Article mis à jour le 27 octobre 2024 à 07:49
Malaise des médecins, renoncement aux soins des malades, la crise de la médecine générale est chaque jour plus prégnante. Qu’en est-il dans les Pyrénées-Orientales où plus de 7% des bénéficiaires, soit 27.497 personnes de plus de 16 ans, n’ont pas de médecin traitant ? Auscultation de la « médecine de ville » dans les Pyrénées-Orientales.
Au cours de notre enquête dans les Pyrénées-Orientales, nous avons rencontré plusieurs médecins généralistes qui expriment un profond malaise face aux mutations de leur métier. Une enquête qui démarre par un simple mail de la CPAM : «Votre médecin traitant a cessé son activité, un dispositif temporaire est mis en place par l’Assurance Maladie». Sauf qu’il est quasi impossible en 2023 de trouver un médecin traitant à Perpignan.
En proie aux doutes, en conflit avec l’ARS et l’État, la médecine générale est également pointée du doigt par les services d’urgence. Et pourtant, le médecin traitant reste le passage obligé pour accéder aux spécialistes ; il est convoité par les collectivités, submergé par ses patients toujours plus exigeants. Et depuis, quelques temps, une guerre générationnelle et idéologique entre praticiens d’hier et d’aujourd’hui semble poindre. Des visions opposées de ce qu’est ou devrait être la médecine de famille.
Ce lundi matin, le docteur Jacques Duchemin* a rendez-vous chez Louise et Henri*. Ils vivent ensemble depuis de nombreuses années, lui a 95 et elle 93 ans. Malgré la douceur extérieure, le thermostat est poussé à fond et la chaleur est saisissante dans l’appartement. Le docteur s’installe à la table de la salle à manger encombrée de boîtes de médicaments et d’ordonnances. «Merci de venir Jacques, j’ai reçu les analyses, mais je ne suis pas certain de comprendre». Oui, Henri tutoie Jacques, ils se connaissaient avant d’avoir entamé leur relation médecin-malade.
«Oui, on manque de médecins, et on va en manquer encore pendant 8 à 10 ans»
Pierre Ricordeau, directeur de l’Agence Régionale de Santé l’avoue, l’offre de soin n’est pas suffisante. Et durant la décennie à venir, il faudra faire avec ! Mais le développement de ces infirmiers «upgradés» que sont les IPA**, la délégation de prescription, ou la coordination ne sont que des rustines selon ce médecin de Perpignan récemment parti en retraite. Le docteur Martin*, médecin retraité de Perpignan, nous confie que seule la moitié de ses patients a pu retrouver un médecin traitant. Les autres ? Impossible de savoir, mais ils sont encore nombreux à venir sonner au domicile du jeune retraité en l’absence de solution. Dans les Pyrénées-Orientales, il y a 515 médecins généralistes selon l’ARS. Soit 107 médecins pour 100.000 habitants ; un ratio bien au-dessus de la moyenne nationale qui en compte 83,7. Est-ce à dire que les patients catalans auraient accès à un médecin plus facilement qu’ailleurs dans l’hexagone ?
La Drees** a établi un indice : l’accessibilité potentielle localisée. L’APL permet de mesurer à la fois la proximité et la disponibilité des professionnels de santé pour chaque territoire. Ainsi au niveau national, les patients ont accès à 3,4 consultations par an en moyenne. Dans les Pyrénées-Orientales, la situation diffère considérablement si vous habitez à Amélie-les-bains ou à Prades.
Á Amélie-les-bains, les 130 médecins liés au thermalisme font augmenter l’indice à 4,85 visites par an. Les Pradéens en revanche ne pourront voir un médecin que 2,97 fois par an, et les Perpignanais, 4,96 fois. Mais la situation pourrait s’aggraver encore compte tenu de l’âge des praticiens. À Perpignan, un tiers des 182 médecins a plus de 60 ans, et pourrait donc cesser leur activité dans les 5 prochaines années.
Médecin généraliste, un métier en perte d’attractivité ?
