Article mis à jour le 2 juillet 2024 à 08:02
Il est loin le temps où en juillet 2020, les élus de la ville s’affichaient tout sourire sur les réseaux sociaux avec les enfants du quartier ; pinceau à la main pour repeindre en bleu blanc rouge, les marches d’une des places du quartier.
Désormais, les habitants et les élus de Perpignan affichent un visage fermé, les regards sont déterminés et chacun campe sur ses positions.
« Nous vivons une période pire que les années 30 ! »
Preuve de la tension qui règne dans le quartier, ce vendredi 3 septembre, plusieurs équipages de police se sont rendus sirène hurlante sur la place du Puig appelés en renfort par la police municipale. Selon le responsable de la police nationale sur place, les municipaux auraient tenté, en vain, d’arrêter un dealer en flagrant délit ; et la communauté gitane leur aurait mis la pression. « Si on n’était pas arrivés, (les municipaux) se faisaient débordés ». Du côté des gitans, faisant face à ce déploiement policier, le discours diffère.
« Nous vivons une période pire que les années 30. La mairie nous traque parce qu’on n’est pas d’accord avec eux. Tous les matins la police municipale vient fouiller nos poubelles et nous met des pv. On ne sait pas ce qu’ils sont venus faire aujourd’hui » nous confie Nick Gimenez, figure bien connue du quartier.
Alain Gimenez, dit Nounours, abonde dans ce sens. « Aliot nous fait la misère parce qu’on est contre son projet ». Alain Gimenez n’est pas un inconnu dans le quartier. Très assidu durant la campagne des municipales – d’abord aux côtés du candidat En Marche Romain Grau, puis avec Louis Aliot – il est devenu médiateur de quartier embauché par la mairie. Mais selon lui, son contrat se terminerait à la fin du mois de septembre. Alain Gimenez d’ajouter, « Louis Aliot nous a promis plein de choses, mais il ne fait rien. ». Nounours d’insister, « c’est encore pire que sous l’ère Pujol ! Au moins, lui, il nous respectait. Maintenant rien, il n’y a que la police ! ».
Les gitans de Saint-Jacques ne croient plus en la parole publique
Le 27 août dernier, Louis Aliot, et pas moins de 4 de ses adjoints, tenaient une réunion publique pour présenter le projet aux habitants du quartier. Selon Philippe Poisse, membre du comité de pilotage du contrat de ville, et présent à la réunion, l’ambiance était électrique. Après une brève présentation du projet par le maire et les fonctionnaires du service urbanisme, les habitants présents ont immédiatement embrayé sur la sécurité dans le quartier. Pour rappel, Louis Aliot élu depuis juin 2020 est aussi en charge de la délégation sécurité. Or depuis le début de son mandat, selon de nombreux riverains, la situation s’est encore dégradée sur le plan de la sécurité.
Durant la réunion, plusieurs habitants déclaraient qu’en l’absence de réaction des autorités, ils prendraient eux-même leur sécurité en main. »Le climat dans le quartier s’est dégradé, je ne saurai pas si c’est lié à l’accroissement du trafic de drogue ou au manque d’action de la mairie, mais c’est clair que c’est pire qu’avant » nous précise cet observateur. La crise sur le volet sécurité atteignant son paroxysme, dans la nuit du 8 au 9 août, avec la mort par balle d’un jeune homme de 23 ans.
Été 2021, comme un revival de l’été 2018 ?
Sur les méthodes de concertation, les habitants du quartier ne voient guère la différence avec la précédente municipalité. Et c’est justement sur ce point-là que les habitants attaquaient l’ancien maire. Un manque de concertation qui avait conduit à l’arrêt des travaux de démolition de l’îlot du Puig en juillet 2018. À l’époque, et alors que les pelleteuses étaient déjà entrées en action, les habitants étaient montés au créneau et avaient fait stopper les travaux. Les esprits attisés par la chaleur estivale et sur fond de précampagne électorale, plusieurs réunions houleuses avaient été conduites par le Préfet.
