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Entretien Cinéma | Le dessinateur Aurel croque l’histoire vraie de Josep Bartolí et la Retirada

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Article mis à jour le 25 février 2023 à 09:26

Février 1939. Submergé par le flot de Républicains fuyant la dictature franquiste, le gouvernement français les parque dans des camps. Deux hommes séparés par les barbelés vont se lier d’amitié ; l’un est gendarme, l’autre est dessinateur. De Barcelone à New York, l’histoire vraie de Josep Bartolí, combattant antifranquiste et artiste d’exception ;  au cinéma le 30 septembre.

Esquisses et coulisses de cette aventure cinématographique avec Aurel ; dessinateur de presse pour le Monde, le Canard Enchaîné et réalisateur du film.

♦ En tant que dessinateur de presse est-il plus aisé de croquer l’actualité ou l’histoire ? 

Sur l’actualité, on est obligé d’être hyper réactif ; l’imagination et l’idée doivent venir tout de suite. Quand on dessine l’histoire longue, c’est différent ; on a de plus de temps. Il y a des tas de gens qui ont déjà travaillé sur le sujet avant vous, des historiens, des spécialistes du sujet, ou des témoins directs. Il y a donc plus d’analyse, de recul ; un recul que l’on ne peut pas avoir avec l’actualité.

Disons que c’est une analyse à chaud, on n’a pas le recul pour comprendre la situation dans sa globalité. On ne peut pas avoir l’expertise que nous apporte le recul.

Si on prend l’exemple de la Retirada, cette période tombée dans les oubliettes de l’histoire ; il a fallu toute une génération pour que ça ressorte. Cela, de fait, on ne peut pas le savoir quand il s’agit de l’actualité.

♦ Lequel des deux exercices est le plus compliqué ? Celui où on connaît la fin de l’histoire comme avec la Retirada, ou celui de l’actualité où on ne sait pas que les frères Kouachi* vont tomber dans une imprimerie ?

Ce sont deux exercices tellement différents. Même dans la forme, en ce qui me concerne. Dans un cas, c’est mon métier de tous les jours ; donc forcément, j’ai plus de facilités à le pratiquer. À l’inverse, je ne savais pas comment faire un film. Mais, c’est aussi parce que l’on n’attend pas la même chose de ces deux exercices ; donc clairement on ne peut pas les fabriquer de la même manière.

En clair, un dessin de presse qui s’avérerait peu pertinent ou totalement faux, on l’a oublié aussi vite que le journal dans lequel il est paru devient obsolète dès sa sortie des rotatives. Même s’il existe des archives et que l’on peut revenir en arrière et analyser le truc. Mais ça reste de l’instantané dans sa façon de consommer l’information.

Alors que dans le cas de Josep, on a plus de temps pour le travailler et il sera vu plus longtemps. C’est quelque chose qui s’inscrit dans la longueur. Raison de plus pour vérifier tout ce qu’on dit, ce que l’on avance. Il faut s’assurer de la posture, ou de la position que l’on choisit de prendre, car on n’a pas le droit à l’erreur.

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♦ Est-ce l’histoire de la Retirada qui vous a interpellé ou le destin du dessinateur de presse Josep Bartolí ?

Ce sont les deux ; mais c’est sûr que moi, je suis arrivé à cette histoire par le dessin de Josep Bartolí. Sans forcément m’identifier au début, et d’ailleurs je ne suis pas certain de m’être identifié à Josep Bartolí. C’est plus une relation confraternelle ou d’amitié qui se noue à travers 80 ans, à travers plein de différences et le fait qu’on ne se soit jamais croisés.

Mais sinon, c’est vraiment le dessin de Josep Bartolí qui m’a fait accéder à l’histoire de la Retirada.

♦ L’arme de Josep Bartolí était un crayon, est-ce également votre cas ? 

Josep Bartolí est même passé du fusil comme arme, au crayon. Dans le dossier de presse, j’ai écrit que :

« Le résistant est celui qui s’oppose physiquement à l’insupportable, quitte à le payer de sa vie. Le journaliste est celui qui observe et doit préserver sa vie pour pouvoir témoigner. Bartolí a été les deux. Il a pris le crayon quand les armes étaient devenues vaines ». 