À l’heure, où certains syndicats de médecins libéraux manifestent, font grève et réclament le doublement du tarif de la consultation, le docteur Martin s’insurge. «Ce n’est pas la consultation à 50€ qui va faire que les médecins travailleront plus. Aujourd’hui, ils ne veulent plus travailler comme nous.» De son côté, Agnès Petit*, jeune généraliste remplaçante à Perpignan, a fait le calcul. «Aujourd’hui, entre les charges et les impôts, nous travaillons pour 10 balles de l’heure. À ce prix-là, on ne peut pas nous demander d’investir dans nos cabinets.»
Jacques Manya, ancien généraliste à Collioure, devenu consultant en stratégie de santé abonde dans ce sens. «Quand on parle d’attractivité du métier, il va falloir évoluer. On continue à payer une consultation chez le médecin comme une coupe de cheveux ou une pizza livrée à domicile. Si le temps médical devient du temps d’expertise médicale, nous devrons le rémunérer comme nous rémunérons les experts.»
Concernant la rémunération des médecins, Agnès Petit souhaite aussi revenir sur ses années d’études. Pour cette jeune praticienne, il est faux de dire que les médecins auraient une dette envers la société en contrepartie du financement de leurs cursus. «Durant tout mon cursus, j’ai travaillé à mi-temps. De la 3e à la 6e année pour 300€ par mois ; pour 2.000€ de la 6e à la 9e pour 60 ou 70h par semaine. Quand, en tant qu’interne, j’assurais mes gardes de nuit aux urgences, je générais 10.000€ de facturation pour l’hôpital alors que j’étais payé 200€. En France, les internes sont une main d’œuvre bon marché et bien formée.»
Chaque année, au mois de septembre, les internes doivent choisir leur spécialité ; l’analyse de ce choix permet de classer les spécialités en fonction de leur désirabilité par les futurs praticiens. En 2022, l’indice d’attractivité publié par «Le Quotidien du médecin» positionne la spécialité Médecine générale à la 6e place la moins désirable, juste devant la gériatrie ou la biologie médicale. A contrario, en 2022, les spécialités les plus plébiscitées sont la chirurgie plastique, l’ophtalmologie et la dermatologie.
Les visites à domicile, perte de temps ou temps nécessaire ?
En route pour le domicile de son prochain patient, le docteur Duchemin, 65 ans, se confie : «on a un métier qui nous permet de gagner correctement notre existence, où on rencontre des gens sympas, et il faudrait qu’on ait aucun désavantage ?» Avant de pousser la porte de chez Robert, Jacques Duchemin insiste, «oui, je pourrais voir plus de patients à mon cabinet qu’en venant à leur domicile, mais je pense que c’est nécessaire. Quand tu vas chez les gens tu ressens des choses, et nous sommes construits avec cette forme d’empathie. Tu finis par t’attacher aux patients. J’ai une mamie à Saint-Cyprien, elle a 87 ans, est aveugle et toute sa famille est morte. Elle ne peut pas sortir, l’infirmière et moi sommes les seuls à passer. Je ne crois pas que ce soit humain de s’en foutre !»
Les visites chez Robert, Henri ou Louise, certains médecins ont décidé de ne plus les assumer. Le docteur Duchemin de nouveau derrière son volant confie : «Moi, j’y vais parce qu’ils ont besoin de me voir. Ils m’appellent mais je ne sais jamais ce que je vais trouver sur place. Soit Lucie a fait une chute, soit ils s’engueulent parce qu’ils ne savent pas où ils on mis les médicaments. Parfois je suis obligé de chercher dans les tiroirs. Et au final, je m’aperçois qu’il faut faire une lettre pour un spécialiste, ou refaire une ordonnance. J’y vais parce que si je n’y vais pas ils sont perdus.»