Sans succès, l’îlot qui devait être détruit en 2018 pour laisser place à des logements neufs, est toujours debout. Comme un vestige de l’incapacité des équipes municipales à régler la situation du quartier avec l’adhésion des premiers concernés. Les promesses non tenues et la multiplication de ilôts jamais reconstruits après démolition ont fini par lasser la patience des habitants.
La mairie lance sa communication en mode bull-dozer
Malgré nos demandes, la mairie n’a pas souhaité répondre à nos demandes d’information à l’issue de la réunion du 27 août. Et à seulement 2 jours du début des travaux, ce 4 septembre, Louis Aliot a tenu une conférence de presse. L’élu du Rassemblement National déclarait que l’immeuble Betriu construit il y a seulement 25 ans était devenu « un problème social, un problème de société ». Pour répondre au sentiment d’abandon des gens du quartier, et notamment au niveau de l’insécurité, Louis Aliot indiquait qu’au projet urbanistique, il manquait un volet humain et social. L’élu d’extrême droite de rajouter : « Je ne veux pas que Perpignan devienne Marseille ».
Dans le journal municipal, Louis Aliot affichait sa volonté de faire de la lutte contre la drogue, “une grande cause municipale. À tous les niveaux : répressif, ce qui est en cours, mais aussi pédagogique et éducatif ».
Quel projet après Betriu ?
Parmi les reproches faits à l’ancienne municipalité, il y avait le fait que les immeubles tombaient mais qu’aucun projet ne voyait le jour. Preuve en est les places laissées vides où aucun nouvel immeuble n’a, jusque-là, vu le jour. Le projet présenté par la mairie prévoit « la réalisation de 35 logements dont l’architecture devra permettre la mise en valeur de cet espace, ainsi que de donner à leurs occupants une qualité d’habitation nettement supérieure ».
Ce projet devrait être mené par un opérateur privé ; mais à l’heure où les pelleteuses vont entrer en jeu, et selon plusieurs acteurs du projet, aucun opérateur ne semble s’être positionné pour reconstruire. Les habitants craignent donc que la destruction de Betriu ne laisse place qu’à une nouvelle place vide. De son côté, la mairie prévoit des aménagements temporaires. Il s’agit d’un espace de jeux et d’entraînement pour enfants et adolescents. Mais là aussi, les habitants et riverains craignent que ce lieu ne soit à nouveau conquis par les dealers.
« Le cancer de Betriu »
Aziz Sebhaoui, responsable du Casa café situé juste en face de l’immeuble qui doit tomber, il s’agit d’un cancer qu’il faut éliminer. « On me le promet depuis des années, il faut le faire« . Il rajoute également que le quartier a la chance d’avoir une université à quelques mètres de là, mais il faut restructurer tout cela et pas seulement fermer ou détruire. En effet, le commerçant a également fait remarquer à la mairie que la fermeture de la place Cassanyes, prévue pour réduire les trafics, dessert le quartier. « Ils ferment sans même nous le dire, après la fermeture du commissariat, c’est la place Cassanyes, ils pourraient rendre le stationnement payant, ça réglerait une partie du probable ».
Pour Jean-Bernard Mathon, ancien président de l’association de défense du patrimoine (Aspahr*), le coût de l’achat par la mairie du site pour destruction aurait pu servir à financer de nombreuses réhabilitations. En clair, dépenser plus d’un million d’euros pour déplacer un point de deal est une gabegie pour celui qui fut également candidat aux élections municipales.
Les photojournalistes de Visa pour l’Image aux premières loges
Lors de l’intervention du vendredi 3 septembre, les véhicules de police sont passés devant le Couvent des Minimes qui accueille la 33ème édition de Visa pour l’image. Certains photojournalistes alertés par le raffut ont marché quelques mètres pour se rendre sur place et constater la tension entre la communauté gitane et la police.
*Aspahr : Association pour la sauvegarde du patrimoine artistique et historique roussillonnais
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