Article mis à jour le 25 août 2022 à 18:43
Entre la fête du Mouloud, celle de Hanouka, et Noël, notre humeur en cette fin d’année s’est portée sur le religieux.
Mais alors que le projet de loi Séparatisme est dans la navette parlementaire – projet porté le 9 décembre en Conseil des Ministres par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa – nous ouvrons un dossier sur l’Islam en France.
Pour ce faire, une parole unique est donnée : celle de la Perpignanaise Samia Selmani. Cette docteur, en littérature et civilisation comparée, était consultante du Fait religieux auprès du Ministère de la justice. Élue en janvier dernier, et ce pour un mandat de deux ans, elle a été intronisée en octobre présidente de l’Amitié Inter-Religieuse du Roussillon (AIR66). Samia Selmani est également la créatrice du magazine interdisciplinaire Méditerranée-Plurielle.
Musulmane de confession, première femme de France à occuper son poste actuel, elle ne se fait pas attendre pour invectiver et commenter certaines pratiques de l’Islam dans l’Hexagone. De même à l’égard des gouvernements successifs.
Au centre de la discussion que l’on vous présente en quatre épisodes ? Laïcité, communautarisme, autorités religieuses, inaction de l’État, ghettoïsation, crise et interprétations de l’Islam. Place au premier volet de ce format magazine.
♦ Le dogme humaniste pour la religion des humains
Samia Selmani est aumônier musulmane pour les femmes détenues de la prison de Perpignan. Une responsabilité et un bénévolat peu connus dans la société. « Dans cette fonction, je les accompagne sur le plan spirituel. Il y a l’aumônier catholique, l’aumônier juif, etc. On a aussi des aumôniers Témoins de Jéhovah. Pour hommes et pour femmes« .
Aumônier n’est pas à confondre avec représentant ou autorité religieuse. « L’aumônerie nationale, basée à Paris, traite les dossiers. Ces candidatures sont retenues en se basant sur les connaissances du domaine religieux. Une fois son accord donné, c’est l’administration pénitentiaire qui valide avec l’agrément« . Un droit citoyen, spirituel ou religieux, en quelque sorte. « J’ai choisi cet engagement par humanisme. Ce n’est pas simplement le religieux qui m’a intéressée dans cette action. C’est le côté humain. Ces femmes ont besoin d’écoute et d’accompagnement. Le fait de passer les voir, chaque samedi, ça change pas mal de choses !«
Ces prisonnières se retrouvent trente minutes, en sa compagnie, et en dehors de leurs cellules ; explique Samia Selmani. « Nous parlons essentiellement de tout et de rien. Je leur prête une oreille attentive. Ça me demande beaucoup, mais ça m’apporte davantage : c’est humainement grandiose. Il y a un certain calme intérieur. Ça me permet de relativiser. J’en sors remplie et riche. Je ne m’en lasse pas depuis six ans. Pour moi, c’est ça être aumônier« . Et d’en profiter pour invoquer des définitions : « Ce n’est pas forcément aborder la religion. Peut-être faut-il redéfinir les choses ? Qu’est-ce que le religieux ? Ce n’est pas forcément le dogme. C’est aussi ce que je peux apporter à l’autre. C’est presque au-delà de toutes les religions. C’est humain« .
♦ Samia Selmani : « On réagit dans l’urgence et la cacophonie »
Dans ce sens, la nouvelle présidente de l’Amitié Inter Religieuses du Roussillon déplore l’oubli de principes simples sur le papier : le dialogue et la compréhension. « Malheureusement, nous ne prenons pas le temps de comprendre l’autre dans sa différence. Nous n’en sommes pas encore à ce stade. On réagit dans l’urgence et la cacophonie ».
Face à l’actualité, Samia Selmani insiste sur la nécessité « de retrouver sa profonde humanité. La peur doit redescendre. Elle ne doit pas nous paralyser. Elle doit nous inviter à la réflexion, avant d’aller chercher des solutions à nos problématiques.
Nous sommes dans une époque où nous manquons de beaucoup de sagesse. Avant de comprendre, il faut être prédisposé à accueillir. Mais non, nous sommes entrés dans l’ère du doute, du soupçon, de la division, de l’individualisme, de l’art de la confusion. Cette confusion, totale et ingérable, elle est partout. Dans les partis politiques. Dans chaque religion…« .