Le docteur Martin se souvient de l’arrivée d’un nouvel associé peu avant son départ en retraite. «Le jeune médecin avec lequel nous nous sommes associés a immédiatement refusé les visites à domicile, ce n’est pas normal !». Quid des visites à domicile des médecins salariés ? Lors de l’arrivée d’un 3e médecin au centre médical de Millas, la Présidente de Région Carole Delga, insistait : les visites à domicile sont une part non négociable. « Dans le contrat de travail que nous signons, il y a une obligation d’assurer des visites à domicile. (…) Je pense qu’il est impossible de comprendre un patient sans le voir dans son environnement. Dans nos territoires, quand on va chez le médecin, c’est une visite importante ; on se fait propre. Alors que si le médecin passe sans horaire précis, il va pouvoir déceler une certaine désespérance dans le laisser-aller de l’environnement du patient. »
En 2021, SOS Médecins alertait sur le manque d’attractivité des visites à domicile. La visite à domicile incrémente le prix de la consultation de 10€, soit 25€ + 10€, soit 35€ pour se rendre chez le patient. Pas suffisant au regard de SOS médecins, «depuis plus de quinze ans, les moyens alloués à la visite à domicile sont insuffisants au regard des besoins des Français et du vieillissement de la population.»
Quant aux gardes, elles ne sont plus obligatoires depuis une grève des médecins libéraux de 2002. Jacques Manya se souvient. «En 2001, le code de déontologie imposait aux médecins de participer à un service de garde. Il y a eu une grève très dure en 2002 pour abroger cet article en contrepartie de la mise en place de la permanence des soins.» Sauf que précise le médecin, cette nouvelle stratégie n’a pas eu les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. «Au final, on s’est retrouvé avec une permanence des soins qui n’est qu’une théorie. C’est un service de garde de papier qui dans les faits n’a jamais fonctionné.»
Entre fin du «médecin de famille» et médecin «bashing»
Jacques Manya de constater, «les médecins ont changé. Ils ont envie d’avoir une vie sociale qui corresponde à leur niveau financier. Les jeunes ne veulent plus que leur métier soit une fin en soit. Ils veulent une vie à coté, les femmes ont envie d’avoir une vie de famille, d’être mères, d’être épouses, d’avoir des loisirs, de se former, de se cultiver.» Au-delà de la baisse du nombre de médecins, c’est aussi leur temps de travail qui s’est réduit. Ainsi aujourd’hui, pour remplacer le médecin de famille qui s’échinait sur les routes de campagne, il faudrait 2,5 médecins. La chute du personnel médical, la baisse du temps médical et la mutation des besoins, mais aussi le vieillissement de la population et les maladies chroniques conduisent à une totale inadéquation entre l’offre et les besoins de soins.
Pourtant, Agnès Petit «pense que la médecine n’est pas une profession comme les autres. Nous devons travailler beaucoup car les journées ne s’arrêtent que quand la santé du patient le décide.» Mais elle est bien consciente que sa position ne fait pas l’unanimité dans la profession. Malgré cela, elle ne veut pas jeter la pierre, et renvoie l’image du «médecin qui ne veut pas bosser» aux médias. «Ils ne sont qu’une minorité, je vous rassure : les médecins qui bossent beaucoup sont encore très nombreux.»
Le docteur Duchemin est particulièrement remonté «face à une société et des médecins qui ont glissé vers une forme d’indifférence.» Il rajoute, «moi je suis heureux, je suis content de faire ce que je fais. Alors oui, après une journée de 17 heures, je suis fatigué. Mais je n’ai jamais été malheureux, déçu, triste ou ennuyé de faire ce métier. Là, on va laisser les patients en plan et c’est dégueulasse ! J’aimerais pouvoir les confier à un jeune qui s’installe, qui prenne le relais et qui prenne ses responsabilités !»
Ce qui agace Agnés Petit, c’est plutôt le focus mis sur les médecins qui ne jouent pas le jeu au détriment de ceux qui «font leur boulot.» Agnès Petit de rajouter : «je ne suis pas à charge vis-à-vis des médecins qui ne branlent rien, il y en a comme dans tous les métiers. Mais le problème c’est qu’on devrait avoir le choix de ne pas aller les voir, mais on ne peut pas. Pour un qui fait du sale boulot, vous en avez neuf qui turbinent. Je ne demande pas à ce qu’on nous cire les pompes, mais je veux juste qu’on arrête ce tabassage contre les médecins.»
Mais quelles solutions pour répondre au besoin de santé publique ?