J’ai écrit ces phrases avant les attentats de Charlie et elles résonnent d’autant plus fort aujourd’hui. Dans le cadre de ce film, et pour répondre à votre question, tout dépend de quel moment de l’œuvre de Josep Bartolí on parle.

À mes yeux, ce qu’il a produit dans les camps n’est pas un témoignage. C’est plus un moyen de survie que par soucis de témoignage. Cela fait écho pour moi, car j’ai injecté dans le personnage de Josep mon ressenti de dessinateur. Et pour moi le dessin est un besoin physique et psychologique. Je pense que c’était pareil pour Josep. Et je crois que si j’avais été dans ce cas-là, le dessin me servirait à survivre tout simplement. Avec cette différente qu’il était dessinateur de presse et journaliste. Clairement, il ne dessinait pas des vases. Non, il avait chevillé au corps cette envie de montrer des choses ; mais ce n’est pas, à mon sens, l’objectif de ses dessins dans les camps.

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♦ Après Charlie Hebdo, en tant que dessinateur de presse, se sent-on comme un résistant ?

Bien sûr que les choses ont pris une couleur différente ; mais avant tout et surtout on se doit de continuer à dessiner, continuer à exercer ce métier qui était leur métier, la passion de tous ces gens qui ont été assassinés. Après les histoires de résistance, de machin bidule, cela ne me touche pas spécialement parce qu’il ne faut pas trop attendre d’un dessin. Cabu** disait qu’on dessine pour se venger, je trouve l’expression assez jolie.

Alors oui, il faut continuer à dessiner, à exercer ce métier sous toutes ses formes. Pour faire perdurer ce moyen d’expression, pour le faire vivre. Sans pour autant le charger de tout un tas de sens ou d’émotions qui l’étoufferaient…. Juste continuer à exercer ce métier comme avant. Même si les choses sont différentes, mais il ne faut surtout pas brandir des drapeaux de héros de la démocratie ou je ne sais quoi. C’est  bien trop lourd pour nous.

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♦ Quel est l’avenir du dessin de presse à l’heure où le New York Times*** fait le choix de l’exclure de ses colonnes ?

La décision de New York Times était une grosse connerie. On a le droit de ne pas aimer le dessin de presse et de ne pas en avoir dans son journal, et je le déplore. Mais en l’occurrence, ils ont pris cette décision pour cacher une erreur qu’ils avaient commise. C’était idiot de prendre cette décision. Ils étaient juste vexés et n’ont pas assumé leur propre erreur. Au final, ils ont fait porter le chapeau au dessin en lui-même.

Plus largement, le dessin de presse ne va pas très bien, parce que la presse en général ne va pas bien. Qu’elle a du mal avec sa transformation numérique, à trouver son équilibre financier sur le numérique. La presse a envie de modernité, mais croit que le dessin de presse n’est pas moderne.

Dans les deux journaux pour lesquels je travaille, Le Canard enchaîné a un site Internet qui ne diffuse que peu de choses, ça reste un journal papier, on est encore de l’ancien monde. Quant au journal Le Monde, le site internet draine beaucoup de vues, mais le passage du dessin du papier au numérique est un vieux serpent de mer. C’est long et compliqué. Il faut que les mentalités évoluent. Mais je vous avoue que je ne sais pas trop comment ; il faudrait que le dessin de presse évolue aussi dans sa forme pour suivre dans le numérique.

Nous sommes une génération de l’entre-deux. On fait des choses dans le numérique, dans le papier. Mais les générations d’après, et à condition que ce métier existe encore, sans doute devront-ils faire autrement. Il faudra que ce soit différent de ce que faisaient nos pairs, ceux qui ont créé ce dessin de presse moderne à l’époque des premiers Charlie Hebdo.

♦ Comment le public a accueilli le film Josep ?

L’accueil est formidable, le film plaît beaucoup aux gens. Lors de l’avant-première à Perpignan, forcément le public était particulièrement concerné. Mais je l’ai aussi présenté à Lyon, et l’accueil a été très bon aussi. Même si à Perpignan, Rivesaltes, Argelès ou Canet, il y a eu des moments chargés d’émotions ; parce que certains spectateurs ont eux-mêmes vécu les événements.

