Article mis à jour le 20 septembre 2022 à 14:25
Au lendemain de la défection de Marion Maréchal à sa tante Marine Le Pen, le Rassemblement National semble en ébullition. Louis Aliot reste quasiment muet. Sur les réseaux sociaux, le maire de Perpignan se contente d’un tacle à l’égard de la benjamine du clan des Le Pen. « C’est un projet pour la France que nous portons avec Marine Le Pen, pas des projets personnels de carrière et de partage de dépouilles opimes* fantasmagoriques… ».
L’éloignement de Marion Maréchal, Gilbert Collard, ou Jérôme Rivière sont-ils le revers de la dédiabolisation voulue par le Front National et Louis Aliot ? Était-ce une bonne stratégie que de laisser antisémites, identitaires et autres homophobes telles des moules sans rocher ? Le même Louis Aliot qui fut surnommé « Loulou la purge » pour son rôle central dans ce nettoyage du Front National devenu Rassemblement National, se réjouit de voir aujourd’hui « tous les dingues » rejoindre Zemmour. Échange avec l’historien spécialisé dans les extrêmes droites européennes, Nicolas Lebourg.
♦ La dédiabolisation du Rassemblement National a-t-elle atteint ses limites ? Le parti d’extrême droite s’est-il fait doubler par sa droite ?
Je n’en suis pas certain. Marine Le Pen et Louis Aliot avaient fixé deux points et une étape. Enlever tout ce qui avait trait aux juifs et à la seconde Guerre mondiale, et là Zemmour lance sa campagne en mode réhabilitation de Pétain. Le second thème à gommer était le nationalisme ethnique, là-dessus Éric Zemmour, avec son grand remplacement, met les deux pieds dans le plat. L’étape était celle de la purge du parti. Et c’est là que Louis Aliot gagne son surnom de « Loulou la purge ». Est-ce que ça veut dire que l’expérience Zemmour démontre que Aliot et Marine Le Pen ont eu tort ? Pour l’instant Zemmour, c’est 12% dans les sondages depuis 3 mois. Alors qu’ils visaient un parti majoritaire. Pour l’instant, tout cela donne raison à Marine Le Pen et Louis Aliot, le discours radical séduit 10% de l’électorat et pas plus.
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♦ Pourtant des élus quittent le RN pour rejoindre Éric Zemmour
Ce parti n’a pas de management. Quand des cadres ou des élus envoient un courrier disant qu’il y a un problème dans la fédération, personne ne répond. Et un jour, paf on bombarde un type, sans explication, juste en disant que c’est une décision de la Présidente. Il n’y a aucun management, aucune discipline des militants eux-mêmes, qui bien souvent considèrent qu’ils ont le droit de se trouver en place éligible. Ce parti n’est pas un parti, mais un capharnaüm. Depuis toujours, et c’est pire depuis ces dernières années.
Au congrès qui s’est tenu dans notre ville en juillet il n’y a eu aucun débat sur la ligne ou la stratégie, et si la deuxième journée était close par Marine Le Pen, la première, donc celle qui désigne une place d’honneur, avec pour sujet la police et la justice, c’est-à-dire les sujets qui préoccupent les électeurs du RN, était close par Jean-Paul Garraud, titulaire d’une carte d’adhérent depuis… le matin même. Le désordre du RN c’est un problème de discipline, ce n’est pas un souci de stratégie politique. Cela ne revient pas à dire que la stratégie de dédiabolisation était mauvaise.
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Pour rappel, dans le premier sondage à avoir placé Éric Zemmour au-dessus de 10%, Harris questionnait aussi les sondés sur le candidat pour lequel ils ne voteraient jamais quelle que soit la configuration. Marine Le Pen était à 69%, c’est toujours difficile pour espérer un jour devenir présidente. Quant à Éric Zemmour, 75% des sondés disaient « lui jamais ! ». La stratégie de Zemmour est très claire, elle vise à faire exploser le RN pour une reconfiguration après. Mais elle n’a aucune chance d’être une stratégie majoritaire à un second tour.
♦ Les militants les plus actifs, les chevilles ouvrières des campagnes sont-ils passés chez Zemmour ?
Il y a une armée de réserve de gens qui ont été vexés par le Front national. Il faut se rappeler que le parti a perdu plus de la moitié de ses adhérents depuis 2015. Ces gens sont dans la nature, et une bonne partie est vexée. Par exemple, au sein du comité politique de Zemmour, on retrouve l’idéologue Jean-Yves Le Gallou. Il était dans les années 90 le responsable des études au Front National, numéro 3 du parti. Jean-Yves Le Gallou était le bras droit de Bruno Megret et aujourd’hui c’est l’hémisphère droit du cerveau d’Éric Zemmour.
Il y a clairement une coalition de tous ces gens qui se sont fait évincer par Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen qui aujourd’hui présentent l’addition. Et dans notre département c’est Bruno Le Maire qui a lancé l’antenne locale d’Éric Zemmour. Numéro trois de la liste de Louis Aliot aux élections municipales de 2014, mis sur le banc de touche ensuite à cause de ses saillies sur les réseaux sociaux, avec des propos pointés du doigt pour leur radicalité alors qu’il avait été casté pour son potentiel de notabilité, il vient prendre sa revanche avec une ligne zemmourienne qui ressemble plus à la sienne.