Cette désorganisation de la médecine de ville a clairement des conséquences sur l’ensemble du système sanitaire. Ainsi une part non négligeable des prises en charge des services d’urgences pourraient être évitées avec un maillage et un volant horaire des cabinets médicaux efficaces. Lors d’un récent reportage à l’hôpital de Perpignan, le docteur Ortega, responsable du pôle Urgences déplorait que l’hôpital soit devenu «la zone tampon du système de soin». Pour cet urgentiste aux 20 ans d’expérience, «les problèmes des Urgences sont un symptôme, et on aura beau mettre en place les meilleures organisations possibles, si on n’ouvre pas plus de lits d’hospitalisation et que la médecine de ville ne s’étoffe pas, ça ne fonctionnera pas !»
Alors quelles sont les solutions pour les dix ans à venir ? Plusieurs hypothèses sont étudiées, certaines d’ores et déjà mises en place par les ARS, quand d’autres peinent à se développer voire sont rejetées. Infirmiers de pratiques avancées, délégation de prescription, regroupement des professionnels en pôles, cabines de télé-consultation, année d’internat supplémentaire pour les étudiants en médecine, obligation d’installation, médecins étrangers ; autant de pratiques sur lesquels nous avons questionné les docteurs Duchemin, Martin et Petit.
Faire appel aux médecins «d’ailleurs» ?
Selon Agnès Buzin, ministre de la santé de 2017 à 2020, la situation a commencé à se compliquer au début des années 2000, constatant un effondrement depuis 2010. «Il manque dans le monde 15 millions de soignants, il en manquera 18 millions en 2030.» Le docteur Petit, jeune généraliste à Perpignan, se souvient de ses années d’internat. «Je ne comptais plus le nombre de médecins non francophones.»
Les FFI pour Faisant Fonction d’Internes, sont des diplômés non européens qui perçoivent 1.400€ bruts par mois, un salaire bien inférieur à leurs collègues Français pour faire le même travail. Sur France Culture 2 de ces FFI témoignaient de leur situation.
Selon Agnès Petit, ces personnes se lassent d’attendre en France d’être considérées à leur juste valeur. «J’ai vu un ancien FFI rentrer chez lui et pendre le poste de chef de service en chirurgie. Nous perdons ces professionnels parce qu’on préfère les sous payer ! J’ai rencontré plusieurs FFI qui après 7 ou 8 ans repartaient avec le sentiment de s’être trompés en venant en France.» En 2020, les FFI occupaient 12% des postes d’internes dans les hôpitaux français.
Pour Agnès Petit, la France serait le dernier pays où les médecins ont envie d’exercer. «Je suis lasse de toute cette pression. Il faut comprendre qu’en France, une mauvaise décision peut vous conduire en prison pour 10 ans. En Irlande, au Pays-Bas ou en Suisse, demain, je pars et on me propose de meilleures conditions d’exercice. Nous avons tellement d’options, mais non nous préférons rester. Alors on mérite le respect !»
Fin du médecin traitant ? Obligation d’installation par l’Ordre des médecins ?
Pour Agnès Petit, c’est clair qu’une des difficultés réside dans le principe même du médecin traitant. Les ARS devraient assouplir le principe du médecin. La règle du médecin traitant veut qu’en cas d’absence, le patient soit redevable d’un forfait de 7,5€ par consultation. Selon Agnès Petit, ce reste à charge de 7,5€ est rédhibitoire pour certains ce qui peut entraîner des retards de diagnostic. Particulièrement remontée contre les ARS, Agnès Petit s’emporte : «C’est comme si moi je donnais mon avis sur la réparation d’une fusée. Je n’y connais rien, je ne vais pas commencer à faire la maligne avec un astronaute. Mais ils n’ont pas les mains dedans, ils sont dans leur bureau ; ils ne voient que des concepts administratifs et des tableaux Excel !».
Le principe du médecin traitant a été instauré en 2005 et veut que chaque patient âgé de plus de 16 ans ait déclaré un médecin traitant sous peine de voir ses remboursements réduits, voire ne puisse accéder à certains spécialistes. Spécialistes qui exigent, avant le rendez-vous, un courrier du dit médecin. Pour le docteur Martin qui a vu la mise en place du dispositif, la volonté inavouée des pouvoirs publics a toujours été celle d’une gestion comptable depuis Paris. «Ils ont toujours dit que d’avoir trop de médecins engendrait trop de dépenses, alors que c’est loin d’être établi ! Moi je crois que si tous les patients écrivaient au conseil de l’ordre ou à leur caisse, ceux qui refusent les nouveaux patients seraient obligés de reculer.»
