C’est tout le propos de ces ateliers. Selon Pierre Viard, l’objectif est de comprendre ce qu’est le harcèlement et comment réagir. Cette thématique du harcèlement a été portée par l’enseignante. Louis* lève la main, « avant quand j’allais chez le coiffeur, tout le monde se moquait de moi. Ils me traitaient de crâne d’œuf ou de boule à zéro.
J’ai décidé de mettre un mot dans la boîte rouge et ça s’est arrêté, comme par magie« .
De la magie, vraiment ? Katia revient sur la création de la boîte rouge.
« Nous avons eu un cas de harcèlement et nous avons trouvé une solution ensemble. Les enfants ont eu l’idée de créer cette boîte pour encourager ceux qui n’osent pas parler à faire un mot et le glisser à l’intérieur. Tous les soirs, je relève les mots dans la boîte à lettres ». Lisa* et Ana ont également fait usage de la boîte aux lettres. « Notre amie se faisait harceler par des garçons parce qu’elle ne voulait pas jouer avec eux, mais ne voulait pas parler. Ana et moi, on en avait marre qu’elle se fasse taper dessus. On a écrit un mot et glissé dans la boîte. Et puis ça s’est arrêté ».
L’objectif est aussi de travailler la confiance en soi. Katia de préciser, « il faut qu’ils soient bien dans leurs baskets pour pouvoir répondre aux choses négatives qui leur arrivent, et ça passe par une valorisation quotidienne. Dans la classe de Madame Martin, ils ont fait 30 petits miroirs, ils se regardent et se donnent de la positive attitude ». Katia de rajouter dans un sourire, « moi aussi parfois j’arrive en leur disant que je suis la plus belle. C’est bon pour mon moral et pour le leur ! ». Certains enfants rient avec leur maîtresse. « Vous êtes la plus belle, et la plus forte ! »
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Du cyberharcèlement aux challenges des réseaux sociaux
Chaque jour ou presque, les médias rapportent des accidents parfois mortels liés à des challenges dont les réseaux sociaux sont friands. C’est le cas du #A4Challenge qui accompagne les photos de filles se cachant derrière une feuille au format A4 ou du #BlackOutChallenge qui a coûté la vie à 2 fillettes de 8 et 9 ans. Ces deux jeunes américaines sont décédées des suites de ce challenge qui fait fureur sur TikTok. Le but est de s’étouffer soi-même jusqu’à s’évanouir devant la caméra.
L’algorithme des réseaux sociaux met en avant les challenges, et même si la majorité sont inoffensifs, certains sont très dangereux, voire mortels. Le réseau social chinois connu pour ses petites vidéos de chant et de danse touche tout particulièrement les plus jeunes. C’est aussi sur ce réseau que prolifèrent les challenges. L’un des deniers en date, le #LabelloChallenge consiste à se passer du baume à lèvres dès que l’on vit un moment difficile dans sa journée, à la fin du tube, le challenge enjoint à la scarification ou au suicide.
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Dans la même veine, Katia se souvient de la sortie de la série coréenne SquidGame. « Quand j’ai vu le succès de la série et surtout sa dangerosité, j’ai immédiatement fait le tour des classes pour alerter ». Un enfant lève la main, « Madame, il y a encore des enfants qui jouent à ça à la recré, j’ai entendu des petits chanter la chanson ».
« Avez-vous déjà entendu parler du Code pénal ? » Matthieu brandit le gros livre rouge
Des mains se lèvent, « des policiers nous l’ont montré, mais ils ne nous l’ont pas lu. C’était trop long ! » des rires fusent dans la classe. Matthieu de reprendre. « Je vous rassure, je ne vais pas vous le lire non plus. Est-ce que quelqu’un veut lire l’article concernant le harcèlement scolaire ? ». Là encore les enfants se montrent enthousiastes malgré la difficulté de l’épreuve. Les mots sont compliqués, et Paul* bute sur « susceptibles », « compromettre » ou « emprisonnement ».
Son camarade prend le relais, puis « le gros bouquin rouge » circule de mains en mains. Les enfants tournent les pages fines du livre qui pèse plus de 1 kilo. Matthieu questionne : « ça ne vous a pas fait peur les 30.000 € d’amende et les 2 ans d’emprisonnement ? ». Une jeune fille rétorque, « non, parce qu’on sait qu’on ira pas en prison parce que nous n’allons jamais harceler quelqu’un ». Matthieu de conclure, « c’est tout l’objet de notre atelier ».
Le mail art comme une bouteille à la mer
Parmi les intervenantes de cette action, Diane Beauchamps artiste peintre, sculptrice et illustratrice, nous explique le « mail-art ». « Le Mail Art intervient dans le projet afin de favoriser par cette approche artistique, l’échange entre les différents établissements scolaires, décloisonner la parole qui se fait silencieuse en contexte de harcèlement et permettre un mode d’expression supplémentaire à cette problématique complexe ».
Lisa et Ayda* nous racontent : « Aujourd’hui, nous faisons du mail art, pour décorer des enveloppes qu’on va envoyer à d’autres écoles. On a déjà écrit des lettres pour des enfants qui seraient en situation de harcèlement. Nous voulions leur dire qu’il ne faut pas se taire, qu’il faut en parler sans attendre à un adulte de confiance.
Moi j’ai écrit quelques conseils, si tu es harcelé tu peux porter plainte, si tu es une victime de cyberharcèlement, tu peux bannir, et si tu es témoin tu peux en parler. Il ne faut pas avoir peur d’être un poucave** ou une cafteuse ».
*Les prénoms ont été modifiés.
** Poucave : Se dit d’une personne à qui l’ont ne peut pas faire confiance, qui révèle nos secrets à qui veut les entendre
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