♦ Ils rappellent le débat raté de 2017, et avancent que Marine Le Pen n’a pas les compétences pour gagner ?
C’est la même question que se posaient les cadres en 1998 pour Jean-Marie Le Pen. « Notre parti est-il un vrai parti ? Qui conquiert des municipalités, des conseils départementaux et régionaux. Et peut-être participer au pouvoir via des gouvernements de coalition ? Ou est-on là pour le folklore tous les 5 ou 7 ans et pour donner aux autres l’occasion de dire le fascisme ne passera pas ? » On est clairement revenu à cela. Marine Le Pen veut-elle vraiment le pouvoir ? A-t-elle une stratégie pour le prendre ? Le Rassemblement National est une machine à gagner les élections européennes : et après ? Et d’ailleurs, il vit grâce à cela.
Ensuite, ils arrivent à l’élection présidentielle, ils animent le débat, ils permettent aux autres d’être élus face à eux et ils repartent. Il est évident que tous ceux qui ont envie d’autre chose voient ce qui se passe. Cela se voyait pour Jean-Marie Le Pen et cela se voit tout autant pour Marine Le Pen. Preuve en est lors des élections intermédiaires. On voit bien leur incapacité à se structurer de manière sérieuse. Le RN a quand même perdu 40% de ses conseillers départementaux, régionaux et municipaux. Il a des conseillers municipaux seulement dans 0,8% des communes. Les militants ne sont pas juste là pour coller des affiches, ils veulent aussi un poste d’élu.
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♦ Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, est-il aussi un parti d’extrême droite ?
Il y a deux choses extrêmement différentes. Primo, Éric Zemmour reprend la stratégie du compromis nationaliste que le Front National avait abandonnée en 1998. C’est-à-dire que l’on peut venir à Reconquête en venant de l’Action française, comme on peut arriver en étant nationalistes européens fondus de la race blanche. En gros, c’est comme chez MacDo, on peut être qui on veut et rentrer à Reconquête. Le FN fonctionnait aussi comme cela de 1972 à 1998. Après la scission Mégretiste, Jean-Marie Le Pen change de stratégie, et du compromis nationaliste est passé à la fidélité au Président.
Et avec Marine Le Pen, on a juste le clan de la Présidente qui dirige le parti. Ce « venez comme vous voulez », c’est fondamental pour les gens d’extrême droite. Ça leur permet de continuer à vivre sans fusionner. Ils peuvent garder leur petite boutique à côté. C’est le cas par exemple de la formation de Carl Lang, mis hors du FN par Marine Le Pen. Aujourd’hui, Le Parti de la France fondé en 2009 par cet ancien numéro 2 du FN est à fond derrière Zemmour, mais il existe toujours.
Une autre différence est le retour à un nationalisme ethnique tout à fait assumé. Globalement, Éric Zemmour va plus loin que Marine Le Pen sur la question du libéralisme, du refus des institutions supranationales européennes et surtout sur la question de l’immigration. Aujourd’hui Éric Zemmour propose par exemple l’expulsion des immigrés n’ayant pas de contrat de travail depuis 6 mois. Il faut remonter à 1995 pour trouver des positions aussi dures dans le programme du Front national.
Même le père avait mis de l’eau dans son vin. En particulier en 2002, où il avait cherché à être rassurant et à montrer que ce n’était pas lui mais Bruno Mégret qui représentait l’extrémisme… une posture qu’on retrouve un peu aujourd’hui. Les 3 millions d’expulsions, c’est dans la profession de foi de Jean-Marie Le Pen en 1995, dans celle de 2002 il citait Martin Luther King… Les militants sont contents, ils ont l’impression de retrouver le FN des années 90. Un RN qui se veut conquérant prêt à s’allier avec la droite. Tout en laissant une place à tout le monde, tout en assumant un nationalisme extrêmement dur.
Les partisans d’Éric Zemmour ont vraiment l’impression de revivre ce qui était un âge d’or pour l’extrême droite. On voit bien que les positions de Zemmour sur l’immigration ou l’abandon des contre-pouvoirs dans le cadre de l’état de droit sont totalement irréalistes ; et impossibles techniquement à mettre en place. Mais ça lui permet de dire que Marine Le Pen a trahi. Ce qu’il dit est tellement excessif que même Marine Le Pen apparaît du centre-droit. Alors que non, elle est toujours d’extrême droite.
♦ Le recentrage de son image apparaît-il positif pour Marine Le Pen ?
Il y a quelques années, Louis Aliot avait dit que ce serait une bénédiction pour le Front national qu’il y ait une extrême droite qui se cristallise à côté d’eux. Que cela permettrait de montrer que le Front national est un parti moins extrémiste. Il devrait remercier Zemmour si on suit sa logique. Car il est évident que Reconquête repositionne le RN. De même, on n’a pas vu Louis Aliot mettre une seule pièce dans la machine anti-vax. Il n’a pas fait de populisme sur ce sujet. Lui comme Robert Ménard visent la réélection et donc, dans le cadre d’un système électoral à deux tours, ils sont obligés de plaire aux gens plus raisonnables, donc ils se recentrent.
*Selon l’encyclopédie collaborative, les dépouilles opimes « sont les trophées pris par un général romain sur un chef ennemi tué en combat singulier dont la consécration constitue l’honneur suprême pour le général victorieux, conférant un prestige plus important encore que la célébration d’un triomphe ».
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