Concernant la problématique des médecins traitants, les ARS semblent infléchir un peu leur position. Pierre Ricordeau était favorable à transformer la notion de «médecin traitant» en «équipe soignante». Deux des trois médecins que nous avons rencontrés ont également préconisé de mettre en cause l’ordre des médecins. Malgré plusieurs tentatives, nous n’avons pas obtenu de réponses de la part de l’ordre des médecins 66.
Nous avons aussi tenté notre chance via la caisse d’assurance maladie et son service de médiation. Après avoir échangé avec le robot conversationnel d’Améli, la CPAM nous a adressé une liste de médecins locaux qui accepteraient de nouveaux patients. Après plusieurs tentatives auprès des 7 praticiens perpignanais recommandés, deux seulement proposeront un rendez-vous.
Autre problématique abordée par le docteur Martin, le délai entre la fin des études et l’installation des médecins. Seulement 25% des généralistes s’installent dans les 5 années suivant leurs études. «De mon temps, l’ordre nous incitait fortement à installer notre plaque après un ou deux ans de remplacement ! Alors qu’aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des médecins qui font des remplacements depuis 10 ans.»
Pôles médicaux ? Médecins généralistes salariés ?
Agnès Petit se remémore certains médecins qui ont joué le jeu des centres de soins. «Ils ont accepté d’intégrer des grosses structures ; or maintenant ils ont des coûts de fonctionnement très élevés. Au départ, cela était compensé par des subventions ARS.» Mais s’inquiète Agnès Petit, «au départ, les forfaits ARS étaient conditionnés au nombre de patients, maintenant les conditions ont changé. On leur demande de travailler avec des IPA, en coordination ! Ceux qui ont joué le jeu des grosses maisons de santé se disent aujourd’hui être pris en otage, et contraints de travailler avec des gens sans en avoir envie.»
Agnès Petit est particulièrement remontée contre ces pôles de santé et le principe d’équipes pluridisciplinaires. «Cela ne sert à rien de chercher des trucs compliqués, IPA, des équipes coordonnées, des pôles médicaux, si on ne sait pas soigner l’otite d’une petite fille dans les temps ! Ou alors, on arrête de former des médecins et on forme des managers qui feront des réunions toute la journée.» Selon la Drees, en 2022, un médecin sur 6 travaille en maison de santé pluridisciplinaire.
Concernant la délégation de prescription, Agnès Petit est également particulièrement sévère. «Mais non, cela veut dire qu’ils diluent leur responsabilité médicale vis-à-vis du patient auprès d’autres intervenants.» Agnès de rappeler la relation spéciale qui se noue lors d’une consultation. «Ce n’est pas juste bonjour, qu’est-ce-qui vous arrive. Non ! Lundi dernier, j’ai fait une grosse journée de consultation. Et sur 10 échanges, mon diagnostic a changé sur la dernière phrase du patient. J’ai mis 10 ans pour forger mon analyse, c’est pas un truc que j’ai appris comme ça. Je veux bien déléguer les tâches, mais je ne pense pas que le kiné, ni l’infirmier, ne devraient pouvoir prescrire en direct. Alors oui, à l’hôpital, l’IPA a toute sa place pour suppléer des gestes techniques, mais la médecine générale ce n’est pas simple.»
Alors oui concède Agnès Petit, 80% des consultations sont binaires, mais 20% seront très complexes et il s’agit de cas par cas. «Cette proposition aurait tendance à faire croire que les choses sont simples, alors que non elles sont complexes !»
L’éducation des patients et l’innovation ?
Pour Agnès Petit, c’est une évidence, l’éducation à la santé est très importante. «Il faut demander aux patients de réfléchir avant de se précipiter. Si votre enfant tousse depuis 2 heures, ça ne sert à rien d’aller aux urgences. Ces messages sont rarement diffusés et il y a beaucoup de consommation chronophage et inutile. À l’inverse, il y a des gens qui font un AVC chez eux et ne consultent pas parce qu’ils ont peur de déranger.» Agnès Petit milite pour la mise en place d’un module d’éducation à la santé dans les écoles.