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♦ La Retirada

Suite aux trois années de guerre civile espagnole (1936-1939) opposant les Nationalistes aux Républicains, Franco finit par s’emparer de l’ensemble de l’Espagne. En janvier 1939, les troupes franquistes entrent dans Barcelone, dernier territoire insoumis. Dans les jours qui suivent, plus de 450.000 personnes cherchent à trouver refuge en France ; c’est la Retirada – « retraite » en français. S’y mêlent civils, militaires, officiels de la République espagnole se pressant sur les routes de Catalogne, tentant de traverser les Pyrénées à pied sous la neige.

⊕ 26 janvier 1939 : 

Prise de Barcelone. Le front de Catalogne s’écroule face à la pression des troupes de Franco appuyées par l’aviation allemande. Les premiers réfugiés se pressent vers la frontière encore ouverte entre l’Andorre et Port-Bou. 

⊕ 27 janvier 1939 : 

Le gouvernement français applique son plan de barrage le long des Pyrénées et ouvre dans la nuit la frontière aux civils (femmes et enfants) et aux blessés. Les hommes valides sont refoulés. Tous sont dépouillés de leurs armes, mais aussi de leurs bijoux, de leur argent liquide… 

⊕ 29 janvier 1939 : 

Les civils sont majoritairement dirigés en train dans des centres d’hébergement répartis dans 70 départements. Les blessés, infirmes et malades sont pris en charge dans des structures sanitaires montées à la hâte. 

⊕ 30 janvier 1939 : 

Dès la fin du mois de janvier, des camps sont mis en place par l’autorité militaire. Le Ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, visite le camp d’Argelès-sur-Mer le 1er février 1939. 

⊕ 5 février 1939 : 

La frontière est ouverte aux soldats et aux hommes valides. Ils sont dirigés en convois vers les camps situés en montagne, le long de la frontière, ainsi que sur la plage, dans un dénuement total. Josep Bartolí se trouve parmi ces hommes. 

⊕ 13 février 1939 : 

Si la frontière est fermée depuis le 9 février, les franquistes contrôlent l’ensemble de la chaîne des Pyrénées. À cette date, l’exode est officiellement terminé. D’autres camps comme Bram et Le Barcarès sont en cours d’aménagement. 

⊕ mars 1939 :

Plus de 222.000 réfugiés sont toujours internés dans les camps des Pyrénées-Orientales. Les premiers transferts s’opèrent vers les camps d’Agde, du Vernet, de Collioure et de Septfonds. 

⊕ avril 1939 : 

L’ouverture d’un second réseau de camps comme Gurs et Agde permet de vider progressivement les camps des Pyrénées-Orientales. Les hommes sont alors mis au travail via la Compagnie des Travailleurs Étrangers. Les principaux camps de la Retirada (Agde, Argelès-sur-Mer, Bram, Le Barcarès, Saint-Cyprien, Gurs, Vernet, Septfonds et Rieucros) fonctionneront jusqu’à la défaite de juin 1940 et seront repris par le gouvernement de Vichy, qui réorganise ce réseau en le renforçant avec la création de nouveaux camps comme celui de Rivesaltes au début de l’année 1941.

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⊕ Notes 

*Les frères Kouachi (Chérif et Saïd) sont les deux terroristes auteur de l’attentat du 9 janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Ils ont fait 12 victimes dont une partie de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo.
** Cabu de son véritable nom Jean Cabut dessinait dans les colonnes de Charlie Hebdo ; il est l’une des douze victimes des attentats du  9 janvier 2015.
*** Le 1er juillet 2019, le New York Times annonçait la fin des dessins de presse dans ses colonnes. Cette décision fait suite à la publication en avril 2019 d’une caricature du Premier ministre israélien sous l’apparence d’un chien tirant au bout de sa laisse le président américain. Un dessin qui provoqua l’indignation générale et contraint le New York Times a présenté des excuses.

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Maïté Torres