♦ « Enlevez votre soutane. Retirez votre djellaba. Retroussez vos manches »
Une mobilisation générale au profit de l’unité nationale ? La docteure perpignanaise enjoint ses concitoyens à agir, à toute échelle, sans distinction. Religieux et politiciens dans le viseur. Et elle cite le cas de la Banque Alimentaire du 66 qui manque souvent de bras.
« C’est de notre devoir de nous solidariser autour des valeurs de paix et d’amour. L’entraide est urgente. Enlevez votre soutane. Retirez votre djellaba. En tant que religieux, en tant que politiciens, descendez de votre tour d’ivoire. Retroussez-vous les manches. On va travailler. On va se battre. Pour moi, c’est ça avoir de la sagesse« .
♦ Laïcité : un mot petit et une énorme incompréhension
La discussion s’enchaîne. Les sujets défilent (et nous vous les partagerons dans les trois prochains épisodes). Mais, entre les phrases « condamnations des attaques terroristes par le monde musulman », et « pourquoi une femme, peut, ou non, être imam »; le thème de la « laïcité » est abordé par Samia Selmani. Elle s’y jette sans prendre de raccourci. En prenant le temps de faire l’éloge de l’école.
« C’est quoi la laïcité ? Les définitions sont plurielles, malheureusement. Il y a aussi un débat sur l’école et son rôle. Pour moi, elle l’assume très bien. La laïcité, telle qu’elle est écrite dans le texte, cela ne suffit pas. Les médias ont aussi un rôle et un travail primordial ».
Et d’approfondir : « On a un texte de loi qui définit la laïcité. Mais est-ce normal, qu’au 21e siècle, nombreux soient ceux qui pensent que laïcité est synonyme d’athéisme ? C’est ce que j’observe quand j’en discute avec des personnes issues, par exemple, de la population musulmane. En quoi la laïcité nous empêcherait de croire ? En aucun cas cela n’est vrai« .
Les crèches dans les mairies. Les repas alternatifs dans les écoles. Le voile intégral. Dans la rue, dans les espaces publics, dans les espaces administratifs : quid de la laïcité ?
♦ « L’espace public n’est pas un lieu de religion » – Dixit Selmani
« Quand on revient au texte, on parle de la garantie du libre exercice des cultes. Vous vous rendez compte de la chance que l’on a ? La laïcité permet à une personne de choisir, ou non, une religion. La liberté de conscience. C’est extraordinaire. La neutralité de l’État et la séparation avec une religion. Donc, finalement, la laïcité empêche l’État de privilégier une religion par rapport à une autre. Oui, sauf que, on n’a pas su transmettre le véritable sens : si une femme, par exemple, porte le voile dans l’espace public, c’est son droit. Par contre, si elle dit qu’elle va travailler à la mairie avec, je dis non. Ce n’est pas possible« .
Les récentes affaires de croix détruites, sur les sommets pyrénéens notamment, offusquent Samia Selmani. Au risque de froisser certains laïcistes. « Je suis musulmane, mais pour moi, c’est culturel. Non pas cultuel. La crèche à la mairie, c’est pareil. Certaines mairies l’ont supprimée. Je me dis que c’est presque un faux débat« .
Et au sujet des repas alternatifs à la cantine ? « Il faut voir au-delà du fait religieux ou cultuel. J’aurais mal pris que l’école impose à mon enfant de manger la viande, par exemple, s’il essayait de devenir végétarien. C’est le respect à la différence. Point. Pourquoi a-t-on encore besoin de mettre les gens dans des cases. C’est fou ! C’est politique, Non. Religieux. Non plus. C’est ci, c’est ça, etc. Non ! Tout comme on peut appartenir à plusieurs de ces cases. Comme à aucune. Je ne mange pas de viande. Point« .
♦ Le communautarisme à l’origine des menus de substitution ? Ou l’inverse ?
Certains maires Les Républicains parlent de favoriser le communautarisme avec ces menus séparés. Certains tribunaux administratifs ne sont pas d’accord, avec ces dites paroles, et défendent « l’intérêt supérieur de l’enfant« .
Samia Selmani se positionne sur ce dernier avis, mais nuance : « La République a mis le doigt dans quelque chose. Un engrenage. Au risque de créer la division, ou d’arranger tout le monde. Mais notre école républicaine ne doit pas diviser. Notre école rassemble. C’est quelque chose qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays. La République ne doit pas parler de communautés, mais de population française, sans distinction, aucune. On parle de pluralité de cultures. On a cette chance de l’avoir« .
Mais donc, quelles corrélations entre laïcité, religion et communautarisme ?
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