Pour Jacques Manya, l’innovation pourrait aider. Il plaide quant à lui pour la généralisation des valises de téléconsultation devenues «très performantes» selon lui. «Nous avons peut-être la possibilité d’avoir sur le terrain des infirmiers formés. Avec la valise, ils ou elles pourraient faire un examen ORL ou un électrocardiogramme et être en lien avec un expert qui serait à 40 kilomètres de là. Si l’examen montre un infarctus, le soignant peut administrer un premier médicament et le mettre dans une ambulance. Il s’agit d’avoir un bras armé qui va se porter au chevet du patient.» À l’inverse, le médecin ne croit pas en l’efficience des cabines type «photomaton» dans les pharmacies.
Le Conseil National de la Refondation détient-il les solutions ?
En décembre 2022, le conseil national de la refondation, version santé s’est réuni dans les Pyrénées-Orientales. Ce dispositif qualifié de «bidule» lors de son annonce s’est tenu dans les locaux de la Communauté Urbaine. Selon le Préfet, il s’agissait «de travailler sur des solutions remontées des territoires et réfléchir aux réalités concrètes». L’exercice de démocratie participative auquel se sont livrés médecins, infirmiers, établissements de soins, élus ou encore associations de patients s’est déroulé en quatre ateliers : accès au soin, permanence des soins, les métiers de la santé et leur attractivité, et la prévention. À la tête de chaque atelier, le «grand témoin» qui animait les débats était chargé d’en faire la restitution à l’issue de l’atelier.
Parmi les propositions avancées pour rendre les professions de santé plus attractives, Jacques Manya de citer pêle-mêle le partage des soins à l’initiative du terrain et non décidé verticalement, ou encore le développement des équipes mobiles. L’idée est de permettre aux patients de rester à domicile et de déplacer une équipe de soins palliatifs ou de gériatrie.
Barthélémy Mayol, directeur de l’hôpital de Perpignan et grand témoin de l’atelier «permanence de soins» abonde dans ce sens. Il rajoute qu’il est important d’investir et de créer une dynamique pour aller vers les patients, avec des équipes mobiles en gériatrie, mais aussi en psychiatrie ou pédopsychiatrie.
Pour le directeur de l’hôpital, il faut absolument investir davantage. Et en premier lieu sur la formation des IPA. Le chiffre d’une cinquantaine d’IPA libérales formées par an semble bien insuffisant par rapport aux besoins. «Ces professionnels seraient l’interface entre le médecin et celui qui a besoin de lui. Car le temps médical est rare, et il va devenir de plus en plus rare. Une des solutions consiste à trouver du temps para-médical ou non médical pour permettre au médical de se concentrer sur ce qui est utile.» Pour Barthélémy Mayol, il est également important d’investir dans les innovations avec la généralisation de la téléconsultation ou la téléexpertise.
Mais que faire avec l’otite de Lea 10 ans ou le suivi de l’hypertension de Monique 85 ans ?
Quelle alternative s’offre aujourd’hui pour les douleurs chroniques, les soins non programmés, ou les maladies au long cours ? SOS Médecin peut être une alternative pour ceux qui vivent dans une zone couverte. Si l’otite de la petite fille a la mauvaise idée de se déclencher le week-end, il faudra patienter des heures à la maison médicale de garde. Pour les douleurs chroniques, faute de médecin disponible, certains se tourneront vers les remèdes de grand-mère ou les «médecines» parallèles. Pour le suivi de sa maladie chronique, Monique patientera sans solution devant son jeu télévisé préféré, et ce en dépit des efforts vains de son aide à domicile. Aujourd’hui, chaque patient, chaque aidant familial cherche, s’arme de patience et finit par trouver des alternatives plus ou moins adaptées, et plus ou moins dangereuses.
*Les noms et prénoms ont été modifiés.
** IPA pour Infirmier de Pratique Avancée. Sont une spécialité pour les infirmiers, après une formation, les IPA pourront notamment faire le suivi, et donc les prescriptions de certaines maladies chroniques.
**Drees : Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques.
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