Article mis à jour le 30 avril 2024 à 16:25
Certains d’entre vous l’auront croisé à Perpignan durant les municipales 2020. Caché derrière sa caméra, Bertrand Schmit a arpenté les réunions publiques et suivi de près la campagne électorale à Perpignan. Son métier ? Porter à l’écran les parcours de chacun, les tranches de vie. Celle de l’élection municipale de Perpignan en est une ; celle Johnny et Lohnny en est une autre. Ces deux jeunes au parcours similaire ne se connaissaient pas avant leur arrivée à Perpignan.
Bertrand les a accompagnés ; oubliant parfois la distance nécessaire au réalisateur tant ces deux jeunes hommes étaient en demande d’amour, d’échange, de bienveillance, de considération, d’espoir. L’espoir d’un futur meilleur que les institutions en charge de les aider n’ont su leur donner. Un documentaire à retrouver gratuitement sur ce lien.
Destination Perpignan – Près de 5.000 nouveaux arrivants dans le département
Avant Hermeline Malherbe, présidente du Conseil Départemental, c’est feu Christian Bourquin qui souhaitait la bienvenue aux nouveaux catalans. « Vous avez eu raison de venir ici, vous êtes pratiquement 5.000 à faire ce choix… Même les boussoles indiquent le Sud maintenant ; c’est fini le Nord, c’est ici que toutes les choses vont se passer ».
La voix off, le rappelle ; le département des Pyrénées-Orientales est l’un des plus pauvres de France. Avec 21,4% de taux de pauvreté dans les Pyrénées-Orientales, 32% pour Perpignan, contre 14% au niveau national. Mais il y fait beau et la frontière agit comme un aimant faisant miroiter une vie meilleure à ces jeunes cabossés.
Marc Médina, maire de Torreilles, le rappelait lors des assises de la pauvreté : « La misère est tout aussi pénible au soleil« .
Un aller simple pour Perpignan raconte l’histoire du jeune Lohnny, un Caennais de 22 ans, abandonné par ses parents et qui a vécu une adolescence difficile ponctuée par un séjour en prison. Pour reprendre sa vie à zéro, il décide de venir s’installer à Perpignan. Pendant un an, Bertrand Schmit a suivi Lohnny, entre ses doutes et ses projets. L’histoire d’un jeune comme il en existe beaucoup d’autres. Bertrand Schmit a voulu tourner ce documentaire pour savoir si un avenir était possible pour ces jeunes en reconstruction et venus s’installer à Perpignan.
Partir sur un coup de tête – Pour des jours meilleurs
Ballottés par la vie, parents défaillants, institutions débordées, ces jeunes cherchent à repartir de 0. Ils ont pris le train sur un coup de tête pour fuir la misère et une société qui ne leur laisse pas de place. La place d’être heureux. Personne n’a appris à Johnny et Lhonny les codes de cette société ; des codes à la fois si simples pour certains et si hermétiques pour d’autres.
Aide Sociale à l’Enfance, Mission Locale, associations… Comment faire pour que ces enfants en danger, et devenus des adultes en danger ,puissent s’appuyer sur des adultes référents et bienveillants ? Mission impossible si l’on en croit les statistiques de l’Aide Sociale à l’Enfance. Un rapport d’information mené en 2019 par l’Assemblée Nationale s’en émeut.
Il fait « le constat de défaillances structurelles du système : ruptures dans les parcours de vie des enfants quand prévaut la préservation d’une autorité parentale chancelante, absence quasi générale de tout soutien psychologique ou de suivi médical régulier, méconnaissance des droits dont pouvaient bénéficier ces enfants, autant de carences auxquelles s’ajoutent pour la plupart un sentiment général d’insécurité, de solitude, de manque d’affection et pour la totalité d’entre eux y compris les plus chanceux un quotidien d’enfant qui n’est jamais celui des autres enfants » .
Ce rapport rappelle que l’Aide Sociale à l’Enfance accompagne 341.000 enfants ; une structure portée par le Conseil Départemental. Dans notre département en 2018, cet accompagnement concerne 1308 enfants.
La difficulté – Ce que les institutions qualifient de « sortie sèche »
Ce sont ces enfants qui atteignent 18 ans et qui n’ont plus de suivi du jour au lendemain. Dans les Pyrénées-Orientales, ce sont environ 85% des cas.
Johnny et Lhonny font tous deux partie de ce contingent. Ballottés de famille d’accueil en famille d’accueil à 18 ans, considérés adultes, ils sont sortis des radars de l’enfance pour rentrer dans celui de la recherche d’emploi, de l’insertion. Rôle dévolu cette fois à la Mission Locale. Et rebelote, il faut construire ou reconstruire la confiance, remplir des dossiers et tisser des liens avec des conseillers qui ne connaissent que peu votre parcours.
La caméra de Bertrand Schmit a pu assister à plusieurs rencontres entre Lohnny et sa conseillère à la Mission Locale des Pyrénées-Orientales. Pascale Anton parvient à insérer Lohnny dans plusieurs dispositifs, emploi, formation. Mais faute de suivi et notamment de suivi psychologique, Lhonny baisse les bras ; il n’a pas les codes se désole Bertrand. Personne ne lui a jamais enseigné… « Ses codes à lui sont plutôt ceux de la débouille … de la prison ». Lohnny retrouve à la Mission Locale les mêmes écueils qu’à l’ASE. Écartelé entre l’espoir d’une formation et un employeur irascible, le jeune tombe à nouveau dans la spirale de l’échec.
En 2017, les 110 salariés de la Mission Locale Jeune des Pyrénées-Orientales ont accompagné 20.392 jeunes. Un ratio qui laisse pantois ; auquel s’ajoute la complexité des profils et les dispositifs d’insertion aux cadres qui se chevauchent. Les challenges sont nombreux pour ces agents qui doivent aider aux problématiques diverses (emploi, formation, mobilité, hébergement…). Dans la région Occitanie, 6% des 40.000 jeunes accueillis par les MLJ résident en foyer, centre social ; ou sont sans logement (Source DARES).
L’espoir – La coupe du monde de football des SDF
Certains diront qu’il s’agit d’un acte manqué, d’autres parleront du destin qui s’acharne. Lohnny avait été repéré dans sa jeunesse ; mais à quelques jours d’intégrer un club professionnel en sport étude, un accident de scooter brise ses rêves. Tout bascule en même temps qu’il fête ses 18 ans. Il se retrouve seul ; de mauvaise fréquentation en argent facile lié au vol et à la débrouille, il atterrit en prison. C’est à sa libération qu’il choisit de partir pour voir de nouveaux horizons. Mais l’horizon Catalan n’est guère plus clair que le Normand.
Lui qui rêvait de faire carrière dans le foot intègre l’équipe des Sans-Abri dès son arrivée à Perpignan. Pour gagner un peu d’argent, il se fait embaucher par des particuliers pour des « petits boulots », payés 5€/heure grand maximum. La Mission Locale propose à Lohnny de participer à une formation de 3 mois pour passer une partie de son BAFA et devenir surveillant des espaces aquatiques. Motivé par le projet, il frime devant les autres jeunes ; « je suis nourri, logé, blanchi là-bas, et je suis bien payé. Après j’aurai tout mes diplômes et je ferai ce que je veux. »
La chute – Des rêves à la désillusion
On apprend que Lohnny a abandonné au bout de quelques jours de formation. Bien décidé à travailler, Lohnny retourne à la mission locale et décroche un contrat en tant que commis de cuisine. Ayant du mal à s’adapter à l’autorité de son chef, il quittera son poste après quelques semaines de travail.
L’équipe de football des Sans-Abri, dont il fait partie, est sélectionnée pour participer au Championnat de France. Elle se classera 2e. Johnny sera sélectionné avec 3 autres joueurs pour participer à la Coupe du Monde au Chili. Mais, il ne pourra pas s’y rendre. 15 jours avant son départ, il est arrêté et jugé en comparution immédiate pour ne pas avoir pointé au commissariat alors qu’il était sous contrôle judiciaire. Il a donc été incarcéré pour un an à la prison de Perpignan. Johnny, lui, qui avait réussi à trouver un travail et à vivre en colocation, a décidé de rentrer chez lui après 10 mois passés à Perpignan. Lors de la projection du documentaire en 2017, Bertrand Schmit précisera que Lohnny était en cavale. Quant à Johnny, il voulait intégrer les Parachutistes.
Bertrand Schmit – Son coup de gueule
La morale de l’histoire pour Bertrand est que « tous les acteurs, aussi bien la mission locale, la police, solidarité 66 ont été en dessous de tout. » Il dénonce « l’incapacité de ces institutions tenues par des contrats d’objectifs alors qu’elles ont des outils en main. » Selon lui, les travailleurs sociaux ne sont pas assez bien formés pour prendre en charge ces jeunes qui traînent « des valises et des casseroles. » Il constate « un décalage entre les problématiques et les solutions apportées par les interlocuteurs. » Il insiste fortement sur le fait qu’il faut s’occuper de ces jeunes. Bertrand Schmit est heureux de l’accueil réservé à son film ; mais pour lui, le plus important est de réfléchir aux questions qu’il pose. « Pourquoi la police était la seule informée de la contrainte judiciaire de Lohnny ? Pourquoi les personnes qui le suivaient ignoraient qu’il devait se soumettre à ce contrôle ? »
Le choix du thème de son film a été dicté à Bertrand par un phénomène démographique ; une partie de la population qui habite dans les Pyrénées-Orientales, et notamment à Perpignan, n’est pas native de la région. Perpignan est l’une des villes qui accueille le plus de ces migrants interrégionaux ; en grande majorité des jeunes, bien souvent en difficulté. L’idée était de montrer « si pour ces jeunes, dans un pays sinistré, il y avait la possibilité d’un salut. » La réponse est un « coup de gueule. »
Cinq ans après sa parution, « Un aller simple pour Perpignan » vit une seconde vie grâce à la volonté de Nicolas Caudeville, fondateur de L’Archipel contre-attaque.
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Lohnny et Johnny – Et en 2020 ?
Bertrand Schmit nous a donné des nouvelles de Lohnny. Lors de son incarcération, et désireux de l’aider à s’en sortir, le réalisateur a rencontré le Juge de l’application des peines. Aujourd’hui, Lohnny est devenu père et habite à Montpellier. Il n’a plus de nouvelles de Johnny aujourd’hui ; mais il avait intégré un lycée militaire à son retour à Epinal. Il est, lui aussi, père.
Le documentaire sur les Municipales à Perpignan ?
Son documentaire sur les élections municipales a été interrompu par la crise sanitaire. Coincé dans son studio à Canet-en-Roussillon, Bertrand Schmit en profite pour visionner et monter ses images. Le réalisateur ne s’avance pas sur une date ; tout dépendra de la situation sanitaire en France. Bertrand Schmit attend également la reprise de l’élection pour conclure son documentaire.
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